BOGOR, Indonésie — Sur papier, le principe est simple: améliorer la gestion de l’environnement en récompensant financièrement les personnes responsables de sa préservation.
Ce concept, connu sous le nom de paiement pour services écosystémiques (PSE), a obtenu le soutien de nombreux décideurs politiques. Ces derniers peinent à parvenir à des bénéfices concrets sur le plan écologique avec des budgets restreints. Les programmes de PSE sont actuellement mis en œuvre à l’échelle mondiale dans le but d’inciter la préservation de bassins versants importants, ainsi que la protection d’espèces et de forêts menacées.
Cependant, comme avec tout paradigme, la réalité est bien plus complexe et une nouvelle étude suggère que l’argent seul ne permet pas d’aboutir au succès.
Les auteurs d’un article récent, paru dans la revue BioScience et intitulé « Les enjeux d’équité sociale relatifs aux paiements pour services écosystémiques », font valoir que se focaliser trop étroitement sur l’efficacité et sur l’accumulation de budgets pour la conservation peut finalement nuire à celle-ci. Lorsqu’il s’agit de conservation, l'équité sociale est davantage prise en compte; toutefois, elle est souvent exclue des PSE
L’étude, menée par des chercheurs du Centre Basque sur le Changement Climatique et le Centre de Recherche Forestière Internationale (CIFOR) et soutenue par le projet EcoFINDERS de l’Union européenne, met en évidence des tensions émergentes entre efficacité et équité dans la conception des programmes de PSE. Les auteurs soutiennent que les dimensions de l’équité sociale – y compris la capacité à participer aux programmes et à les établir, la reconnaissance des multiples droits locaux, ainsi que la répartition équitable des coûts et des bénéfices – sont souvent négligés dans la conception.
Cependant, des preuves importantes suggèrent que ces facteurs sociaux sont importants, non seulement pour des raisons morales, mais également pour des raisons pratiques. L’équité sociale peut avoir des effets à long terme sur les conséquences écologiques et les coûts du projet.
« Lorsqu’il s’agit de conservation, l’équité sociale est davantage prise en compte; toutefois, elle est souvent exclue des PSE », déclare le co-auteur Jacob Phelps, un scientifique au CIFOR. « La logique des marchés ‘efficacité-paiement’ qui sous-tend la plupart des PSE a le potentiel particulier d’occulter les dimensions d’équité. Puisque les PSE prennent vite de l’ampleur au sein des pays et des écosystèmes, il existe un besoin croissant d’examiner comment les dimensions d’équité façonnent leur conception et leurs résultats. »
ÉTUDES DE CAS
Le document affirme que les PSE « aveugles face à l’équité » peuvent entraîner des rétroactions négatives, pouvant compromettre les objectifs de conservation à long terme. En revanche, les auteurs soulignent les preuves indiquant que les programmes, qui intègrent les considérations d’équité, peuvent bénéficier de rétroactions positives. Le document expose un large éventail d’exemples éloquents qui illustrent ces complexités :
- Les auteurs notent que les rétroactions négatives résultent de l’appréciation insuffisante de l’équité sociale dans la conception des programmes de PSE pour la Réduction des Emissions issues de la Déforestation et de la Dégradation des forêts (REDD+). En Équateur, de nombreuses communautés autochtones – dont les terres hébergent plus de 60% de la forêt actuelle – se sont opposées à des programmes de PSE, qui se sont dont on a récemment découvert qu’ils on souffert d’une mauvaise communication, d’un manque d’implication des communautés dans la prise de décision et d’une méfiance ancrée vis-à-vis des programmes gouvernementaux.
La reconnaissance des droits, la répartition des charges, la participation et la capacité des personnes sont vraiment importantes pour façonner les résultats.
- Les auteurs exposent également des rétroactions positives concernant l’équité. Ils abordent une étude dans le parc national de Nyungwe au Rwanda, qui a examiné des programmes de PSE développés en consultant les communautés sur des questions variables selon les endroits, telles que les indicateurs, les objectifs et la distribution de paiements. L’étude a révélé que dans les zones où les considérations d’équité ont été prises en compte, la chasse et l’abattage des arbres ont été réduits par rapport aux zones de « clôture-et-amende ». Les zones soumises à un contrôle policier strict de la réglementation du parc ont présenté des baisses similaires des violations. Cependant, dans les zones où l’équité sociale a été mise en avant, les personnes avaient également une attitude plus positive envers la gestion forestière, ce qui suggère que les règles y seront plus durables que dans les zones gérées uniquement par l’application de la loi.
« Lorsque l’équité sociale est incluse dans la planification des PSE, ceci est souvent interprété comme concernant seulement la répartition des bénéfices, c’est-à-dire qui sera payé pour une action de conservation », déclare M. Phelps.
« Bien que cet aspect soit important, ceci néglige d’autres dimensions de l’équité, telles que la reconnaissance des droits, la répartition des charges, la participation et la capacité des personnes à s’engager. Ces « variables douces » peuvent sembler triviales face à nos objectifs urgents de conservation, mais les preuves suggèrent qu’elles sont vraiment importantes pour façonner les résultats – la manière dont les personnes se sentent, interagissent, s’engagent a des conséquences très réelles. »
Les auteurs expliquent que cela a de profondes implications sur les politiques environnementales, en particulier celles qui pourraient prévoir que le recours aux paiements et aux incitations pourrait en quelque sorte simplifier la conception des programmes.
Les auteurs font appel aux efforts pour «sauver l’équité dans l’ère de l’efficacité» en veillant à ce que les programmes de PSE regardent au-delà des efforts pour maximiser les budgets de conservation à court terme. Ceci nécessite une conception participative du régime de PSE et une prise de décision engageant les différents acteurs qui utilisent et gèrent les paysages ciblés, ainsi qu’une appréciation plus profonde des diverses valeurs et identités liées aux écosystèmes. Les auteurs concluent que cela nécessite des garanties sociales et environnementales contraignantes, et de reconnaître que l’équité sociale est au cœur du rôle des PSE.
Néanmoins, les auteurs reconnaissent que l’intégration des considérations liées à l’équité dans la planification de la conservation a des coûts initiaux. Ils proposent la recherche sur d’éventuels compromis entre efficacité, efficience et équité sociale à différentes échelles et dans des conditions diverses. En particulier, ils reconnaissent la nécessité de déterminer quand et comment la conception respectant l’équité peut améliorer les résultats, tout en offrant potentiellement des retombées économiques significatives.
Pour plus d’informations sur les sujets abordés dans cet article, veuillez contacter Jacob Phelps sur j.phelps@cgiar.org.
Cette recherche s’inscrit dans le cadre du Programme de Recherche du CGIAR sur les Forêts, les Arbres et l’Agroforesterie.
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