Histoires de viande de brousse: les voix du bassin du Congo

LUKOLELA, République démocratique du Congo (14 Novembre, 2012)_Les chasseurs, les commerçants, les scientifiques et les écologistes ont tous une vue différente de la viande de brousse. Mais ils sont d'accord sur une chose - les animaux sont en train de disparaître.
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Le chasseur :

Armé d’un long harpon, d’une machette et d’un fil pour poser des pièges, Tamanga Ekwayoli pourchasse un animal sauvage.

Monsieur Ekwayoli vit dans un village en bordure de la réserve forestière du Lac Tumba-Lediima près de Lukolela dans la République démocratique du Congo. Il a chassé la plupart de sa vie.

« J’aime la chasse parce que je peux gagner de l’argent rapidement », dit-il. « Si Dieu m’aide aujourd’hui, je peux attraper certains animaux, comme les singes, sangliers ou antilopes. »

Monsieur Ekwayoli utilise une branche pour fixer une boucle en fil mortelle au sol, en suite il la couvre de feuilles. Un jeune arbre vivant penché par un autre fil fournit le ressort qui serre la boucle fermement.

Quand il chasse, monsieur Ekwayoli pose 50 à 100 de ces pièges chaque jour. « J’ai besoin de les laisser seuls pendant deux semaines car il faut un certain temps afin que  mon odeur humaine disparaisse du piège », dit-il.

Quand il revient deux semaines plus tard, il dit qu’il trouve en moyenne une demi-douzaine de petites antilopes et quelques porcs-épics ou sangliers.

« Si j’attrape 4 ou 5 animaux, je vends quelques-uns et en garder pour ma famille. Si la prise n’est pas grande, je la garde pour ma famille. »

Mais trop souvent, dit-il, il n’a pas de surplus.

« Quand j’ai commencé la chasse il y avait beaucoup d’animaux. »

« J’avais l’habitude d’attraper plus de singes, sangliers, porcs-épics, chimpanzés et d’antilopes pour la vente dans le village. Ce sont ces types d’animaux que les villageois préfèrent. »

« Mais ils sont de plus en plus difficile à trouver. »

Le commerçant :

Jeanne Mwakembe vend un crocodile et une grande antilope au marché Moutuka Nunene à Lukolela village, RDC.

« Chaque mardi ou mercredi nous prenons notre canoë et voyageons durant deux jours jusqu’à Manga, » dit-elle, tout en poussant son couteau dans la cuisse poilue de l’antilope. « Nous achetons de la viande de brousse et l’amenons ici. »

« Nous achetons nos animaux des chasseurs qui ont été dans la forêt. Dans ces forêts il y a des crocodiles, singes, antilopes, écureuils, porcs-épics – et parfois nous obtenons des éléphants. »

Selon la tradition certains animaux sont réservés exclusivement aux hommes. Mais tout le monde a un favori.

« Personnellement, je préfère le crocodile », ajoute madame Mwakembe.

Il peut s’agir simplement de marketing – pendant qu’elle parle, madame Mwakembe prépare des morceaux de crocodile pour ses clients, les enveloppant dans des feuilles fraîches de bananes vertes.

« Dans notre village, beaucoup de gens mangent la viande de brousse », dit-elle.

Mais les animaux prisés deviennent plus rares.

« Avec seulement deux animaux on peut faire beaucoup d’argent », explique madame Mwakembe.

« Mais maintenant, il m’arrive de voyager pendant deux jours, laissant mon mari et mes enfants à la maison, et je reviens quand même les mains vides. »

« Nous sommes très inquiets. »

Le conservateur :

Jean Mapima est l’administrateur en chef de la réserve forestière du Lac Tumba-Lediima, une nouvelle aire protégée créée en 2006.

Monsieur Mapima dit qu’il y a eu une augmentation de la quantité de chasses dans et autour de la réserve.

« Traditionnellement la chasse a été fait principalement pour la subsistance, pour la consommation familiale. Cependant, les gens pratiquent de plus en plus la chasse commerciale qui progresse rapidement – nous voyons ceci comme quelque chose de très, très dangereux », dit-il.

L’équipe de gardes forestiers de monsieur Mapima effectue quotidiennement des patrouilles anti-braconnage pour essayer de protéger les animaux vivant dans la réserve – mais il est conscient que la solution n’est pas simple.

