VARSOVIE, Pologne — Les négociations climatiques des Nations Unies se sont ouvertes la semaine dernière avec un nouveau sens de l’urgence, alors qu’aux Philippines les responsables ont reçu l’impact brutal de l’un des plus puissants typhons jamais enregistrés, qui a frappé les côtes du pays quelques jours auparavant.
Des observateurs ont accusé le changement climatique d’être responsable de la taille et de l’échelle du super typhon – le quatrième cyclone le plus intense enregistré – qui a provoqué la mort ou le déplacement de milliers de personnes.
Lors des discours d’ouverture du sommet pour le climat au Stade national polonais à Varsovie, Yeb Saño, commissaire philippin au changement climatique, a annoncé sa grève de la faim, expliquant qu’il ne mangerait pas avant qu’un «résultat significatif soit en vue».
Tony La Viña, principal négociateur sur le changement climatique depuis 1997, a fait référence à la grève de la faim de Saño au cours d’un chat sur Twitter organisé par le réseau mondial des professionnels du développement de The Guardian et appelant les experts à partager leurs opinions sur la manière de construire une coalition mondiale pour mettre fin au changement climatique.
La Viña est le doyen de la School of Government, Ateneo de Manila University à Metro Manila aux Philippines. C’est un avocat spécialisé dans les droits de l’Homme et l’environnement, et un membre du comité directeur du Centre de Recherche Forestière Internationale (CIFOR).
La retranscription de la contribution de La Viña au chat du site internet du journal The Guardian est reproduit ci-dessous:
«Bonjour à tous. Je suis Tony La Viña, des Philippines. Je participe à ce chat depuis Varsovie, d’où je négocie les ADP (Ad Hoc Working Group on the Durban Platform for Enhanced Action) et l’utilisation des sols pour les Philippines. Sur la question de savoir si un mouvement trans-sectoriel modifierait la manière dont le changement climatique est actuellement traité, je pense que oui, ça la modifierait très certainement. Se reposer sur les scientifiques ou les gouvernements pour régler cela eux-mêmes s’est avéré inefficace. Les peuples indigènes, communautés locales, gouvernements locaux et autres doivent également participer à ce défi universel.
Il est clair que nous devons mobiliser les citoyens dans la bataille, pour combattre et s’adapter au changement climatique. Je suis d’accord, ce sont toutes les communautés d’experts qui doivent mobiliser les citoyens – des chercheurs sur le climat aux militants en passant par le secteur privé et les responsables gouvernementaux.
Cela ne doit pas être un acte symbolique cependant. De réels mécanismes de participation doivent être développés et mis en place. C’est particulièrement vrai pour les questions forestières et d’utilisation des terres, où les peuples et les communautés sont au centre de la ressource en question.
La communauté d’experts du climat doit toucher une plus large audience, afin que des solutions efficaces puissent être trouvées. C’est pourquoi je me réjouis du premier Forum mondial sur les paysages qui doit se tenir les 16 et 17 novembre.
Lors de ce forum, une combinaison de ce qui était les journées de la forêt et de l’agriculture lors des précédentes COP (Conférences des parties/conférences sur le changement climatique de l’ONU), nous allons dessiner le programme climat et développement pour les forêts et l’agriculture. Voir: http://www.landscapes.org/ for details.
Aider les pauvres à atténuer et s’adapter au changement climatique, je pense que c’est une priorité. Mais la meilleure manière de s’y prendre c’est en réalité de «travailler avec les pauvres».
Agriculteurs pauvres, peuples indigènes, femmes, communautés locales et autres populations vulnérables devraient prendre part au processus de planification de l’adaptation et de l’atténuation au changement climatique
S’ils sont des bénéficiaires passifs de l’aide, ça ne marchera pas et ils percevront cela comme quelque chose d’imposé. La clé du succès, c’est que les pays et les communautés possèdent ces programmes climatiques.
S’accuser les uns les autres de causer ou de ne pas agir contre le changement climatique n’est ni juste ni constructif, mais dire la vérité aux puissants est essentiel. Ainsi, nous devons dire qui est historiquement responsable, et qui porte plus de responsabilité.
C’est ce que les Philippines et de nombreux pays en développement ont constamment dit et devraient continuer d’affirmer.
La collaboration doit être basée sur la vérité; si l’on nie cela, nous ne serons pas en mesure de trouver des solutions bonnes et pratiques. Le défi est de savoir comment aller au-delà de la reconnaissance de l’évidence, et se mettre réellement d’accord sur ces solutions. C’est faisable, comme nous l’avons vu dans le domaine de REDD+ où nous avons vraiment fait de gros progrès.
