NAIROBI, Kenya — Soutenir l’exploitation forestière durable et attribuer une valeur monétaire au carbone stocké dans les concessions forestières gérées dans le cadre du mécanisme de REDD+ ne suffira pas à freiner la déforestation en Afrique centrale.
Dans l’ensemble du bassin du Congo, il est plus intéressant financièrement d’abattre la forêt pour la remplacer par des cultures de rente et l’initiative de REDD+ (Réduction des émissions issues de la déforestation et de la dégradation des forêts) est peu utile pour inverser cette tendance, selon une nouvelle étude.
Les scientifiques du Centre de recherche forestière internationale (CIFOR) et du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) ont travaillé ensemble sur une enquête de rentabilité des différentes utilisations des terres forestières en République du Congo et au Cameroun. Ces recherches s’inscrivent dans le cadre du projet FORAFAMA, qui vise à soutenir la gestion durable des forêts dans le bassin du Congo et le bassin amazonien du Brésil. Il est financé par le Fonds français pour l’environnement mondial (FFEM).
Malheureusement, avec les prix en vigueur sur les marchés du carbone actuellement, la REDD+ n’apporte pas de bénéfices supplémentaires importants
Les recherches révèlent à quel point les concessions au Cameroun et au Congo sont menacées par la demande en plantations agro-industrielles, principalement l’hévéa et le palmier à huile.
Au Cameroun, par exemple, 10 concessions d’exploitation forestière, 14 réserves forestières et six aires protégées sont menacées par des plantations industrielles établies qui cherchent à s’agrandir. La menace est plus faible et moins immédiate au Congo, qui compte seulement deux projets importants de promotion de plantations de cacao et de palmiers à huile. Toutefois, dans les deux pays, de futurs projets agro-industriels pourraient intensifier le risque de disparition des forêts.
Selon Guillaume Lescuyer, scientifique du CIRAD travaillant avec le CIFOR et l’un des auteurs de l’étude, il faut trouver de nouveaux moyens d’augmenter la valeur financière des concessions forestières pour réduire cette menace.
« Malheureusement, en raison des marchés du carbone, la REDD+ n’apporte pas de bénéfices supplémentaires importants », dit-il. « Pour améliorer la valeur financière des concessions, il est faudrait plutôt examiner les possibilités de combiner l’agroforesterie ou l’exploitation forestière artisanale avec l’exploitation forestière industrielle. Établir une gestion forestière crédible et à usages multiple au sein des concessions forestières constitue un défi majeur. »
POURQUOI L’EXPANSION AGRO-INDUSTRIELLE ?
Dans les deux pays, il existe plusieurs raisons pour expliquer l’expansion spectaculaire de la production de cultures de rente, à la fois industrielles et artisanales.
« Tout d’abord, l’agriculture industrielle est considérée comme un élément majeur des stratégies de développement économique, adoptées par les pays du bassin du Congo au cours des dernières années », déclare M. Lescuyer. « Elle est perçue comme un moyen de générer des opportunités d’emploi formels, d’augmenter les revenus et les exportations du gouvernement, et de contribuer au développement national. »
Dans cette région, de nombreuses entreprises nationales et multinationales sont prêtes à investir de grosses sommes d’argent dans des projets agro-industriels de palmiers à huile et de caoutchouc. Elles profitent de la hausse des prix de ces produits sur les marchés internationaux.
Cependant, la question va plus loin.
Les cultures de rente offrent également la possibilité de s’assurer, parfois même de s’approprier, des propriétés foncières pour faire un investissement rentable. Par conséquent, les projets impliquant une expansion agro-industrielle peuvent gagner la faveur des autorités nationales et autres investisseurs potentiels.
L’étude indique que si le bois d’une concession forestière est récolté de manière durable, les cultures de rente sont généralement plus rentables que l’exploitation forestière. Au Cameroun, par exemple, le caoutchouc d’un hectare d’une plantation industrielle a environ six fois plus de valeur, soit 8 045 dollars, que le bois issu d’un hectare de concession forestière géré durablement, soit une valeur de 1 408 dollars (voir le tableau ci-dessous) :
Le prix juste : valeur selon l’utilisation des terres
Utilisation des terres forestières au Cameroun | Valeur actuelle nette (USD) par hectare |
Caoutchouc (plantation industrielle) | 8 045 |
Caoutchouc (petite exploitation) | 3 759 |
Palmier à huile (plantation industrielle) | 2 999 |
Palmier à huile (petite exploitation) | 5 699 |
Cacao (petite exploitation) | 4271 |
Bois (concession gérée de manière durable) | 1,408 |
À l’exception de la petite production de cacao au Cameroun, les cultures de rente sont plus rentables que le bois récolté dans les concessions gérées de manière durable.
REDD+ ET PROFITS
Compte tenu de l’importance des forêts du bassin du Congo pour l’atténuation du changement climatique, l’étude souligne que, même lorsque la valeur du carbone stocké dans un hectare de concessions forestières gérées durablement est ajoutée à la valeur du bois, la rentabilité de la production ne change pas. La valeur actuelle nette de carbone stocké sur un hectare de concession forestière s’élève seulement à 113 dollars. Ceci n’est pas encore assez pour donner aux concessions forestières, gérées de manière durable, un avantage financier face à l’expansion agro-industrielle dans le bassin du Congo.
Néanmoins, M. Lescuyer affirme qu’il est trop tôt pour rejeter la REDD+ au profit de la gestion durable des forêts du bassin du Congo.
« Pour que la REDD+ puisse parvenir à sauver les forêts de la région, il faudrait une augmentation considérable de la valeur du carbone sur le marché mondial », explique-t-il. « Les récents engagements de la Chine et des États-Unis à mieux lutter contre le changement climatique sont un bon signe. Les négociations de la prochaine Conférence des Parties à Paris auront une influence déterminante sur le prix du carbone. »
Pour plus d’informations sur les sujets de cet article, veuillez contacter Guillaume Lescuyer à l’adresse g.lescuyer@cgiar.org.
Ces recherches s’inscrivent dans la cadre du Programme de recherche du CGIAR sur les forêts, les arbres et l’agroforesterie.
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