Alors que la REDD+ a évolué et s’est développée, de nombreuses opportunités, synergies et défis ont émergé, en particulier en lien avec les régimes fonciers et les financements. L’Etude comparative globale de la REDD+ actuellement menée par le CIFOR fournit des leçons pour mener les transformations structurelles nécessaires afin que cadre fonctionne. Ces problématiques transcendent le secteur forestier, et pour les résoudre, il faut coordonner des secteurs multiples et intégrer des politiques à plusieurs échelles.
Depuis son lancement, la REDD+ ou Réduction des émissions liées au déboisement et à la dégradation des forêts, a évolué du stade d’outil pour l’atténuation du changement climatique basé sur le stockage de carbone, vers un cadre complexe, aux multiples facettes, qui opère via des niveaux de gouvernance multiples.
Sa mission s’est également étendue et on pourrait atteindre une surcharge d’objectifs. Au sein de la CCNUCC, le cadre REDD+ rassemble les droits de l’Homme (avec un accent particulier sur les droits des peuples indigènes), la préservation de la biodiversité, une gouvernance plus solide dans les pays en développement, et, plus récemment, l’acceptation de bénéfices carbones et non-carbones, d’approches alternatives et de liens avec l’adaptation. De même, le débat sur la finance a dépassé les marchés carbone et les compensations pour inclure des sources de financement multiples.
Comme la recherche “Etude comparative globale de la REDD+” du CIFOR le montre, cette évolution de la REDD+ a généré une série d’opportunités et de plans de synergie au sein de ces objectifs multiples. En même temps, les difficultés de son application sont apparus: les entreprises de grande échelle et le secteur publique s’allient étroitement sans s’attaquer aux causes sous-jacentes de la déforestation; il faut plus de certitudes sur les financements; et il existe des problèmes fonciers sérieux et complexes.
Alors que la REDD+ continue son évolution et se déplace vers des paysages plus larges, des données suggèrent que son succès dépendra de réformes allant au-delà du secteur forestier et incluant le foncier et d’autres aspects de la gouvernance. Les utilisateurs de la REDD+ devront saisir les opportunités et faire face aux défis qui émergeront lorsqu’ils intégreront les efforts déployés à de multiples échelles et qu’ils développeront la coordination entre les secteurs et les paysages.
BESOIN DE CLARIFIER LE FONCIER
Au niveau local, la REDD+ se développe dans un environnement où les régimes fonciers existants compliquent son implantation. Pour que la REDD+ réussisse, il est nécessaire d’identifier non seulement les membres de la communauté qui détiendront le droit d’accès aux flux de liquidités anticipées des bénéfices REDD+, mais aussi ceux qui porteront la responsabilité d’assurer la réalisation des activités REDD+. De plus, les acteurs de la REDD+ – tant les membres des communautés que les promoteurs – pourraient demander des droits exécutoires à l’exclusion pour protéger les activités REDD+ contre les plaintes extérieures, comme celles provenant de personnes qui voudraient convertir les forêts en des zones à des fins non forestières.
Cependant, il est difficile d’assurer la clarté et la sécurité du foncier pour toutes les parties prenantes dans de nombreux pays tropicaux en développement, car l’état est officiellement propriétaire de vastes zones de forêts et en dehors de ce domaine, il est souvent difficile de distinguer ce qui constitue officiellement des «forêts». De plus, les positions des gouvernements sur les revendications coutumières et la formalisation de l’accès ou des droits à la propriété peuvent ne pas correspondre aux efforts entrepris pour établir une fondation forestière communautaire pour la REDD+. Ces paysages sont aussi souvent caractérisés par un déséquilibre des pouvoirs entre l’agro-business de grande échelle et les communautés situées à la limite de la forêt. Dans ces conditions, beaucoup de promoteurs de la REDD+ estiment que la propriété foncière est leur principal défi, plus que le désavantage (actuel) économique de la REDD+.
Pour tenir les promesses de la REDD+, ses promoteurs doivent comprendre en profondeur le paysage dans lequel ils opèrent
Pour tenir les promesses de la REDD+, ses promoteurs doivent comprendre en profondeur le paysage dans lequel ils opèrent. Ils doivent comprendre le contexte plus large de planification de l’utilisation des terres autour de leurs sites, ainsi que les dynamiques de migrations non planifiées, les colonisations spontanées, les appropriations et les revendications concurrentes des terres, qui pourraient toutes contrecarrer leurs efforts. Ils doivent être pleinement informés des dynamiques de développement, non seulement en agriculture et en foresterie, mais aussi concernant les exploitations minières et les infrastructures. Ils doivent aussi identifier les éléments de gouvernance à différentes échelles qui pourraient les desservir.
