BOGOR, Indonésie (9 janvier 2014) – Si les décideurs politiques ne parviennent pas à évaluer soigneusement la façon dont ils définissent les forêts, ils risquent de compromettre le succès potentiel du programme REDD+, soutenu par l’ONU et visant à réduire les émissions issues de la déforestation et de la dégradation des forêts, selon des scientifiques.
Une étude de cas récente en Indonésie a constaté que des défis – comme savoir si les plantations d’eucalyptus et de teck doivent être classées parmi les «forêts» – pourraient avoir un impact significatif sur la mesure et la communication des émissions de carbone issues de la déforestation et de la dégradation, ainsi que sur l’évaluation des facteurs de déforestation.
«Les définitions fixent les paramètres selon lesquels on recueille des informations passées, présentes et futures sur les forêts, ce qui permet de concevoir un système de REDD+ plus efficace», déclare Louis Verchot, directeur de recherche sur les forêts et l’environnement au Centre de Recherche Forestière Internationale (CIFOR), scientifique et co-auteur d’un nouveau rapport.
«Si ces définitions ne sont pas claires et cohérentes, vous risquez de baser votre évaluation de la réussite sur des données inexactes. Vous pourriez penser que vous avez un impact plus important qu’il ne l’est en réalité.»
L’étude, qui a examiné les données historiques de déforestation dans des îles indonésiennes entre 2000 à 2009, a montré que les taux de déforestation étaient 28% plus élevés – 1,35 million d’hectares supplémentaires – en utilisant une définition nationale plutôt qu’internationale, ou en utilisant une définition qui reconnaît uniquement les forêts sans plantations.
L’Indonésie est l’un des grands émetteurs de gaz à effet de serre dans le monde – dont 85% proviennent de la conversion des terres et de la déforestation. Choisir une définition des forêts non adaptée aux circonstances nationales pourrait, en vertu du régime REDD+, revenir à exclure de grandes zones de déforestation et ajouter 200 millions de tonnes de carbone pompées dans l’atmosphère, selon le rapport. Ces émissions doivent être prises en compte pour que l’Indonésie honore son engagement de réduire les émissions de gaz à effet de serre globales de 26% d’ici 2020 et pour le succès de ses 44 projets REDD+ en cours.
L’étude de cas de l’Indonésie fournit des leçons importantes pour d’autres pays qui participent à des programmes REDD+, en particulier sur la nécessité de surveiller et de déclarer avec précision leurs émissions de carbone et leurs taux de déforestation.
Les données, recueillies à l’aide d’images satellites et d’inventaires des stocks de carbone, sont utilisées pour déterminer un niveau d’émission de référence national (REL), indice de référence à partir duquel on mesure le succès des actions REDD+ et qui sert de base au calcul des paiements.
Ainsi, si l’on ne réussi pas à couvrir de manière exhaustive toutes les sources majeures de la déforestation en raison des difficultés à définir les forêts, cela pourrait affecter la légitimité même du régime, selon M. Verchot. C’est pourquoi les gouvernements doivent faire un choix judicieux.
«La REDD+ fournit des incitations financières. Par conséquent, les décideurs politiques doivent être sûrs, lors de la présentation de leurs définitions à la Convention-cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques [CCNUCC], qu’elles sont exactes et résistent aux examens», ajoute-t-il.
Différentes définitions des forêts
Bien que le Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC) recommande que les pays signalent les pertes du couvert forestier et les émissions de gaz à effet de serre en utilisant une définition reconnue internationalement, telle que la définition de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), il n’existe pas de définitions convenues à l’échelle mondiale de la «déforestation» et de la «dégradation» au sein même de la CCNUCC. Les définitions varient d’un pays à l’autre et au sein des pays entre les niveaux national, provincial et local.
En Indonésie, la plupart des définitions sont déterminées par le Ministère des forêts (MOF) et les plantations (des forêts plantées d’une seule espèce, souvent non-native) sont considérées comme faisant partie du domaine forestier national.
Cela signifie que, selon la définition actuelle du MOF, les plantations de teck et d’eucalyptus sont classées comme des «forêts», ce qui pourrait avoir des implications majeures sur les émissions, dit M. Verchot.
Bien que les plantations forestières stockent du carbone, elles contribuent seulement à réduire les émissions quand elles sont plantées sur des terres dégradées dont les densités de carbone sont initialement plus faibles, ajoute-t-il. Par conséquent, on doit considérer l’histoire des sols, qui ont subit des plantations.