« L’origine de la chasse commerciale peut remonter à la pauvreté, au manque d’autres moyens de subsistance pour la population. C’est pourquoi les gens pratiquent la chasse, pour acheter des médicaments pour les enfants, pour acheter des vêtements. »

« Mais par cette chasse nous encourons le risque de l’extinction de certaines espèces. »

Monsieur Mapima a confisqué un arsenal de lances, de fusils et de pièges. Il dit que les conflits permanents au Congo ont eu un impact sur les types d’armes utilisés.

« Il y a une augmentation des armes à feu de chasse sophistiquées. Il y a aussi la vente et le trafic des balles de ces armes à feu. »

« Nous avons même saisi des armes de guerre des gens qui chassent dans la réserve », dit-il.

Mais la position ferme de monsieur Mapima n’a pas rendu son équipe appréciée par la population des environs. Les gardes forestiers sont confrontés à la menace de violence de la part des villageois en colère au sujet des restrictions, et l’accès à la nourriture est devenue un problème.

« Les gens du village ont refusé de nous vendre du poisson. Ils disent que, puisque nous les empêchons de chasser et d’avoir de la viande, ils vont se venger en ne pas nous vendant du poisson », déclare monsieur Mapima.

En pratique cela signifie que monsieur Mapima est végétarien. La viande de brousse est la seule viande disponible et il refuse de la manger.

« Par ma conscience c’est douloureux pour moi de manger de la viande pendant que j’empêcher les gens de chasser. Ce n’est pas honorable pour moi de la manger », dit-il.

« Les animaux sont devenus comme mes enfants, mes amis, et il est donc très difficile pour moi de manger de la viande. »

Le scientifique :

Robert Nasi, chercheur pour le Centre de Recherche Forestière International (CIFOR), dit que la chasse en RDC et à travers du bassin du Congo deviens de moins en moins durable.

« Les principales tendances ont été une augmentation de la quantité d’animaux capturés, principalement liée à l’augmentation de la population dans la région », dit-il. « Il s’agit clairement d’une surexploitation dans certains endroits, on peut donc dire que ceci n’est pas durable, oui. »

Cela a des conséquences pour les deux, l’homme et l’environnement, dit-il.

« Si la ressource disparaît, les gens ne seront pas en mesure de chasser et il y aura une pénurie de nourriture, il y aura une pénurie de protéines quelque part. Et d’autre part, la plupart des animaux qui sont chassés jouent un rôle important dans la dissémination, la suppression ou la prédation de graines, de sorte que ceci peut déclencher un changement à long terme dans le type de forêt. »

Mais, dit monsieur Nasi, la recherche du CIFOR a montré qu’une interdiction totale de la chasse n’est pas la solution, car les populations rurales ont très peu d’alternatives pour obtenir la protéine essentielle et continuent de chasser illégalement.

« Dans les zones rurales du bassin du Congo les populations dépendent de 60 ou 80 pourcent de la viande de brousse pour leur apport en protéine. Et le reste provient de poissons, de larves, de chenilles etc. – il n’y a pas de bétail. »

« S’il n’y a pas d’alternative, ce type de réglementation générale ne fonctionne pas. »

En fait, dit monsieur Nasi, le remplacement des 6 millions de tonnes de viande de brousse consommées chaque année dans le bassin du Congo par du bœuf, par exemple, aurait des conséquences catastrophiques pour l’environnement.

« Six millions de tonnes est environ la production de viande bovine du Brésil, qui a été estimé responsable de 60 à 70 pourcent de la déforestation dans le bassin de l’Amazone », dit-il.

« Donc, nous parlons d’environ 20 ou 25 millions d’hectares de forêt anéantis pour mettre du bétail – car le bétail ne peut pas vivre dans la forêt, il a besoin de pâturages. »

Monsieur Nasi suggère qu’une solution serait d’interdire la chasse d’espèces vulnérables – les gorilles et les éléphants – tout en permettant aux gens de chasser des espèces plus résistantes, comme les céphalophes (petites antilopes) et les porcs-épics.

« Une part importante des animaux récoltés par le gens sont des rongeurs, quelque chose comme 60 ou 70 pourcent des prises. Et beaucoup de ces rongeurs sont comme des rats. Ils se reproduisent très vite, ils sont résistants à la chasse. »

En outre, dit-il, la consommation doit être prise en compte, en particulier dans les zones urbaines où les gens ont accès à des sources domestiques de viande.

« Tant qu’il y a quelqu’un qui est prêt à acheter, les gens vont chasser, c’est ce que vous voyez dans tout commerce illégal. »

Pour plus d’histoires du Bassin du Congo, cliquez ici.

La recherche du CIFOR sur la viande de brousse fait partie du Programme de recherche du CGIAR sur les forêts, les arbres et l’agroforesterie (en anglais).

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