CONSTRUIRE SUR DES POLITIQUES ET DES INSTITUTIONS EXISTANTES
Dans un contexte national, l’Etude comparative globale de la REDD+ du CIFOR a montré que les processus REDD+ amènent des changements structurels plus rapidement dans les pays ou les politiques de changement corrélées leur ont déjà préparé le terrain. Par exemple, l’élément déclencheur qui a permis une chute importante des taux de déforestation au Brésil date de 2005, bien avant la REDD+, avec des politiques de réglementation contraignantes et des interventions ciblées sur les filières de produits de base, comme le boycott de produits d’élevage et de soja.
Les analyses par le CIFOR de politiques REDD+ réussies ont permis d’identifier le besoin de combiner certaines fonctions au sein d’un pays. Premièrement, les pays qui ont déjà initié des changements institutionnels ont réalisé de plus grands progrès dans la conception de la REDD+, quand la pression sur les ressources forestières était élevée et qu’une législation, une politique et une gouvernance forestière efficaces étaient aussi en place. Deuxièmement, il est aussi important d’avoir le sens de la propriété nationale et des coalitions pour des changements structurels en présence – mais elles ne sont efficaces que dans un environnement institutionnel favorable.
En même temps, les pays les plus performants travaillent à changer leurs politiques nationales de gestion des terres et leurs politiques foncières pour qu’elles soutiennent la mise en œuvre de la REDD+. Par exemple, le Registre de l’environnement rural du Brésil (CAR) exige qu’au moins 80% des terres privées se trouvent sous la couverture forestière (en accord avec le Code forestier brésilien), et enregistrer ses titres de propriété auprès du programme national Terra Legal constitue un prérequis. C’est pourquoi les promoteurs brésiliens travaillent étroitement avec le gouvernement, un partenaire clé pour promouvoir le respect des normes environnementales et clarifier les arrangements fonciers. Des données prouvent, cependant, que l’utilisation seule de registres n’a pas conduit à réduire la déforestation dans les états de Para et Mato Grosso, et les problèmes d’implantation de Terra Legal ne sont pas complètement réglés.
En Indonésie, les promoteurs utilisent techniquement des instruments similaires pour accompagner l’application de droits à l’exclusion. Les promoteurs utilisent la catégorie foncière relativement nouvelle de hutan desa (forêts domaniales) pour revendiquer des droits de gestion officiels pour les communautés, construisant de fait un rempart contre les contre-revendications de concessionnaires de palmiers à huile. De même, les promoteurs REDD+ utilisent les Concessions de restauration de l’écosystème (ERC) pour consolider leurs droits fonciers sur les forêts qui doivent être protégées, face et contre les plans concurrents d’utilisation des terres. Dans les deux cas cependant, les promoteurs rapportent que les procédures bureaucratiques demeurent un défi.
LECONS JURIDICTIONNELLES
Des douzaines d’initiatives REDD+ sont en cours au niveau «juridictionnel», c’est-à-dire, dans une unité de gouvernance formelle, comme l’état, la province, la municipalité ou le district. En théorie, cette approche a de nombreux avantages: poids de l’autorité de l’état; coordination entre les différentes branches du gouvernement, les secteurs (ex: agriculture, foresterie, infrastructure, mines, organismes sociaux) et échelles (niveaux local à national); accès à des financements opérationnels au moins de faible niveau; et une plus grande capacité à faire face aux pertes.
Des organisations de certification ont pris note de ces avantages. Le Verified Carbon Standard (VCS) a développé un cadre de REDD+ juridictionnel pour comptabiliser et attribuer des accréditation aux niveaux national et territorial. CCBA et CARE ont créé l’Initiative de sauvegarde sociale et environnementale (Social and Environmental Safeguards Initiative) pour les programmes juridictionnels REDD+ qui réussissent à atteindre des objectifs sociaux et de biodiversité.
L’une des limites de la REDD+ juridictionnelle est que, bien qu’elle implique des secteurs variés, elle ne résout pas leurs intérêts en concurrence. De plus, elle requiert une source de financement conséquente et durable – qui dépasse généralement les ressources fiscales de l’état – et, très important, qui est vulnérable face aux politiques électorales, puisqu’un changement de direction peut bloquer les progrès de la REDD+.
Dans la Déclaration de Rio Branco d’août 2014 les états et provinces membres de la GCF s’engagent à réduire leur déforestation de 80% d’ici 2020
Le Système d’encouragements pour les services environnementaux de l’état d’Acre (SISA) au Brésil en est un exemple, largement perçu comme un modèle mondial de REDD+ juridictionnelle et leader de l’innovation issue de la base (bottom-up) pour le développement de faibles émissions en milieu rural. Unique pour avoir piloté le VCS dans un cadre de REDD+ juridictionnelle, le SISA a fortement influencé d’autres états d’Amazonie. Un des défis actuels du SISA est sa recherche de financements alternatifs pour faire face à sa dépendance massive des donations internationales, alors qu’il ne peut pas encore se reposer sur la commercialisation des compensations du carbone forestier.
