Cameroun : une richesse forestière ignorée (Le partage du butin)

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Le sciage à la tronçonneuse est une opération exigeant des compétences, et souvent dangereuse. Photo de Jean Pamphile Ondoua.

YAOUNDE, Cameroun (11 avril, 2011)_Assistant au CIFOR, Edouard Essiane doit donner de la voix pour se faire entendre dans les bruits des tronçonneuses.

 

« Vous pouvez constater à quel point il s’agit d’un métier dangereux, maintenant qu’on se trouve dans la forêt », s’écrie-t-il. « Le risque de blessure est important, et nous entendons souvent parler de personnes gravement blessées ou tuées, soit par leur tronçonneuse, soit par des chutes d’arbre. »

« La plupart des tronçonneurs deviendront sourds avant l’âge de 40 ans. » ajoute-t-il

La pluie ruisselant dans son dos, un jeune homme du village de Djémiong, dans la région de l’Est, découpe avec habilité des planches dans un tronc de sapelli abattu la veille. Il faudra deux jours à lui et son assistant pour transformer l’arbre en une centaine de planches de 2 mètres de long sur 40 cm de large. Des porteurs recrutés dans le village voisin se chargeront ensuite de les acheminer jusqu’à la route. Le scieur est vêtu d’un tee-shirt, d’un jean et de tongs, sans aucune protection. Sa sécurité personnelle semble en effet le cadet de ses soucis.

« Notre grand problème est toujours le même : les fonctionnaires du MINFOF », explique-t-il. « Parfois ils nous forcent à céder certaines planches. Parfois, ils demandent des paiements en cash. »

Combien ?

« Il faut négocier. »

Cette phrase, vous l’entendez partout, dans les forêts, aux barrages routiers, sur les marchés. Souvent, les responsables forestiers commencent par demander 100-200 CFA (0,15-0,30 euro) par planche, mais le scieur tentera de faire baisser ce prix. S’il y parvient, le camion chargé de sapelli rapportera 40 000 CFA aux fonctionnaires (60 euros). Quand on sait que leur salaire mensuel moyen est d’environ 100 000 CFA (150 euros), on voit bien qu’il s’agit d’une activité rentable pour eux. Une fois l’affaire conclue, ils apposent souvent un tampon du MINFOF sur les planches, prouvant leur « légalité ». En théorie, cela signifie que le bois peut être distribué sans que le scieur ait besoin de verser d’autres pots-de-vin. Mais si un responsable supérieur visite le site, il faudra payer.

Plus des deux tiers des scieurs interrogés par Essiane et ses collègues ont déclaré que leur plus gros problème était le harcèlement par les fonctionnaires. Seuls 19 % ont cité des conditions de travail dangereuses, et à peine 10 % la difficulté d’obtenir un permis légal. Les 90 % restants n’ont même jamais pris la peine de faire une demande de titre légal. Pourtant, lorsqu’on leur parle, il devient rapidement clair qu’ils sont très contrariés d’avoir à travailler dans l’illégalité.

À 40 minutes de Djémiong, une route poussiéreuse vous emmène à Mbang, une ville plus importante située au milieu d’une concession de 300 000 hectares gérée par la Société forestière industrielle de la Doumé (SFID), une entreprise à capitaux français. Il y a quelques années, la SFID a autorisé les scieurs locaux à ramasser et traiter l’intégralité du bois qu’elle avait abandonné dans sa concession. Mais le MINFOF a fait savoir à l’entreprise que c’était illégal et la pratique fut donc interdite, suscitant la colère des petits exploitants de l’association Les Verts.

Mathieu Mbemouka, président des Verts, une association de scieurs basée à Mbang. Les Verts préféreraient payer une taxe au gouvernement que des pots-de-vin aux fonctionnaires pour avoir le droit de récolter du bois.

À présent, la seule manière d’obtenir du bois est de le négocier avec les propriétaires coutumiers.

« Nous obtenons un ordre de l’un de nos patrons en ville, trouvons un arbre adéquat, faisons une offre au propriétaire puis appelons le responsable local du MINFOF », explique Mathieu Mbemouka, président de Les Verts. Le représentant délivre aux exploitants un document attestant de leur droit d’usage pour abattre l’arbre. Ce permis n’autorise pas l’usage commercial, mais tout le monde, ainsi que le chef de poste du MINFOF, sait que le bois sera vendu. Les exploitants lui versent une commission en cash (après négociation, bien sûr) et le travail commence.

Mais le harcèlement ne s’arrête pas là.

« Une fois que le bois a été récolté, nous devons le mettre sur le marché », explique Gustave Bengono, un scieur de Mbang. « Chaque année, les barrages routiers semblent de plus en plus nombreux et le coût est supporté par les producteurs de la matière première – c’est à-dire nous. Cela signifie que nos revenus sont de plus en plus bas. »

L’étude du CIFOR suggère que les paiements versés en route ne varient pas en fonction du lieu, mais plutôt en fonction de l’autorité qui les exige, les fonctionnaires du MINFOF demandant environ 25 000 CFA (38 euros) par camion.

L’intérêt de l’abattage à la tronçonneuse pour l’économie rurale est clair. Chaque équipe se compose de quatre à cinq personnes : le scieur, son assistant et deux ou trois porteurs. Les études du CIFOR indiquent qu’environ 45 000 personnes habitant en zone rurale tirent directement parti de cette activité.

« Environ la moitié du coût de cette activité (soit 32 000 CFA, ou 50 euros, pour chaque mètre cube de sciage) est consacrée au paiement des salaires locaux », indique Lescuyer.

Et puis, naturellement, il y a les « paiements informels », qui représentent environ 9 % des coûts d’exploitation, selon le CIFOR. Cela inclut les versements aux fonctionnaires du MINFOF et à d’autres organismes gouvernementaux, ainsi que les paiements exigés par les administrations locales. Par exemple, dans la commune d’Akoeman, au sud de Yaoundé, les scieurs versent à la mairie une taxe informelle de 40 000 CFA (60 euros) par arbre abattu et une taxe annuelle de 100 000 CFA (150 euros) par tronçonneuse. À certains moments, il peut y avoir jusqu’à 150 tronçonneuses en activité dans la commune. Ces paiements sont très mal vécus par les scieurs – payer des taxes ne légalise pas pour autant leur activité –, mais ils représentent près de la moitié des recettes de la municipalité. L’exploitation illégale contribue donc à financer les services publics.

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