Chaque année autour du 3 Mars les villageois de Lukolela étaient préparés. Ils avaient fait ce qu’ils pouvaient pour protéger leurs maisons, ils sont restés à l’intérieur et ont attendu.
Chaque année le vent « 3/3 » ou « tiers du tiers » montait en hurlant le long du fleuve Congo, s’abattait sur le village pour une journée ou deux, puis disparaissait.
Mais les choses changent. Le vent 3/3 n’est plus à la hauteur de son nom. Il devient imprévisible. Cette année il est venu en Février et a soufflé furieusement pendant une semaine. Les gens n’étaient pas prêts, des cultures et bâtiments ont été détruits et deux enfants ont été tués par des chutes d’arbres.
« Quand le vent est venu il a semé la panique parmi les animaux parce que c’était un vent particulièrement fort », dit le berger Frédéric Nkakeduta de Lukolela. « Certains animaux sont morts et certains de nos maisons et la clôture des moutons ont été détruits. »
Lukolela est une petite ville isolée sur les rives du fleuve Congo en République démocratique du Congo à 540 kilomètres de Kinshasa.
À plusieurs jours en bateau de la capitale et sans routes de raccordement elle se sent loin des débats internationaux sur le changement climatique.
Pourtant, alors que les gouvernements hésitent sur les mesures à prendre, les résidents de Lukolela ressentent déjà les effets du changement climatique – et planifient des moyens de réduire son impact sur leurs vies quotidiennes.
Une quête pour des solutions
Anne Marie Tiani se trouve sous un arbre frangipanier, discutant sur ces changements avec des pêcheurs, des agriculteurs, des groupes de femmes et des administrateurs locaux. Elle est chercheuse chevronnée au Centre de recherche forestière international (CIFOR) et la gestionnaire du projet Changement climatique et forêts du bassin du Congo : Synergies entre adaptation et atténuation (COBAM) qui met en place des études pilotes dans six paysages du bassin du Congo y compris la zone autour de Lukolela.
« Durant les 10 derniers jours nous avons écouté les gens », dit-elle.
«Tout d’abord pour comprendre comment ils font face au changement climatique, comment il affecte leurs activités, leurs santés ainsi que leurs vies. Ensuite pour trouver des solutions possibles à ces problèmes et pour savoir comment ils pourraient les mettre en œuvre ensemble en tant que communauté. »
«Nous sommes là pour les accompagner dans la recherche de solutions. »
Vulnérabilité
Les habitants de Lukolela ont dit à l’équipe du CIFOR qu’au cours des dix dernières années la région a connu une série de changements climatiques qui rendent la vie plus difficile. En plus du vent peu fiable, la saison sèche s’est prolongée, affectant l’agriculture et causant des problèmes de santé en raison de l’accès limité à l’eau propre.
Ces dernières années ils ont également observé une petite saison sèche à l’intérieur de la saison des pluies, ce qui a eu des conséquences désastreuses pour les cultures de maïs et de manioc qui comptent tant pour les revenus.
Le climat plus sec signifie aussi que les niveaux moyens des rivières sont plus bas et les pêcheurs disent que cela affecte les stocks de poissons. Certaines espèces clés de poissons dépendent pour la reproduction des eaux de crue qui atteignent les zones de reproduction des milieux humides – mais maintenant depuis quelques années l’eau n’arrive pas aussi loin.
Il n’a pas été établi si ces changements sont des variations climatiques locales ou s’ils font partie des tendances plus globales du changement climatique induit par l’homme – mais ce qui est clair c’est que les moindres changements dans l’environnement affectent considérablement la vie de ces personnes.
Mélie Monnerat, coordinateur de la RDC du Réseau africain de forêts modèles, travaille en collaboration avec le CIFOR sur le projet. Lukolela fait partie de l’une des «forêts modèles» mise en place par l’organisation dans le pays qui encourage la gestion durable des paysages forestiers par les communautés locales.
Madame Monnerat dit que les gens qui vivent dans des villages comme celui-ci sont extrêmement vulnérables au changement climatique.
« Ils observent ces changements et ils ne savent pas quoi faire à ce sujet. Ils deviennent juste de plus en plus pauvres. Et parce qu’ils dépendent totalement des écosystèmes pour leurs subsistances ils sentent le moindre changement. Il y a un impact immédiat sur leurs vies quotidiennes », dit-elle.