Autre exemple: le Groupe de travail des gouverneurs sur le climat et les forêts (Governors’ Climate and Forest Task Force, GCF), un groupe de travail mondial de 26 états membres à travers sept pays (www.gcftaskforce.org). Le GCF est un pionnier de la REDD+ juridictionnelle et il fournit un forum de communication et de coordination au sein de ses membres. Dans la Déclaration de Rio Branco d’août 2014 les états et provinces membres de la GCF s’engagent à réduire leur déforestation de 80% d’ici 2020, avec l’aide de la communauté internationale qui apporte des financements basés sur les performances. Les gouverneurs s’engagent aussi dans cette Déclaration à allouer une partie importante des retombées économiques aux communautés dépendantes des forêts et aux peuples indigènes.
ENGAGEMENTS DU SECTEUR DES ENTREPRISES PRIVEES
Les entreprises du secteur privé font des efforts pour supprimer la déforestation des chaînes de valeur des produits. Le commerce et l’investissement mondiaux dans des produits agricoles tels que l’huile de palme, le bœuf, le soja, la pâte à papier et le papier, et le caoutchouc se sont considérablement accrus ces vingt dernières années, induisant des taux élevés et continus de déforestation dans de nombreux pays en développement. Dans le même temps, les pays consommateurs ont pris de plus en plus conscience des impacts de l’importation biens alimentaires ou non-alimentaires et de produits manufacturés sur la déforestation tropicale. Un produit en particulier – l’huile de palme – a été l’objet de vives critiques de la part d’ONG pour ses liens avec la déforestation. La pression constante et la couverture sur les médias sociaux d’organisations comme Greenpeace, WWF et le Forest Peoples Programme ont contribué à former la demande croissante des consommateurs pour des marchandises produites de façon durable. Après un premier engagement d’un petit nombre d’entreprises (notamment Nestlé, Golden Agri-Resources, Wilmar, Hersheys et Unilever) en 2011-2013, l’année 2014 a vu bondir les engagements d’entreprises pour une déforestation zéro dans les chaînes d’approvisionnement en huile de palme, et de plus en plus pour d’autres produits. Par exemple, Cargill a étendu son engagement initial à une politique de production d’huile de palme «Sans Déforestation, Sans Tourbe, Sans Exploitation» et à vérifier la source de tous les produits à compter du 24 septembre 2014. Ce déferlement d’engagements est manifeste dans le nombre de signataires (40) de la récente Déclaration de New York sur les déclarations d’actions et plans d’action pour les forêts.
L’examen mondial et régional des pratiques des entreprises en agro-business ont contribué à la création de la Table ronde pour l’huile de palme durable en 2004 (d’autres plateformes multi-acteurs ont suivi sur le soja et les biocarburants notamment), la décision du Fond souverain norvégien pour la santé de se détourner de 23 entreprises de production d’huile de palme en 2013, la suspension en 2012 des prêts de la Société financière internationale au secteur de l’huile de palme et les changements de pratiques de prêts des banques et des investisseurs.
FINANCER DES PAYSAGES DURABLES
Financier – et plus particulièrement transférer des fonds et des technologies des pays développés aux pays en développement – a toujours été une des questions les plus controversées des négociations CCNUCC. Le consensus non-officiel est que les pays développés doivent mobiliser 100 milliards de dollars US pour financer les projets climat chaque année d’ici 2020. Le destinataire attendu de ces ressources est le Fonds vert pour le climat, qui cherche à obtenir entre 10 et 15 milliards de dollars US d’ici fin 2014.
En comparaison, les aides nationales et internationales pour les énergies fossiles ont représenté plus de 500 milliards de dollars US à travers le monde en 2011, ce qui demeure un obstacle clé à l’investissement dans les économies faibles en carbone et résiliantes au climat.
Jusqu’à présent, les efforts en matière d’atténuation du changement climatique (comprenant la REDD+), ont reçu l’essentiel des fonds – 350 milliards de dollars US estimés (en provenance du secteur privé et public) ) contre seulement 14 milliards pour l’adaptation. Résultat de ce déséquilibre, l’adaptation est devenue plus importante dans les négociations que le nouvel accord climat.
De plus, une analyse récente de 115 projets pilotes REDD+ révèle une concentration des financements dans les grands pays émergeants et les pays riches en ressources. Par exemple, 19 des 30 projets asiatiques – couvrant au total une zone de presque 10,5 millions d’hectares – se trouvent en Indonésie, un des huit pays ciblés dans la région.
