NAIROBI, Kenya – Pour l’industrie agro-alimentaire et les petits paysans des tropiques, c’est une plante vraiment miraculeuse.
Pour beaucoup d’ONG et de groupes indigènes, c’est une grave menace pour les droits des terres et pour l’environnement. Alors qu’en est-il? Comment une plante, à elle seule -le palmier à huile- peut-elle susciter tant de divergences de points de vue?
La conversion de forêt primaire en plantations mono-spécifiques de palmiers à huile est sans aucun doute un désastre écologique.
Ce sont les questions qu’Alain Rival et Patrice Levang abordent dans leur livre «La palme des controverses: palmier à huile et enjeux de développement», récemment traduit en anglais («Palms of controversies: Oil palm and development challenges») et publié en ligne par le Centre de Recherche Forestière Internationale (CIFOR)
«Le problème», écrivent les auteurs, «ce n’est pas le palmier à huile, mais la manière dont les personnes ont choisi de l’exploiter»
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Lors du Forum mondial sur les paysages: dans un climat changeant, existe-t-il un futur durable pour les produits comme l’huile de palme? Des experts aborderont cette questions ainsi que d’autres thèmes lors de cette session au Forum mondial sur les paysages à Lima, les 6 et 7 décembre.
M.Rival, du CIRAD, un centre de recherche français sur l’agriculture et l’environnement, du CIFOR et de l’Institut français de recherche pour le développement IRD, utilise des données et son expérience du terrain pour apporter une image exhaustive et nuancée du palmier à huile – une image qui manquait jusqu’à présent dans les débats controversés sur l’un des produits agricoles les plus importants au monde.
La plante ne peut être considérée ni comme un vecteur de développement, comme revendiqué par des entreprises, ni comme un signe avant-coureur de pauvreté, comme l’affirment beaucoup d’ONG, explique M.Levang.
«La réalité est plus complexe. Le palmier à huile n’est ni l’un ni l’autre, mais les deux à la fois», dit-il. «Le verdict diffère en fonction du site choisi, de la période concernée et des individus interrogés».
Aujourd’hui, des palmiers à huile ont été plantés sur près de 18 millions d’hectares de terres des tropiques -une zone proche de la taille du Cambodge. Les auteurs reconnaissent que l’impact environnemental de l’expansion du palmier à huile a été «désastreux», en particulier en Asie du Sud-Est, où cela s’est fait au détriment des forêts tropicales, dans un des réservoirs de biodiversité les plus extraordinaires au monde. En juste quelques dizaines d’années, l’Indonésie a assisté à la conversion de plus de 5 millions d’hectares de forêt primaire et la Malaisie à celle de plus de 4 millions d’hectares.
«La conversion de forêt primaire en plantations mono-spécifiques de palmiers à huile est sans aucun doute un désastre écologique», écrivent MM.Rival et Levang. Mais ils notent aussi que la plante en tant que telle n’en porte pas la responsabilité, et ils affirment qu’il est temps de se détacher de positions extrêmement diabolisantes ou de montagnes d’éloges envers le palmier à huile, pour plutôt identifier des moyens d’assurer que sa production soit durable.
UNE «MACHINE A HUILE NATURELLE»
Le livre réussit à illustrer à quel point le palmier à huile est remarquable.
Alors que de nombreuses personnes associent le palmier à huile avec la Malaisie et l’Indonésie, les espèces qui produisent la plupart de l’huile de palme récoltée aujourd’hui, l’Elaeis guineensis est originaire des tropiques humides de l’Ouest et du Centre de l’Afrique. Là, il est très apprécié comme une plante à valeurs multiples qui fournit de l’huile de palme, de l’huile de palmiste, du vin de palme, du cœur de palmier, et une série de matières premières pour la construction ou l’artisanat traditionnel, comprenant des matériaux pour les toits de chaume, les barrières, pour renforcer les constructions de terre, pour les paniers, les filets, les cordes et les balais.
L’huile de palme est maintenant l’huile végétale la plus consommée sur Terre, représentant plus d’un tiers de la production mondiale. La consommation mondiale moyenne d’huile de palme par tête a plus que doublé, passant de 11 kg en 1976 à 24,7 kg en 2009. Sa popularité repose en partie sur sa polyvalence –ce n’est pas qu’une huile de friture, on la retrouve aussi dans la margarine, les pâtisseries, bon nombre de produits alimentaires transformés, les cosmétiques, savons, lubrifiants, bougies, produits pharmaceutiques et agrochimiques, les peintures et même l’électronique.
Le palmier à huile peut satisfaire cette demande parce que c’est une véritable «machine à huile naturelle», écrivent les auteurs: il occupe 7% de la terre dédiée aux plantes productrices d’huile dans le monde, mais produit 39% de l’offre mondiale d’huile végétale. (Le soja produit 27% de l’huile végétale mondiale, mais occupe 61% de la terre utilisée pour produire de l’huile.) De plus, la productivité du palmier à huile par hectare de culture dépasse tout autre culture productrice d’huile, et il requiert beaucoup moins de pesticides que d’autres cultures, note l’ouvrage.
UN MODEL DE DEVELOPPEMENT
Assailli par un choeur grandissant d’activistes anti-déforestation, l’industrie de l’huile de palme a affirmé qu’il ne servait à rien de boycotter l’huile de palme, puisque remplacer le palmier par une autre culture productrice d’huile, comme le soja ou le tournesol, impliquerait de convertir huit fois plus de zone forestière pour les produire.
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Interview du chercheur sur les huiles de palme: «Ne confondez pas la culture avec les personnes qui les développent», dit l’expert du CIFOR Patrice Levang dans une interview à lire ici.
MM.Rival et Levang jugent ces arguments trompeurs, notant qu’aucune de ces cultures ne requiert de déforestation, et qu’il y a un potentiel dans l’intensification écologique et dans les programmes de certification comme la Table ronde pour une huile de palme durable (en anglais Roundtable for Sustainable Palm Oil (RSPO).
La production d’huile de palme ne requiert pas non plus systématiquement l’implication de l’industrie agricole, disent-ils. Près de la moitié de la production d’huile de palme actuelle ne provient pas de plantations industrielles, mais de petites exploitations. Près de 3 millions de petits paysans à travers le monde participent à ce secteur. En Indonésie, 25 millions de personnes vivraient indirectement de la culture de palmiers à huile. En Afrique occidentale et centrale, l’huile de palme est souvent produite dans des plantations de petits villages avec divers arbres de culture.
Les auteurs soutiennent que les plantations de palmiers à huile peuvent être développés sans détruire de vastes bandes de forêts tropicales. Les modèles de développement incluent des techniques d’agroforesterie variées, une mosaïque de développements et une planification écologique du paysage.
Le défi, selon les auteurs, ne sera pas d’empêcher l’expansion du secteur de l’huile de palme, mais d’encourager des formes de développement qui visent à minimiser les impacts négatifs sur la biodiversité et le bien-être des populations locales.
Palms of controversies: Oil palm and development challenges est disponible en anglais gratuitement en ligne en cliquant ici.
Pour plus d’information sur les questions discutées dans cet article, veuillez contacter Patrice Levang sur p.levang@cgiar.org ou Alain Rival sur alain.rival@cirad.fr.
La recherche du CIFOR sur le palmier à huile est en partie soutenue par le Programme de recherche du CGIAR sur les forêts, les arbres et l’agroforesterie.
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