«Papa revient et il n’y a pas de poisson sur la table ce soir. »
Puits de carbone – et armoire de cuisine
La deuxième plus grande forêt tropicale du monde, le bassin du Congo a reçu une attention mondiale pour son énorme potentiel de ralentir le rythme du changement climatique.
On l’estime à stocker 25 – 30 millions de tonnes de dioxyde de carbone qui si elles seraient libérées par la déforestation ou la dégradation des forêts augmenterait encore plus les températures mondiales. Dans un effort pour faire en sorte que le carbone reste bloqué dans les arbres et hors de l’atmosphère, 16 projets pilotes REDD+ (Réduction des emissions issues de la déforestation et de la dégradation des forêts) opèrent dans la région, faisant partie d’un système mondial qui vise à rémunérer les pays en développement pour maintenir les forêts debout.
Mais, dit Anne Marie Tiani, la recherche du CIFOR a souligné que la forêt n’est pas seulement un puits de carbone fournissant un bien mondial, c’est aussi un foyer et cellier pour près de 80 millions de personnes, dont la plupart sont très pauvres, qui dépendent des ressources de la forêt pour survivre et qui sont vulnérables aux dérèglements climatiques.
Le projet COBAM vise à étudier si les efforts pour réduire les émissions de carbone peuvent aussi aider ceux qui vivent dans la forêt à s’adapter à un climat en changement – et vice-versa.
« La communauté internationale promeut une synergie entre l’adaptation et l’atténuation – mais celle-ci n’a pas encore été testée », déclare madame Tiani.
« Par conséquent nous voulons réaliser des projets pilotes comme celui-ci pour voir comment la synergie entre l’adaptation et l’atténuation pourrait fonctionner sur le terrain. »
La ceinture verte de Lukolela
À Lukolela, au cours des ateliers communautaires menés par l’équipe COBAM, les villageois ont décidé de reboiser les berges et de planter une «ceinture verte» autour de leur ville.
En plus de contribuer à l’atténuation du changement climatique par le stockage de carbone, ceci aura également de nombreux avantages concernant l’adaptation, dit madame Tiani.
Les arbres vont réduire l’érosion et agir comme un tampon contre les inondations accrues et les vents violents. Si certaines espèces sont plantées, elles fourniront le village avec des fruits, des chenilles comestibles, du bois de chauffage et du charbon de bois – tout en réduisant la nécessité de couper d’avantage dans la forêt pour ces fins.
« Nous savons tous que ce n’est pas suffisant de seulement planter des arbres – s’il n’y a pas d’arbres autour de la ville, c’est parce que les gens les abattent », dit madame Tiani.
« Donc nous avons également discuté avec la communauté comment protéger les arbres qui seront plantés. »
«C’est l’un des objectifs du projet de sensibiliser sur l’importance des arbres, de sorte que quand les gens préservent la forêt ils ne pensent pas qu’ils le font pour les autres, mais d’abord pour eux-mêmes. »
« Ils ne plantent pas pour nous. Ils plantent pour eux-mêmes parce qu’ils ont compris l’importance des arbres. »
Les scientifiques reconnaissent que ces mesures ne peuvent pas résoudre tous les problèmes des villageois – et que les causes de ces problèmes ne sont pas simples. Mais ils disent que les techniques d’adaptation valent toujours à être partagées.
« Malgré le fait que nous ne sommes pas à cent pour cent sûrs que tous les problèmes qu’ils ont soulevé sont directement liés au changement climatique, nous allons tout de même travailler sur l’adaptation. C’est parce que l’adaptation est proche du développement. Nous allons aider les gens à surmonter leurs difficultés afin qu’ils soient en mesure de mieux gérer leur environnement », explique madame Tiani.
«La vision que j’ai c’est de revenir à Lukolela en dix ans et de voir une ville toute verte, une belle ville. De voir que les gens sont fiers d’avoir accomplit ceci par eux-mêmes, et d’autres viendront ici pour voir et pour reproduire ce qu’ils ont vu autre part. »
«Ceci est mon rêve pour Lukolela.”
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Le programme Changement climatique et forêts du bassin du Congo : Synergies entre adaptation et atténuation (COBAM) est mis en œuvre par le CIFOR avec le soutien de la Banque africaine de développement à la Communauté économique des États de l’Afrique centrale pour le financement du Programme de Conservation des écosystèmes du Bassin du Congo. Le projet fait partie du Programme de recherche du CGIAR sur les forêts, les arbres et l’agroforesterie (en anglais).
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