BOGOR, Indonésie — Un orang-outan mâle de 90 kg est assis dans votre jardin, en train de manger les mangues de votre manguier. Vous n’en êtes pas content. Comment pouvez-vous vous débarrasser de lui ?
Selon Erik Meijaard, spécialiste en matière de préservation, la meilleure méthode consiste à réunir vos amis, former une ligne et avancer en agitant les bras et en criant.
« Parfois, les grands mâles ne sont pas très intimidés, dans ce cas allumer des pétards les persuade normalement à partir », explique le consultant scientifique du Centre de recherche forestière internationale (CIFOR).
J'ai déjà entendu dire que certaines personnes deviennent folles de rage lors de situations conflictuelles.
Malheureusement, ces techniques ne sont généralement pas connues sur l’île de Bornéo qui abrite plus de 85 pourcent des populations sauvages restantes d’orangs-outans de la planète. Ici, les conflits entre humains et orangs-outans se terminent souvent par des actes de violence.
« J’ai déjà entendu dire que certaines personnes deviennent folles de rage lors de situations conflictuelles. Selon un récit, des villageois ont brûlé tout un arbre et l’orang-outan qui s’y trouvait », s’indigne M. Meijaard.
Les centres de soins récupèrent de nombreux orangs-outans blessés à coups de machette. Chaque année, jusqu’à 1 250 se font tuer lors de ces affrontements entre humains et singes.
Le même nombre est tué par des chasseurs. Ainsi, les populations d’orangs-outans risquent de décliner ou sont localement menacées d’extinction au Kalimantan, selon une étude récente dont M. Meijaard est un auteur.
DÉTERMINER LES ZONES DE CONFLITS
La population totale de singes sur l’île est actuellement estimée entre 50 000 et 60 000 individus, ce taux de mortalité ne peut donc pas être maintenu.
Si l’Indonésie compte atteindre l’objectif du plan d’action orang-outan qui est de stabiliser les populations d’orangs-outans d’ici 2017, alors beaucoup de travail doit encore être fait pour baisser le taux de mortalité.
Dans le but d’informer les efforts de protection, l’étude a identifié des configurations et facteurs spatiaux sous-tendant les conflits entre humains et orangs-outans.
À travers des réponses issues de sondages fait auprès de 4 839 villageois du Kalimantan et partiellement de Sabah, la partie Malaisienne de Bornéo, les recherches ont pu relevé la fréquence et la localisation des observations d’orangs-outans ainsi que des conflits connexes.
En se basant sur une analyse de ces données, les chercheurs ont réalisé un « cadre pour les données spatiales ». Ils ont identifié 39 variables clés pouvant être importantes dans la détermination des conflits et des abattages. Parmi d’autres facteurs, ces variables contiennent la distance aux plantations de palmiers à huile ainsi qu’aux forêts intactes.
« Nous avons constaté que les conflits entre humains et orangs-outans étaient plus probables de se produire dans les endroits forestiers reculés, tout comme dans les zones plus peuplées ayant une utilisation mixte des terres et davantage d’activités humaines », explique l’auteur principal de l’étude, Nicola Abram de l’Université de Queensland.
« L’un des indicateurs les plus déterminants est la densité routière : la plupart des conflits surviennent aux deux extrémités du spectre, c’est-à-dire dans les zones à très forte ou à très faible densité routière. »
L’étude a principalement visé l’établissement de modèles de corrélation, toutefois, les données ont inévitablement suggéré la causalité.
D’une part, les abattages ayant lieu dans les zones à forte activité humaine sont supposés résulter d’affrontements involontaires avec les orangs-outans ayant perdu leur habitat naturel. Cette perte est notamment due à la conversion des terres en plantations de palmiers à l’huile ou autres fins agricoles.
Cependant, on présume que les tueries dans les régions plus éloignées sont dues à la fois aux conflits et à la chasse.
« Donc, il existe une dualité », affirme Mme Abram. « L’enjeu de l’huile de palme ainsi que la destruction de l’habitat naturel constituent des facteurs majeurs des abattages. Ce fait est bien documenté. Toutefois, les facteurs sous-jacents à la chasse et aux mises à mort dans les régions isolées sont moins évoqués. »
« Nous avons constaté que les abattages dans les zones forestières reculées à prédominance chrétiennes étaient souvent associés à la consommation de la viande d’orangs-outans. Puisque la culture musulmane interdit la consommation d’animaux ayant des doigts, les abattages par les communautés musulmanes sont plus liés aux conflits qu’à la chasse. »
LA CONCURRENCE POUR LES RESSOURCES EST FÉROCE
Les recherches de Mme Abram ne portent pas essentiellement sur les causes anthropologiques sous-tendant les abattages d’orangs-outans.
Toutefois, une étude parallèle menée au Kalimantan, également coécrite par Mme Abram et M. Meijaard, a identifié la chasse dans un but alimentaire comme cause importante de ces abattages : 56 pourcent des personnes enquêtées ont déclaré que la raison pour laquelle elles avaient tué un orang-outan était de le manger.
Face à une pluralité de prétextes pour commettre les tueries, des différentes stratégies doivent inévitablement être déployées pour les contrer. L’étude fait un certain nombre de recommandations.
Dans les zones où les mises à mort se produisent en raison de la chasse alimentaire ou de « captures accidentelles », l’étude affirme que des programmes de sensibilisation devraient viser l’éducation des chasseurs ainsi que le changement de leurs attitudes envers les orangs-outans. Un autre problème signalé est le manque d’application des lois interdisant de tuer les orangs-outans.
En ce qui concerne les conflits entre humains et orangs-outans découlant de la concurrence pour les terres et la nourriture, l’étude suggère d’autres mesures. Elles comprennent l’amélioration de la protection juridique de leur habitat, une gestion efficace des aires de conservation prescrites par la loi au sein de certaines plantations, des campagnes de sensibilisation du public et, à nouveau, un renforcement de la surveillance et de l’application des lois pour protéger les animaux contre ces abattages.
« Pour les communautés musulmanes je pense m’adresser aux chefs religieux dans le but de promouvoir la fatwa interdisant de tuer des espèces menacées. Des campagnes médiatiques au niveau local pourraient être très efficaces. Évidemment, une fatwa n’est pas applicable dans les communautés chrétiennes, les stratégies doivent donc être adaptables », déclare M. Meijaard.
À partir de ces modèles, il est possible d'anticiper les problèmes de façon proactive et de mieux orienter la gestion paysagère.
Bien que les solutions de préservation de l’espèce soient dépendantes du contexte social, Mme Abram est confiante que les modèles spatiaux qu’elle a développé pour prédire les conflits seront applicables dans différentes régions.
« Les variables les plus importantes des modèles concernent l’utilisation des terres, la couverture terrestre, ainsi que la perception des personnes quant aux niveaux de population d’orangs-outans. Ces facteurs peuvent facilement être transposés à d’autres paysages, tels que les deux autres parties du Kalimantan et peut-être le Sumatra, » déclare-t-elle.
« Les données démographiques relatives aux religions prédominantes constituent également un élément important. Nous pouvons également obtenir ces données sur d’autres régions. »
« À partir de ces modèles, il est possible d’anticiper les problèmes de façon proactive et de mieux orienter la gestion paysagère. »
Pour plus d’informations sur les recherches du CIFOR concernant la préservation des orangs-outans à Bornéo veuillez contacter Erik Meijaard à l’adresse emeijaard@gmail.com
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