Les mangroves en Indonésie constituent une vaste réserve de carbone. Pour le pays, elles représentent un argument clé dans les futures négociations sur le changement climatique à Paris, selon les auteurs d’une nouvelle étude publiée dans Nature Climate Change.
« Les décideurs politiques indonésiens devraient percevoir la protection et la gestion durable des mangroves comme une solution potentielle pour atténuer le changement climatique », explique Daniel Murdiyarso, auteur principal de l’étude et directeur de recherche au Centre de recherche forestière internationale (CIFOR).
« Pour faire des progrès, il est toutefois crucial que les mangroves soient protégées et gérées de manière durable », ajoute-t-il.
Des vastes zones de mangroves ont été détruites en Indonésie au cours des dernières décennies. Cependant, il n’y a peut-être jamais eu de meilleur moment, ni une telle motivation politique, pour changer cette dynamique.
La nouvelle étude se fonde sur des résultats antérieurs indiquant que les mangroves détiennent 3 à 5 fois plus de carbone comparé à la même superficie pour une forêt tropicale ; ce fait place les mangroves indonésiennes en tête de liste concernant la densité de carbone. Elles emmagasinent environ 3,14 milliards de tonnes de carbone, essentiellement dans le sol.
« Globalement, le stockage de carbone dans ce type d’écosystème s’élève à environ 10 milliards de tonnes. L’Indonésie détient un tiers de ce total dans ses mangroves », déclare M. Murdiyarso.
Ce fait est important, car lorsque les mangroves sont détruites et leurs sols drainés ou retournés, le carbone est oxydé et libéré dans l’atmosphère. Ceci contribue au changement climatique.
Selon les auteurs, il serait alors d’autant plus préoccupant que l’Indonésie détruit ses mangroves plus rapidement que tout autre pays, mis à part d’un pays (la République dominicaine).
En vue des négociations sur le changement climatique qui se concrétisent à Paris, le moment est propice pour appuyer le potentiel d’atténuation du changement climatique des mangroves
La nouvelle étude indique que parmi l’ensemble des émissions mondiales de gaz à effet de serre liées à la destruction des écosystèmes côtiers, 42% sont dues à la destruction des mangroves en Indonésie.
VASTES TRESORS CACHÉS
Les scientifiques ont mesuré les taux de carbone sur différents sites à travers l’archipel indonésien.
Ils ont constaté que les mangroves des côtes densément peuplées de Java contiennent un peu plus de 500 tonnes de carbone par hectare, alors que la même superficie de mangroves en Papouasie, éloignée et peu peuplée, détient près de 1 500 tonnes.
Avec des stocks de carbone aussi riches, les 2,9 millions d’hectares de mangroves en Indonésie sont des « puits de carbone d’une importance mondiale ».
Ceci signifie que la protection des mangroves indonésiennes doit être placée en priorité sur la liste des efforts nationaux visant à réduire les émissions de carbone.
LES OBJECTIFS CLIMATIQUES DE L’INDONÉSIE
Au cours des dernières années, l’Indonésie a pris de grands engagements pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre.
Avant les négociations sur le changement climatique à Copenhague en 2009, l’Indonésie s’était engagée à atteindre une réduction de 26 pour cent des émissions d’ici à 2020. En 2011, le gouvernement a stipulé le potentiel d’une réduction de 41 pour cent au cours de la même période, à condition de recevoir davantage de soutien international.
Pour faire des progrès, il est toutefois crucial que les mangroves soient protégées et gérées de manière durable
Pour répondre à ces objectifs, l’Indonésie doit réduire la déforestation, puisque l’utilisation des terres est la source principale d’émissions de gaz à effet de serre.
Les émissions annuelles de l’Indonésie provenant de la destruction des mangroves représentent jusqu’à 20 pour cent du total de ses émissions liées à l’utilisation des terres.
« En vue des négociations sur le changement climatique qui se concrétisent à Paris, le moment est propice pour appuyer le potentiel d’atténuation du changement climatique des mangroves », affirme M. Murdiyarso.
