Deuxième pays le plus boisé d’Amazonie, le Pérou a attiré un flux constant de programmes visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre dues au changement d’affectation des terres, la principale source d’émissions du pays. En dépit de ces efforts de conservation, la perte annuelle de forêts a augmenté au cours des deux dernières décennies, passant d’environ 84 000 hectares en 2001 à un chiffre record de 200 000 hectares en 2020.
Une nouvelle étude du Centre de recherche forestière internationale et du Centre international pour la recherche en agroforesterie (CIFOR-ICRAF) montre que de nombreux projets et programmes de conservation dans le pays ont eu au mieux un effet modeste sur la perte de forêt, tandis que l’impact sur le bien-être des communautés concernées a été positif voire négatif.
Parmi les raisons invoquées, citons les défauts dans la conception des programmes, l’incapacité à concrétiser les avantages promis aux communautés, ou la localisation de projets dans des zones reculées peu exposées au risque de déforestation. L’une des principales conclusions de l’étude est que les projets et programmes de conservation des forêts n’ont généralement pas fait l’objet d’évaluations d’impact correctement conçues qui auraient pu fournir des éléments clés pour les rendre plus efficaces.
L’étude soulève plusieurs questions destinées aux décideurs politiques : Les avantages des projets de conservation sont-ils supérieurs à leurs coûts ? Les aires protégées sont-elles celles qui sont les plus menacées par la déforestation ? Les concepteurs de programmes ont-ils une vision claire quant aux résultats attendus et la manière de les mesurer ? Les programmes apportent-ils également des avantages sociaux et économiques aux communautés participantes ?
« Il existe peu de preuves quant à l’efficacité des politiques publiques pour la conservation des forêts au Pérou », a indiqué Renzo Giudice, chercheur principal au Centre de Recherche pour le Développement de l’Université de Bonn en Allemagne, qui a coécrit l’étude avec Manuel Guariguata, spécialiste de l’écologie des forêts tropicales et de la gestion des forêts pour la production et la conservation, et Chercheur associé senior au CIFOR-ICRAF.
« Nous sommes encore dans l’impasse en ce qui concerne les évaluations d’impact. Les programmes de conservation des forêts produisent souvent des rapports et des statistiques sur la superficie forestière conservée, le nombre de communautés participantes et de nouvelles aires protégées créées chaque année (du niveau national au niveau local), mais peu d’informations sur leurs impacts écologiques, économiques et sociaux », a poursuivi R. Giudice.
Il est d’autant plus important de mesurer ces impacts alors que les objectifs des programmes de conservation ne se limitent plus à maintenir les forêts intactes, mais contribuent au bien-être social et économique des communautés vivant dans les forêts. Bien que ces résultats ne soient pas systématiquement mesurés dans le cadre de l’évaluation du projet, ils font l’objet d’une attention croissante de la part des chercheurs.
Une recherche bibliographique a permis de trouver 17 évaluations d’impact issues de plusieurs types de programmes et projets de conservation au Pérou (tous dans des régions amazoniennes) dont certaines ont été réalisées dans le cadre de l’étude comparative mondiale sur REDD+ du CIFOR et de ICRAF.
Les projets étaient variés et couvraient la réduction des émissions de gaz à effet de serre dues à la déforestation et à la dégradation des forêts (REDD+) dans les concessions de noix du Brésil et les forêts communautaires, le paiement pour services environnementaux (PSE) liés à l’eau, la surveillance des forêts communautaires, les transferts monétaires conditionnels basés sur la conservation pour les communautés autochtones dans le cadre du Programme national de conservation des forêts du Pérou, ainsi que les comparaisons de la conservation forestière dans diverses catégories d’aires protégées.
Les types d’aires ciblées vont des parcs nationaux et des réserves gérés par le Service National des Aires Naturelles Protégées du Pérou (Servicio Nacional de Áreas Naturales Protegidas por el Estado ou SERNANP) à d’autres types d’aires protégées, en passant par les concessions des communautés autochtones et les concessions de noix du Brésil.
Certains projets étaient basés sur des incitations à la conservation, telles que des paiements aux communautés locales, tandis que d’autres étaient axés sur des mesures dissuasives, telles que des amendes pour des infractions entraînant la déforestation. Plusieurs se sont concentrés sur la création de conditions propices à la conservation, comme la titrisation des terres communales. Néanmoins, d’après les auteurs, les projets évalués ne représentent qu’un faible pourcentage des nombreux projets de conservation mis en œuvre au Pérou, ce qui souligne la nécessité d’effectuer davantage d’évaluations.
