Planter les graines de la transformation dans une « réserve oubliée »
Dans les fins fonds de la deuxième forêt tropicale du monde se trouve dissimulée une série de bâtiments qui abritaient autrefois un important site de recherche en biodiversité datant de l’époque coloniale. Bien qu’un certain nombre de chercheurs aient pu y continuer leur travail, un profond silence se fait actuellement ressentir dans plusieurs laboratoires et domaines de recherche, et de vieux livres reposent patiemment sur les nombreux rayons de la bibliothèque.
Il s’est avéré difficile d’assurer la gestion des ressources naturelles et un développement durable en République démocratique du Congo (RDC) à cause de l’instabilité politique et des conflits qui ont duré des années, même s’il y a eu de noter des progrès notables depuis les réformes sectorielles de 2001.
La forêt qui entoure la station de recherche de Yangambi fait face à d’intenses pressions anthropiques de la part des communautés locales qui l’environnent. En effet, cette forêt fournit de nombreux services aux habitants qui y pratiquent l’agriculture itinérante et y extraient des produits forestiers d’importance commercial dont ils ont besoin, tout en abritant une grande diversité d’espèces menacées de la flore et de la faune.
Une nouvelle initiative, focalisée sur Yangambi, examine la question de la préservation de cette double fonction de cette forêt, en tant que pilier important de l’économie locale et réservoir de la diversité biologique qui renferme, entre autres, une impressionnante richesse spécifique au niveau des arbres.
CROISER LES COMPÉTENCES
Sur base d’une approche novatrice mettant un accent sur la collaboration entre les communautés locales (par le développement et le renforcement des liens étroits des cultivateurs et cueilleurs de produits forestiers à l’intérieur et aux alentours de la réserve), les spécialistes de l’aménagement de l’espace et les chercheurs de l’Université de Kisangani (UNIKIS), le Projet s’appuie sur les connaissances et les aptitudes de ces groupes variés dans le but de développer des compétences susceptibles de répondre aux besoins des populations humaines vivant autour de la Réserve de Yangambi tout en préservant les ressources biologiques qu’elle abrite.
Comme le déclare Dr Paolo Cerutti, chercheur au Centre de recherche forestière internationale (CIFOR) et superviseur des activités du Projet, « Avec la création d’une synergie entre, d’une part, les institutions existantes comme l’Institut National pour l’Etude et la Recherche Agronomique – INERA – les chercheurs de l’UNIKIS et notamment les nombreux jeunes en provenance de tout le pays qui y sont formés ainsi que les habitants de Yangambi, d’autre part, nous concourons au développement de la région de Yangambi tout en assurant une gestion durable de la biodiversité sur base d’une analyse critique des solutions au compromis issu de cette synergie ».
Les chercheurs examinent ce qui pousse dans la forêt et les différentes activités qui y sont pratiquées, en vue d’aider la population à gérer aussi efficacement que possible les ressources abondantes à leur disposition. Dans une pépinière de Yangambi par exemple, des plantules qui seront établies dans toute la réserve comme brise-vent et source de bois de feu se développent sous l’œil attentif de spécialistes et de chercheurs universitaires.
Ces travaux qui génèrent des données empiriques, ainsi que la formation et l’innovation font partie intégrante de cette entreprise ambitieuse, née d’une série de projets mis en œuvre par le CIFOR et ses partenaires pendant plus de dix dans l’est du pays.
CRÉATION DE SYNERGIES
Lors du lancement du projet « Formation, recherche et environnement dans la province de la Tshopo » (FORETS), le Directeur Général adjoint du CIFOR, Dr Robert Nasi déclarait : « La RDC joue un rôle crucial et indispensable dans le bassin du Congo, aussi bien en raison de son couvert forestier et de sa population que dans le cadre des problématiques de changement climatique. »
Les travaux entrepris à Yangambi visent à aider les habitants de réduire la déforestation et la dégradation des forêts, qui sont les facteurs essentiels du dérèglement climatique mondial, et contribueront aussi à protéger et à gérer l’abondante réserve d’arbres, et donc à renforcer la capacité de stockage de carbone.
« Comme c’est plus souvent le cas, on se retrouve face à une situation où différents éléments s’entremêlent : ambigüité des droits fonciers, sentiment que les revendications passées n’ont pas été satisfaites, nécessité de nourrir des milliers de familles et matérialisation encore incomplète des limites de la réserve sur le terrain. Des actions pour s’attaquer durablement à chacun des problèmes sont dès lors indispensables. » déclare Cerutti, avant d’ajouter : « ce projet tient aussi compte du fait qu’il s’agit d’un environnement complexe, où les synergies entre les diverses interventions seront fondamentales ».
LA NOUVELLE GÉNÉRATION
Ce site de 250 000 hectares,connu comme la Réserve de Biosphère de Yangambi, créé et géré selon les directives de l’UNESCO, est voué à la recherche, à la conservation et à l’éducation. Cependant, à cause de la de la grande pauvreté qui sévit dans la région et entraînant inéluctablement une forte dépendance des populations locales vis-à-vis des ressources forestières pour leur survie, l’intégrité de la Réserve sur le long terme est fortement menacée. D’où la nécessité d’intégrer les différents acteurs locaux à la recherche des solutions pouvant permettre la gestion rationnelle de la Réserve et le développement durable.
Bien que les populations locales utilisent différents types de cultures (manioc, maïs, riz, arachide et palmier à huile), la productivité, la diversification et la valorisation de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche ont été sévèrement entravées dans la région sous l’effet combiné d’une multitude de facteurs. Les scientifiques du projet FORETS et leurs partenaires au développement sont en train d’analyser ces éléments et de réfléchir à la meilleure manière de promouvoir le développement durable de la région.
« Sur base des discussions initiales avec des partenaires locaux et les habitants de Yangambi, des suggestions pertinentes ont été formulées, notamment en rapport avec la valorisation d’anciennes plantations abandonnées en vue de la production du bois afin de répondre de manière durable aux besoins en ressources énergétiques. Il faut également trouver des solutions aux goulets d’étranglement existant au niveau des différentes chaînes de valeurs en rapport avec les produits agricoles, le bois, le bois-énergie et les produits forestiers non ligneux, mais aussi étudier le potentiel des nouvelles opportunités offertes par la loi, entre autres l’établissement de forêts communautaires », ajoute Cerutti.
Il s’agit donc d’une démarche orientée vers une approche holistique, où il sera nécessaire de trouver des solutions durables et appropriées dans ce paysage complexe où coexistent une forêt de conservation, des terres arables, une station de recherche et des paysans engagés dans des activités quotidiennes de subsistance..
Pour y parvenir, il faudra créer des liens mutuellement bénéfiques entre les agriculteurs et les chercheurs locaux, replacer les études qui seront issues de Yangambi dans le contexte des grandes questions de conservation et diffuser les retours d’expérience et les données empiriques à l’international.
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