Voici donc une lueur d’espoir face à la destruction continue des mangroves en Indonésie.
La densité de carbone extrêmement élevée, qui fait de la destruction des mangroves un contributeur hors normes aux émissions de carbone de l’Indonésie, représente également un potentiel prometteur.
La directrice générale pour le Changement climatique au sein du Ministère indonésien de l’Environnement et des Forêts, Dre Nur Masripatin, est parfaitement consciente de ce potentiel.
« Personne ne conteste l’importance de cet écosystème, à la fois pour le changement climatique et pour les moyens de subsistance des personnes vivant à proximité des mangroves », déclare-t-elle.
« En termes de changement climatique, les mangroves sont l’un des endroits où l’atténuation et l’adaptation peuvent avoir lieu simultanément. »
Ce qui ressort de l’étude de M. Murdiyarso – et qui occupe clairement une place prépondérante dans l’esprit des scientifiques et des décideurs politiques clés – est que l’arrêt ou le ralentissement significatif de la perte des mangroves promet de faire avancer l’Indonésie d’un pas de géant vers ses objectifs de réduction des émissions, dont l’échéance est prévue dans seulement cinq ans.
QUI GAGNE ?
Inverser la tendance signifie également comprendre qui profite de la destruction des mangroves.
La réponse : l’aquaculture, principalement l’élevage de crevettes. A l’échelle nationale, cette industrie a fait au cours des trois dernières décennies un bénéfice de 1,5 milliard de dollars par an. Cela peut paraître comme un gain pour le secteur national de la pêche, mais les choses ne sont pas tout à fait aussi simples.
« Les gens oublient que les mangroves jouent un rôle très important en tant que lieu de reproduction pour les poissons », remarque M. Murdiyarso.
Compte tenu des risques qu’engendre la destruction des mangroves sur la pêche en milieu sauvage pour céder la place à l’aquaculture, il n’est pas certain que le secteur de la pêche de l’Indonésie en ressorte gagnant, ni même les moyens de subsistance indonésiens.
« Les mangroves sont également des constructeurs efficaces de terres. Leur capacité à piéger des sédiments et des débris venant de l’amont est cruciale dans la protection des zones côtières et de l’intérieur des terres face à l’élévation du niveau de la mer », explique M. Murdiyarso.
« Bien que ces services écosystémiques ne soient pas encore monétisés, ils doivent être pris en compte. »
LE DÉFI DE LA GOUVERNANCE
Arrêter la destruction des mangroves est probablement un défi politique complexe et exigeant.
Daniel Murdiyarso ne se fait aucune illusion quant à l’ampleur de cette tâche.
« La gestion durable des mangroves est un grand défi », dit-il.
Personne ne conteste l’importance de cet écosystème, à la fois pour le changement climatique et pour les moyens de subsistance des personnes vivant à proximité des mangroves
« Les mangroves sont gérées par un grand nombre d’organismes divers qui ne communiquent pas nécessairement entre eux. Il est important que ces organismes se réunissent afin de fixer les règles, les politiques et les stratégies pour gérer adéquatement les mangroves. »
Dre Masripatin est du même avis.
« Le défi consiste à établir une politique cohérente », déclare-t-elle.
« Convaincre les gouvernements locaux est également crucial. Sur le terrain nous constatons que de nombreux gouvernements locaux ne pensent pas que les mangroves constituent un écosystème important ou qu’elles doivent être protégées ».
Les scientifiques et les décideurs politiques conviennent que, afin de mieux protéger les mangroves de l’Indonésie, il faudrait retourner à la case de départ, coordonner les ministères concernés au niveau national et persuader les gouvernements locaux de l’importance de cet écosystème. Dans le but d’aborder certains de ces défis, le CIFOR a conçu une boîte à outils d’apprentissage sur les zones humides durables.
Finalement, grâce à cette nouvelle étude qui met en évidence le potentiel vital des mangroves en Indonésie pour aider le pays à atteindre ses objectifs, les responsables politiques indonésiens pourraient avoir suffisamment de connaissances et de raisons pour lutter contre le changement climatique.
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