«Ce que la définition actuelle ne prend pas en compte c’est que, lorsqu’on remplace les forêts naturelles, telles que les tourbières, par des forêts de plantation, ceci libère d’énormes quantités d’émissions dans l’atmosphère», dit-il. «La CCNUCC a été très précise sur le fait que les émissions, issues de la conversion des forêts naturelles en forêts de plantation, doivent être prises en compte pour les projets nationaux de REDD+.»
Suivant ce précepte, les chercheurs du CIFOR ont décidé de réexaminer les données historiques de déforestation à travers des îles de l’Indonésie, pour voir dans quelle mesure la définition de la FAO, la définition de «forêt naturelle» excluant les plantations forestières et la définition du Ministère des Forêts auraient un impact sur l’évaluation des taux de déforestation et, par conséquent, sur les causes de la déforestation.
L’étude a révélé que, entre 2000 et 2009, les taux de déforestation étaient de 4,9 millions hectares en utilisant la définition de la FAO, de 5,8 millions hectares en utilisant celle de «forêt naturelle » (soit 18% de plus) et de 6,8 millions hectares en utilisant la définition du MOF (soit 28% de plus).
Le choix de la définition a aboutit à des résultats très différents.
Par exemple, en vertu de la définition internationale de la FAO, les zones arbustives sont considérées comme forêt secondaire, en fonction de leur couvert arboré et leur hauteur. Cela signifie que les vastes zones de forêt secondaire converties en zones arbustives au Kalimantan et en Sulawesi, entre 2003 et 2006, ne sont pas comptabilisées dans la «déforestation» selon la définition de la FAO. Dans ces zones, les taux de déforestation sont donc deux fois plus élevés avec la définition du MOF et celle de forêt naturelle, qu’avec la définition de la FAO.
En effet, plus de la moitié de la superficie totale déboisée en Indonésie entre 2000 et 2009 a été attribuée à la conversion de forêts secondaires en zones arbustives suivant les définitions nationale et naturelle du terme forêt, ce qui n’a pas été reconnu par la définition de la FAO.
Les définitions de la FAO et du MOF ne font aucune distinction entre une plantation et une forêt naturelle. Cela signifie que, lorsque plus de 130 000 hectares de forêts de tourbe, de mangrove et des hautes terres ont été convertis en plantations forestières à Sumatra entre 2006 et 2009, elles ont été reconnues comme étant déboisées seulement par la définition de forêt « naturelle ».
Sans faire de distinction entre les forêts naturelles et les plantations forestières, les données sont souvent trompeuses, dit M. Verchot. Il cite en exemple un pic des taux de «déforestation» à Java entre 2003 et 2006: les deux définitions du MOF et de la FAO ont considéré la conversion de 650000 hectares de plantations forestières en terres agricoles comme de la «déforestation», contrairement à la définition naturelle.
Quelle définition choisir?
Bien que l’importance de la définition de forêt naturelle soit de plus en plus reconnue par les ONG, les organismes de recherche et les négociations de la CCNUCC REDD+, M. Verchot souligne que le choix de la définition incombe aux décideurs politiques de l’Indonésie.
«Nous ne recommandons pas l’utilisation d’une définition particulière… nous voulons juste montrer les conséquences de certaines décisions concernant le choix d’une définition de la forêt. Une fois que ces conséquences sont comprises, les mesures d’atténuation des résultats indésirables, telles que la définition et la comptabilisation des émissions issues de la dégradation des forêts, peuvent être, par exemple, mises en place.»
Mais il reste des enseignements à retenir.
La première, selon M. Verchot, est que les définitions internationales, qui n’incluent pas les conditions nationales, peuvent laisser de côté une quantité importante de déforestation. «Pour l’intégrité des programmes REDD+ il est crucial de traiter différemment les forêts naturelles et les plantations.»
La deuxième, dit-il, «est que la façon dont vous définissez une forêt influe beaucoup sur ce que vous évaluez comme causes de déforestation et ce que vous faites à leur sujet. Si votre définition laisse de côté une partie importante de la déforestation, les politiques visant à réduire la déforestation risquent de laisser de côté une grande partie du problème et d’être inefficaces.»
Pour plus d’informations sur les paysages et les forêts, visitez le site http://www.landscapes.org/.
Pour plus d’informations sur les sujets abordés dans cet article, veuillez contacter Louis Verchot à l.verchot@cgiar.org
Ce travail s’inscrit dans le cadre du Programme de recherche du CGIAR sur les forêts, les arbres et l’agroforesterie.
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