Pour atteindre l’objectif de 100 milliards de dollars US par an, il faudra transformer l’échelle et le rythme des financements publics et privés à la fois pour l’atténuation et l’adaptation
Pour atteindre l’objectif de 100 milliards de dollars US par an, il faudra transformer l’échelle et le rythme des financements publics et privés à la fois pour l’atténuation et l’adaptation. Il faudra aussi élargir et complexifier les transitions vers les économies faibles en carbone. Nous avons besoin de nouvelles manières de présenter et de distribuer les fonds pour atteindre les pauvres ruraux et urbains. L’OCDE précise par exemple le besoin de «restreindre l’utilisation des finances publiques pour cibler des zones où les financements privés ne seront pas disponibles ou suffisants, comme pour l’adaptation et la REDD+».
Le financement REDD+ distribué via la création d’une nouvelle classe d’actifs doit encore cependant prendre forme. La promesse de financement basée sur les performances joue un rôle positif dans la réalisation de la REDD+ quand elle est appliquée dans des pays qui dirigent le processus eux-même et qui sont fortement attachés à la propriété nationale. Là où le sens de la propriété est faible – là où les donneurs mènent le processus – la promesse de fonds financiers étrangers basées sur les performances ne paraît pas pertinente.
On s’attend à ce que le secteur privé comble le manque de financement pour faire face au changement climatique. Impliquer le secteur privé peu aussi apporter d’autres avantages, comme la possibilité d’exploiter sa capacité technique pour réussir l’atténuation du changement climatique et l’adaptation et de mobiliser des investissements plus importants pour des paysages durables.
Cependant, le système financier mondial actuel n’est pas fait pour servir les économies rurales dans les pays en développement. Les producteurs ruraux doivent faire face à des risques agricoles majeurs qui prennent la forme de désastres naturels (évènements météorologiques extrêmes) et lors de la production les technologies, le financement, les lois et politiques, et la volatilité des prix (des intrants et extrants). Ces risques potentiels et leurs impacts négatifs sur la récolte, le prix, le capital et les moyens de subsistances font chuter les revenus des producteurs, accroissant ainsi la probabilité de défaut de paiement. Le problème du droit foncier précaire combiné au manque de garanties font des prêts à l’agriculture, l’agroforesterie et la foresterie des investissements à haut risque dans les pays en développement.
CONCLUSION
La REDD+ pourrait jouer un rôle déterminant pour parvenir à un développement durable, atténuer le changement climatique et s’y adapter. Cependant, son succès dépend d’abord de la réalisation de changements structurels, à savoir de modifications majeures dans les discours, les relations de pouvoir et les encouragements économiques pour valoriser les forêts debout. Résoudre ces questions demande de la coordination et une intégration politique allant au-delà des multiples secteurs et échelles.
La perception des promoteurs de la REDD+, selon laquelle le foncier est un défi prioritaire, doit être prise au sérieux, de même que le besoin pour les promoteurs de la REDD+ de comprendre le paysage dans lequel ils opèrent, puisque les activités REDD+ se déroulent au sein d’un contexte d’objectifs de développement plus larges.
Résoudre ces questions demande de la coordination et une intégration politique au-delà des multiples secteurs et échelles
Alors que les pays s’orientent vers la mise en œuvre, l’émergence d’initiatives REDD+ juridictionnelles est encourageante, puisqu’elle présente l’avantage de coordonner les différentes branches d’un gouvernement au-delà des secteurs et des échelles. Les pays pourraient largement bénéficier du constat suivant: les processus REDD+ mènent plus rapidement à des changements structurels quand des voies politiques pertinentes et des cadres légaux sont déjà en place. La multitude d’initiatives internationales et le développement continu de l’effort REDD+ semblent porter leur fruits suite aux engagements et aux actions à différents niveaux.
Cependant, le financement demeure problématique. Les gouvernements, donateurs, ONG et organismes de recherche ont encore beaucoup à apprendre sur le travail avec des acteurs d’entreprises (y compris les investisseurs institutionnels), et pour identifier des moyens d’encourager les investissements privés dans ce qui est souvent perçu comme des marchés émergeant «à hauts risques et faibles revenus».
Les engagements récents du secteur privé représentent un pas important sur la longue et difficile route vers la durabilité. Les contextes de gouvernance dans chaque pays où telle marchandise est produite, ou d’où elle provient, influencera sérieusement la manière dont les entreprises traduiront leurs promesses en actions tangibles. De plus, on ne sait pas encore clairement à quel point – ni à quel rythme – les acteurs d’entreprises seront capables de provoquer des changements dans leurs systèmes de production et leurs chaînes d’approvisionnement, et d’être finalement en mesure d’apporter des preuves crédibles et indépendantes de progrès. Pour atteindre ce stade, il faudra notamment arbitrer les conflits territoriaux non résolus entre les entreprises et les communautés.
Note de l’éditeur: cet article a d’abord été publié sur le site Climate Action.
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