La plupart des évaluations ont mesuré la déforestation comme un indicateur de l’efficacité du projet. Environ 70 % de ces évaluations ont permis de constater que la déforestation avait diminué à la suite du projet, bien que la plupart du temps la diminution ait été légère. En revanche, 25 % de ces évaluations n’ont constaté aucun effet et, dans un cas, la déforestation avait même augmenté. Par ailleurs, beaucoup moins d’évaluations se sont penchées sur les impacts sociaux et économiques, et celles qui l’ont fait ont abouti sur des résultats mitigés : une évaluation indique que l’extrême pauvreté dans les communautés a en moyenne augmenté après la création d’aires protégées nationales à proximité.
Deux programmes REDD+ n’ont eu pratiquement aucun impact sur la déforestation ou le bien-être des communautés concernées.
D’après R. Giudice, dans certains cas, l’absence d’impact semble être liée au fait que les avantages promis aux communautés participantes n’ont pas été respectés. Dans d’autres cas, cela pourrait être dû à des défauts dans la conception du projet.
Ainsi, dans un cas, les communautés recevant une compensation monétaire pour la conservation dans le cadre du Programme national de conservation des forêts du Pérou « semblent avoir choisi [de protéger] des aires où la pression de la déforestation est moindre par rapport à d’autres aires. Cela signifie que la capacité [du programme] à réduire la déforestation était faible, car la déforestation était déjà faible dans les aires rattachées au programme », a ajouté R. Giudice.
Néanmoins, toujours d’après R. Giudice, les décideurs politiques font face à des compromis. Les aires où les menaces de déforestation sont les plus fortes ont tendance à avoir des niveaux de pauvreté plus faibles, de sorte que les efforts déployés pour bénéficier aux communautés les plus économiquement pauvres pourraient aboutir à des projets dans des aires qui étaient mieux protégées au départ.
Des erreurs dans la conception des évaluations d’impact peuvent également donner l’impression qu’un projet a eu plus ou moins d’effet qu’il n’en a eu en réalité. Les évaluations d’impact tentent de déterminer si un projet a un effet qui ne se serait pas produit si le projet n’avait pas été mis en œuvre. Comme il est impossible de mesurer directement cet effet, les gestionnaires doivent comparer la zone du projet à une autre zone présentant des caractéristiques similaires et servant de zones de contrôle.
Toutefois, ces zones de contrôle doivent être choisies attentivement. En effet, si un projet dans une aire protégée est comparé à une aire non protégée qui comprend une route, par exemple, le projet peut sembler avoir un impact considérable parce que la forêt dans la zone de contrôle est traversée par une route ou est exposée à d’autres risques que le site du projet n’a pas.
Giudice et M. Guariguata concluent leur étude par une série de recommandations, notamment la réalisation d’évaluations d’impact plus nombreuses et rigoureuses, la concentration des efforts dans les aires où le risque de déforestation est le plus élevé, la garantie que les sanctions proposées soient effectivement appliquées et que les avantages d’ordre notamment économiques bénéficient réellement aux communautés, et le soutien aux agences de surveillance chargées de sanctionner l’exploitation forestière illégale, étant donné que ces amendes semblent avoir un effet dissuasif efficace.
Pour R. Giudice, la nécessité de veiller à ce que les financements destinés à la conservation soient effectivement investis rend les évaluations correctement conçues un impératif éthique et pratique : « Si les impacts ne sont pas mesurés de manière efficace, il sera impossible d’en tirer des enseignements et d’améliorer la lutte contre la déforestation ».
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Cette recherche fait partie de l’Étude comparative mondiale du CIFOR sur la REDD+. Les partenaires financiers qui ont soutenu cette recherche sont l’Agence norvégienne de coopération pour le développement (Norad, subvention n° QZA-21/0124), l’Initiative internationale pour le climat (IKI) du ministère fédéral allemand de l’Environnement, de la Protection de la nature, de la Sécurité nucléaire et de la Protection des consommateurs (BMUV, subvention n° 20_III_108) et le Programme de recherche du CGIAR sur les forêts, les arbres et l’agroforesterie (CRPFTA) avec le soutien financier des bailleurs de fonds du Fonds du CGIAR.
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Pour en savoir plus :
CIFOR Global Comparative Study on REDD+
Transforming REDD+: Lessons and new directions
Mainstreaming impact evaluation in nature conservation
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