Débat

Qui doit tirer profit de la diversité biologique de l’Afrique centrale ?

Défis régionaux sur la mise en œuvre du mécanisme de l’accès et du partage des avantages liés aux ressources génétiques et biologiques
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Avec 300 kilos de cacao utilisés pour la transformation en beurre et en crème, Rachel Olo gagne plus d’argent avec ces produits qu’en vendant directement le cacao brut. Ollivier Girard/CIFOR

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Abritant une myriade d’espèces végétales et animales, l’Afrique centrale est l’un des grands réservoirs des ressources biologiques et génétiques au monde. Ces ressources peuvent être utilisées pour développer une large gamme de produits, tels que les cosmétiques et les produits d’hygiène personnelle, les produits nutraceutiques, les aliments et les boissons, ainsi que l’herboristerie.

Cependant, dans de nombreux cas, les avantages commerciaux et non commerciaux issus de l’utilisation des ressources génétiques ne font pas l’objet d’un partage équitable, en particulier parmi les communautés autochtones et locales qui sont traditionnellement les gardiennes de ces ressources et en dépendent pour leur de subsistance. C’est pourquoi l’accès et le partage juste et équitable des avantages (APA) reste un axe important dans l’agenda internationale en matière de biodiversité.

Issu du processus de la Convention sur la diversité biologique (CDB) en 1992, et développé dans le protocole de Nagoya, l’APA vise à garantir « un accès satisfaisant aux ressources génétiques et un transfert approprié des technologies pertinentes, compte tenu de tous les droits sur ces ressources et aux technologies et grâce à un financement adéquat, contribuant ainsi à la conservation de la diversité biologique et à l’utilisation durable de ses éléments constitutifs. »

Néanmoins, traduire ces accords internationaux dans des cadres juridiques nationaux et définir ce qui devrait y être inclus, représentent un défi majeur. En Afrique centrale, étant donné qu’une grande partie de la biodiversité est partagée au-delà des frontières, les gouvernements nationaux se sont engagés à adopter une approche régionale à travers la Commission des forêts d’Afrique centrale (COMIFAC). Mais un policy brief récemment publié par Voices for BioJustice remarque une faible cohérence et une coordination limitée entre les divers pays.

Défis de coordination

Bien que les dix États Membres de la COMIFAC participent aux dialogues sur l’APA depuis de nombreuses années, la formulation de cadres réglementaires au niveau national reste en cours d’élaboration, ce qui pourrait bien se comprendre au regard de la complexité des enjeux, explique Abdon Awono, scientifique au Centre de recherche forestière internationale (CIFOR) et co-auteur dudit policy brief.

Afin d’établir une approche coordonnée des cadres réglementaires en matière d’APA dans la région, la COMIFAC a élaboré et approuvé en 2011 une stratégie pour éviter la concurrence entre ses États Membres pour les utilisateurs potentiels et le partage des avantages liés aux ressources biologiques et génétiques.

Selon la COMIFAC, « ce processus débouchera sur un accord clair visant à créer une cohérence dans les aspects de fond des réglementations, comme le champ d’application, tout en reconnaissant une certaine souplesse dans d’autres domaines, comme les systèmes et les procédures d’autorisation, afin de tenir compte des réalités institutionnelles nationales. »

Cependant, le policy brief montre qu’en réalité les projets d’instruments APA, lorsqu’ils existent, adoptent des approches très différentes en ce qui concerne les éléments inclus dans leur champ d’application et pour ceux qui ne le sont pas.

Par exemple, au Cameroun le projet de cadre réglementaire sur l’APA adopte une approche très large du champ d’application qui comprend l’accès aux ressources génétiques et l’utilisation de celles-ci, la prise en compte des connaissances traditionnelles et les dérivés qui y sont associés. Pendant ce temps, au Burundi, la réglementation est plus étroite et s’applique seulement aux ressources génétiques sur lesquelles l’État a des droits souverains, et aux savoirs traditionnels.

« Au regard du caractère très large du champ d’application de l’APA, la majorité des États Membres de la COMIFAC ont encore des efforts considérables à faire pour définir ou adopter le champ d’application de leurs futurs cadres réglementaires en la matière, » dit A. Awono. « Certains examinent encore les avantages et les inconvénients d’une approche large ou étroite du champ d’application. Si ces problèmes ne sont pas résolus, il sera difficile de promouvoir une meilleure harmonisation régionale. »

Biocommerce vs. biodécouverte

Lorsqu’on parle d’APA, il y a deux domaines d’application différents qu’il convient de définir : le biocommerce qui s’articule autour de la collecte, la production, la transformation et la commercialisation des biens et services issus de la biodiversité indigène sous le critère de la durabilité environnementale, sociale et économique ; et la biodécouverte, qui comprend la collecte d’échantillons de ressources biologiques et la recherche sur ces échantillons afin de découvrir des informations génétiques ou des composés de valeur.

Ces deux domaines posent des défis de mise en œuvre différents pour l’APA. Cependant, selon A. Awono, le problème est que parfois les champs d’application se chevauchent, provoquant des vides juridiques. À ce propos, il affirme par exemple que « la ligne de démarcation entre les deux domaines n’est pas toujours nette, car les entreprises peuvent s’approvisionner en matières premières pour fabriquer des produits commerciaux comme les huiles essentielles, mais elles peuvent aussi entreprendre des recherches plus poussées sur les espèces, qui relèvent alors de la bio-découverte. »

Dans ce sens, les auteurs du policy brief concluent par un appel à la définition d’un champ d’application plus clair dans des lois sur l’APA en Afrique centrale, afin de faciliter la mise en œuvre et la délivrance des permis afin d’éviter des malentendus, et de partager de manière plus équitable les avantages issus de la diversité génétique.

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