Si nous pouvions faire de même pour l’agriculture en adoptant ici un programme de travail, ce serait bien par exemple. Une autre solution, c’est le mécanisme de pertes et dommages, que notre délégation et de nombreuses îles et états de pays en développement soutiennent. J’espère que nous ferons des progrès à ce sujet à Varsovie.
Pour en revenir aux progrès, je pense que nous avons été capables d’accomplir beaucoup de travail sur le sujet forêts et climat. Il reste encore beaucoup à faire, et nous devons développer une approche paysagère plus compréhensive pour y parvenir vraiment.
Mais nous nous en approchons et j’espère que nous verrons ces progrès lors du Forum mondial sur les paysages ce week-end, quand des chercheurs, des spécialistes, et défenseurs et spécialistes des forêts et de l’agriculture se rencontreront. Pour ceux qui souhaitent en savoir plus également sur le travail accompli dans le domaine de la forêt et du climat, vous pouvez vous rendre sur: http://www.forestsclimatechange.org/
Le succès obtenu sur le climat, les forêts et les pays en développement a été possible précisément parce que nous avons évité le jeu des accusations entre le Nord et le Sud et que nous avons adopté une approche pratique en mettant en place des incitations pour l’atténuation du changement climatique et l’adaptation des forêts.
Alors que l’accord sur certaines questions techniques, comme la vérification, et sur une question importante comme les bénéfices non-carbones doivent toujours être étudiés, il y a un esprit collaboratif à ce sujet au sein des négociations de la CCNUCC (Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques).
L’accord sur les sauvegardes était aussi essentiel, puisque ceux qui avaient des doutes quant à cette démarches sentaient écoutés, mais bien sûr, son application est importante.
Le fait que la REDD+ (Réduction des émissions liées au déboisement et à la dégradation des forêts) soit appliquée sur le terrain dans de nombreux pays est aussi utile car cela éclaire les négociations politiques. Donc la leçon n°1 est: trouver des moyens d’aller au-delà du jeu des accusations via une approche basée sur des incitations. Leçon n°2: rester informé des développements sur le terrain afin que des solutions pratiques soient identifiées.
Je dois maintenant partir pour retourner aux négociations.
Je voulais juste terminer en remerciant tous ceux d’entre vous qui ont exprimé leur sympathie envers les Philippines, suite à ce que Haiyan a fait subir à notre peuple. Je voudrais aussi appeler chacun d’entre vous à soutenir cette COP (la CCNUCC a 195 états membres – ou parties – et organise des Conférences des Parties annuels) afin que nous obtenions trois choses: un bon accord sur la mécanique de pertes et dommages, une avancée sur les financements climatiques en particulier pour l’adaptation, et une avancée vers un accord en 2015.
J’aimerais aussi appeler personnellement à soutenir notre principal négociateur Yeb Saño qui jeûne pour une issue juste de cette COP. Les jeûnes de solidarité et les déclarations de soutien sont les bienvenus.
Pour nous il est clair que ce désastre qui a touché le centre des Philippines – qui possède quelques unes des plus belles îles et des peuples les plus doux – se reproduira de nouveau et deviendra même pire à l’avenir, à moins que nous gagnions le combat contre le changement climatique.
Alors que je crois que l’adaptation doit être notre priorité, je suis aussi conscient que nous ne pouvons pas continuer à nous adapter si le changement climatique continue d’être exponentiel. Je crains que l’adaptation ne soit jamais capable de nous rattraper. La justice climatique est importante, pas seulement en raison des compensations mais parce qu’elle peut avoir un effet dissuasif sur les comportements.
C’est pourquoi une coalition mondiale de citoyens est tellement importante pour que le travail soit fait. Ce qui reste à faire est si énorme qu’il ne peut pas être accompli par les gouvernements seuls.
Ni l’adaptation ni la mitigation ne peuvent être accomplis par les gouvernements seuls. Il ne suffit pas de travailler à réduire ou éliminer l’utilisation de carburants fossiles. Notre approche et notre utilisation – la foresterie et l’agriculture – sont essentielles. Vous ne pouvez pas laisser toutes ces tâches aux agences des gouvernements nationaux ou aux communautés d’experts. Nous y sommes tous ensemble, comme une communauté mondiale et nous devons agir en conséquence.»
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