Arbres et robots : comment l’IA peut-elle bénéficier aux solutions climatiques ?

Vers une mise en commun numérique pour des actions fondées sur les données
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Des Chercheurs Ghanéens suivent la croissance des arbres à l’aide de l’application ReGreening Africa. Photo de Kelvin/CIFOR-ICRAF.

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Ces derniers temps, les progrès réalisés en matière d’IA sont au cœur de toutes les préoccupations. D’ici 2030, les experts estiment que le secteur de l’IA pourrait contribuer à l’économie mondiale à hauteur de 10-15 milliards de dollars, bien que le potentiel d’expansion rapide de cette technologie soulève également d’épineuses questions sur le plan éthique.

Les opportunités que l’IA présente pour l’adaptation au changement climatique et l’atténuation de ses effets ainsi que pour la restauration des écosystèmes restent pourtant sous-évaluées. Comme l’a déclaré en juillet dernier António Guterres, Secrétaire général de l’ONU, l’IA peut avoir un « effet multiplicateur sur les actions en faveur du climat », mais également poser d’autres risques climatiques et sociaux, c’est pourquoi il devient urgent de développer l’IA avec des méthodes fiables, sécurisées et équitables.

Nous pouvons par exemple nous servir de l’IA pour créer des systèmes d’alerte précoce qui sont à la fois réactifs et effectifs en cas d’événement climatique extrême, ainsi que pour mieux prédire quelles cultures planter en fonction des changements des conditions climatiques. L’IA pourrait également nous aider à savoir dans quels domaines nous pouvons bâtir une résilience climatique à long terme tout en veillant à atténuer immédiatement les risques.

Toutefois, la communauté internationale n’est pas encore bien parvenue à garantir que les avancées technologiques soient partagées avec ceux qui en ont le plus besoin. Les contextes et enjeux spécifiques auxquels font face les communautés exposées aux risques climatiques sont souvent ignorés. En outre, les biais algorithmiques peuvent creuser les inégalités et renforcer les discriminations.

Un rapport récent publié par le Global Partnership on AI indique que « de plus en plus de données suggèrent que les acteurs qui sont les moins équipés en ressources, comme ceux des pays du Sud, sont les plus touchés par le changement climatique, car ils supportent le poids de ses impacts, mais aussi par le transfert des pouvoirs lié à la transformation numérique, car ils souffrent d’une perte de capacité d’action et de contrôle ».

Les communautés des chercheurs, des investisseurs privés et du secteur public doivent donc en toute urgence coopérer pour identifier où est-ce que l’IA pourrait s’appliquer aux enjeux liés aux paysages et au climat, ainsi que pour définir comment utiliser l’IA de façon équitable et responsable. Depuis toujours, les œuvres de science-fiction sont un avertissement : pour maximiser les impacts positifs de cette technologie, c’est-à-dire les impacts qui sont équitables pour la majeure partie de la population, il faut veiller à ce que l’IA soit centrée sur l’humain, appliquée avec justice et qu’elle soit en phase avec les impacts réels sur les individus et les communautés.

Tout développement dans ce domaine doit être éthique, accessible et équitable en tenant compte des besoins des pays du Sud. Cela veut dire que les décideurs politiques, les bailleurs de fonds, les investisseurs et les chercheurs doivent faire passer les besoins, les droits et les voix des communautés en priorité, en veillant à ce que les innovations technologiques et politiques soient alignées sur les valeurs humaines, l’éthique et la justice sociale.

Nous devons adopter une structure réfléchie capable de confier à l’IA la responsabilité de veiller à ce que les systèmes soient administrés et évoluent de façon à renforcer l’inclusion et l’équité en plaçant les communautés et les actions locales au cœur des préoccupations. Bien loin du « technosolutionnisme » qui a le vent en poupe, nous pouvons en lieu et place exploiter l’extraordinaire potentiel de l’IA pour rassembler, analyser et diffuser des données dans le but de promouvoir et amplifier les initiatives locales, les savoirs autochtones, la sagesse des habitants locaux et les actions menées par les communautés. Ces données deviendraient de puissants catalyseurs pour des solutions climatiques mondiales à la fois évolutives, fructueuses et durables.

L’amélioration et l’élargissement de l’accès à des preuves, des données et des connaissances locales fiables sont en mesure de mieux accompagner les processus décisionnels sur les stratégies liées aux forêts, aux arbres et à l’agroforesterie en faveur communautés, des pays, de la société civile et du secteur privé. Lorsque ces solutions s’avèrent plus prometteuses, l’IA peut contribuer à leur adaptation dans différents contextes et à plusieurs niveaux.

Elle peut également jouer un rôle clé pour étayer et améliorer les politiques financières sur la biodiversité et les marchés du carbone en veillant à ce que celles-ci soient optimisées de façon stratégique pour plus d’impact et de durabilité. Toutefois, pour mettre en œuvre de telles initiatives, il faudra certainement que les organismes de recherche et les gouvernements publient les données pertinentes en libre accès en tant que bien public (ce que CIFOR-ICRAF fait avec ses propres recherches).

Nous avons la responsabilité de favoriser une approche démocratisée du « bien commun » et de réduire les silos de données pour veiller à une interopérabilité entre les données et les systèmes d’IA. Grâce à un écosystème unifié et cohérent, les chercheurs de même que le secteur public et le secteur privé pourront plus facilement s’appuyer sur ce qui a été fait par le passé et se servir de techniques connues et éprouvées. Un tel écosystème entraîne un apprentissage et une adaptation rapides tout en permettant à ses utilisateurs d’identifier les stratégies les plus efficaces et rejeter celles qui ont moins porté leurs fruits.

L’IA peut également nous aider à combler l’important fossé qui existe en matière de données et qui exacerbe actuellement les inégalités de même qu’il entrave les processus décisionnels sur les questions liées au climat et à la restauration, en particulier dans les pays à faibles revenus. Elle peut par exemple collecter des données pour aider les décideurs politiques à mieux comprendre les impacts des politiques menées pour inciter à la réduction des émissions et à l’augmentation de la résilience climatique.

Elle favorise en outre l’échantillonnage continu des données, ce que CIFOR-ICRAF défend fermement. Notre Cadre de Surveillance de la Dégradation des Terres (LDSF) en vertu duquel nous collectons régulièrement des données issues de plusieurs zones a considérablement amélioré notre compréhension de la santé des paysages, de la restauration et des stratégies qui en découlent contrairement à ce qu’une approche basée sur la collecte ponctuelle de données aurait pu nous apporter. Dans une démarche visant à approfondir cette approche, l’application Regreening Africa combine les avantages de l’IA avec la science citoyenne pour venir en aide à plusieurs centaines de milliers d’exploitants agricoles et réduire la dégradation des terres dans huit pays situés en Afrique subsaharienne.

Alors que la révolution de l’intelligence artificielle se poursuit, notre organisation s’engage à faire preuve d’un leadership centré sur l’humain en ce qui concerne l’utilisation de l’IA pour le climat et la biodiversité ainsi que pour favoriser des partenariats, des dialogues et des initiatives qui font écho à la durabilité mondiale. Vous joindrez-vous à nous ?

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Éliane Ubalijoro est la présidente-directrice générale du Centre de recherche forestière internationale et du Centre international de recherche en agroforesterie (CIFOR-ICRAF).

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