BOGOR, Indonésie (4 Février 2013) _ Le long débat sur la meilleure façon de conserver les forêts et d’améliorer les moyens de subsistance dans les pays riches en forêts tropicales a refait surface dans un rapport très récent (et pas encore officiellement publié) du Groupe indépendant d’évaluation (IEG) de la Banque mondiale, rapporté dans le Guardian* et relayé par un blog de REDD-Monitor*. Dans son rapport*, l’IEG conclut qu’il y a peu de preuves que i) le soutien aux zones protégées par l’Etat ait amélioré les moyens de subsistance des populations locales, ii) l’appui aux réformes sur les concessions du bois industriel ait conduit à un développement économique durable et inclusif, iii) les concessions de forêts naturelles soient gérées de manière durable.
Est-ce que, dans la révision de 2002 de sa « Forests Strategy » de 1991*, la Banque mondiale a eu tort de lever l’interdiction sur l’intervention dans des endroits où l’exploitation forestière a été réalisée dans des forêts tropicales humides et d’envisager les investissements dans tous les types de forêts ? Les lectures du rapport de l’IEG par le Guardian et le REDD-Monitor disent que « oui, absolument » et que la Banque mondiale ferait bien de déplacer son financement « loin du financement pour les entreprises forestières et des aires protégées gérées par les gouvernements, vers le soutien aux forêts contrôlées par les communautés, qui sont prouvées d’apporter des avantages pour l’environnement, les moyens de subsistance locaux et le climat mondial ».
La lecture même du rapport de l’IEG suggère une réponse plus nuancée, en notant les réussites – par exemple « Le soutien de la Banque mondiale aux réformes sur les concessions du bois industriel dans les pays tropicaux ayant des forêts humides a contribué à faire progresser l’état de droit, à accroître la transparence et la responsabilité … et à mettre en vigueur des normes environnementales » – ainsi que les lacunes, en particulier liées à l’amélioration des moyens de subsistance, la réduction de la pauvreté et le contrôle des opérations de la Banque mondiale dans le secteur forestier.
Malheureusement, il n’existe pas de réponse unique et facile à la meilleure façon de conserver les forêts et d’améliorer les moyens de subsistance dans les pays riches en forêts tropicales. Ceci est illustré dans un récent POLEX* qui s’appuie sur des preuves venant d’Afrique centrale discutées dans une étude et des documents associés*. Comme l’exposent ces articles et leurs sources, les conséquences pour les forêts et les gens sont beaucoup plus dépendantes de la conception et la mise en Å“uvre de l’intervention, et d’un partenariat constructif avec les communautés locales, que du fait que l’intervention soit dans une zone protégée ou une concession forestière. Il est également clair que des forces extérieures plus larges, telles que les conditions économiques et les politiques dans des secteurs qui touchent les forêts, ont un impact significatif sur les résultats visés.
D’un point de vue scientifique, le débat actuel montre également qu’une référence plus rigoureuse et systématique aux connaissances existantes est nécessaire. Des questions politiques controversées, tels que « Est-ce que les fonds publics doivent être utilisés pour investir dans la gestion durable des forêts ? Et si oui, comment ? », devraient être adressées avec des réponses fondées sur des preuves. Le CIFOR travaille avec des partenaires afin de mettre en place le concept de foresterie basée sur des preuves, à l’instar des sciences médicales et comme le suggère l’initiative Research to Action*. Cela ne veut pas dire que la recherche peut ou doit apporter toutes les réponses, mais plutôt qu’elle doit assurer que le débat politique soit dûment informé par les connaissances existantes. Il semblerait que ni l’évaluation ni le débat actuel n’aient pleinement bénéficié de telles contributions.
Enfin, le débat montre aussi que le concept de gestion forestière durable n’est pas claire et n’a pas de cadre opérationnel approuvé. Malgré plus de vingt ans de négociations, depuis que la Conférence de 1992 des Nations Unies sur l’Environnement et le Développement à Rio de Janeiro* ait abouti dans les Principes relatifs aux forêts*, la gestion durable des forêts est abordée de différentes manières par différentes instances. Dans son interprétation la plus étroite, il s’agit de la gestion du bois, ce qui semble être au centre du débat actuel. Une portée aussi limitée de la foresterie durable a également été introduite dans les négociations sur la REDD + de la Convention-cadre des Nations Unies sur le changement climatique.
En d’autres interprétations, tel que le Partenariat de collaboration sur les forêts, la gestion durable des forêts représente une approche plus large du développement durable, appliquée aux forêts et à la foresterie. Sans un meilleur accord sur ce que l’on entend par gestion durable des forêts, le débat actuel est difficile à résoudre. Nous devrions envisager la gestion durable des forêts comme un processus de coévolution entre les besoins changeants de la société, la forêt changeante, l’évolution du marché et une industrie qui s’oriente vers des normes d’efficacité plus élevées.
Notre objectif devrait être de maintenir des écosystèmes forestiers fonctionnels qui fournissent un flux continu de biens et de services pour le bénéfice de tous. Il est possible que l’intérêt accru porté au paysage dans son ensemble, avec une perspective intersectorielle, puisse fournir un cadre approuvé pour les actions politiques. Si ceci est le cas, faut-il disposer du concept de gestion durable des forêts dans la poursuite du développement durable et de la gestion rationnelle des ressources naturelles ?
* liens non traduits en français
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