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L’Indonésie aux prises avec des feux… encore et encore ?

Les feux en Indonésie font les manchettes, mais c'est un problème récurrent et vieux de plusieurs décennies, qui a besoin de solutions à long terme.
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Les chercheurs utilisent la technologie géoradar pour mesurer la profondeur de la tourbe à Tumbang Nusa, une forêt de recherche située à l’extérieur de Palangkaraya, à Kalimantan central. Aulia Erlangga/CIFOR

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Les feux en Indonésie font rage depuis maintenant plus de deux mois, créant une fumée toxique qui a enveloppé la plupart du pays et s’est répandue jusqu’au régions avoisinantes. Durant la dernière semaine, les pluies ont procuré un léger soulagement plus que bienvenu, mais la crise est très loin d’être terminé.

La majorité des incendies dans la région centrale de Kalimantan s’embrasent dans les anciennes zones de tourbières, qui ont été drainées, défrichées et brûlées pour la culture de l’huile de palme et l’agriculture, à petite ou grande échelle. La tourbe desséchée prend feu facilement, brûle sous terre et glisse sous la surface. 

Il s’agit clairement d’une scène absolument apocalyptique

Martin Wooster

Les tourbières sont composées de débris des forêts décomposés. Elles existent depuis des milliers d’années et abritent des milliers de plantes et d’animaux, incluant des espèces en voie d’extinction comme l’orang-outan.

« Dans leur état naturel, les tourbières sont des terres couvertes de forêts tropicales luxuriantes et sont essentiellement marécageuses et arrosées tout au long de l’année. Mais quand vous les drainez, lorsque vous “retirez” la forêt, la tourbe elle-même est exposée aux rayons du soleil et s’assèche. C’est ça qui brûle », a déclaré David Gaveau, chercheur et scientifique au Centre pour la recherche forestière internationale (CIFOR).

Gaveau souligne que l’Indonésie a maintenant des millions et des millions d’hectares de terres dégradées et sujettes aux incendies, ce qui signifie que ça brûle chaque année, même sans El Niño.

POUR L’AMOUR DE LA TOURBE

Gaveau s’est rendu à Kalimantan central avec d’autres experts pour mener une formation et un atelier de terrain avec des partenaires provenant du gouvernement local et d’une université. Les experts ont mesuré la profondeur de la tourbe, en utilisant les plus récentes technologies.

« Si nous connaissons le volume de la tourbe et si c’est exposé au feu comme nous le voyons en ce moment, nous verrons comment la profondeur sera affectée et la quantité de carbone qui sera libérée par le feu », relate Daniel Murdiyarso, scientifique principal au CIFOR. 

Des millions de tonnes de carbone actuellement emmagasiné dans la tourbe pourraient être libérées, si les perturbations continuent, que ce soit par le développement agricole ou par les feux, selon les mises en garde des experts. De nos jours, le dioxyde de carbone est le plus grand moteur du changement climatique. Un rapport de 2010 suggère que 85% des émissions de gaz à effets de serre de l’Indonésie découlent de l’utilisation des terres et 27% de cela est causé par les feux à eux seuls.

« Il faut voir l’ensemble de la situation en matière d’émissions de gaz à effet de serre. Donc, une tourbière très profonde libérera potentiellement une très grande quantité de gaz carbonique, de gaz à effet de serre. Donc, si nous avons une information très détaillée sur l’épaisseur de la tourbe, on peut savoir par exemple, qu’il est important de protéger certaines zones plus que d’autres », a souligné Neil Terry, un assistant de recherche de troisième cycle à l’université Rutgers, l’Université d’État du New Jersey.

David Gaveau, lui, dit que la seule façon d’arrêter ce cycle est de remouiller ces tourbières sèches pour les ramener à un équilibre hydrologique et restaurer la végétation naturelle. C’est alors seulement à ce moment que les feux incontrôlables de tourbières cesseront.

DE LA FUMÉE TOXIQUE

Les scientifiques ont également fait des démonstrations avec de l’équipement qui mesure ce que la fumée contient, à la source d’une étendue de feu de 5 000 hectares, à environ 30 kilomètres de la ville. La première collecte de données a permis de constater des hautes concentrations de dioxyde de carbone et de méthane, ainsi que du monoxyde de carbone toxique. Ce qui est encore plus inquiétant est que la présence d’ammoniac fut aussi détectée.

« Normalement, je pense qu’une limite relativement sécuritaire est 50 microgrammes par mètre cube. Et les départements météorologiques, ici, font état de valeurs de 1 000 ou même 2 000 microgrammes par mètre cube, ce qui est absolument extrême, et pas seulement pour une journée, mais en continue pour des semaines ou possiblement des mois. Il s’agit clairement d’une scène absolument apocalyptique », rapporte Martin Wooster, professeur de sciences d’observation de la Terre au l’université King à Londres et au Centre National de l’observation de la Terre (NCEO). 

Plusieurs enfants souffrent d’infections respiratoires aiguës

Hendrik Segah

Les effets à court terme sur la santé humaine peuvent être constaté à tous les jours à Palangka Raya. Le gouvernement a ouvert une clinique d’oxygène pour la population, les écoles ont fermé et des plans d’évacuation pour les personnes à hauts risques, surtout les enfants et les aînés. Pour les populations locales, il ne s’agit que de simples nouvelles d’actualité, il s’agit de leur réalité au quotidien.

« Plusieurs enfants souffrent d’infections respiratoires aiguës. Et selon les médias locaux et le gouvernement, cela est très coûteux en matière de santé », dit Hendrik Segah, un chercheur et expert en ressources environnementales et télédétection à l’université de Palangka Raya.

« Et puis, en matière d’économie, les feux causent du tort aux agriculteurs : ils ne peuvent avoir une bonne récoltes et les coûts de transport ont aussi augmenté », ajoute Segah.

Les participants de l’atelier disent que la recherche scientifique peut aider toutes les parties prenantes à prendre des décisions informées par rapport au futur de Kalimantan central au sein d’un climat qui change constamment.

UN TABLEAU PLUTÔT SOMBRE

L’imagerie thermique satellite est utilisée pour localiser les feux et suivre leur mouvement. Des images obtenues durant la même journée où les scientifiques étaient dans la région ont révélé un mur de feu de 20 kilomètres, se déplaçant d’un air menaçant en direction de la forêt de Kalambangan qui abrite les quelques milliers derniers orangs-outans de la planète.

Malgré qu’El Niño les retarde, les pluies saisonnières finiront éventuellement par arriver et mettrons un terme aux incendies de cette année. Mais les feux sont en fait des symptômes qui reflètent des problèmes bien plus profonds. Les causes à la source de la crise des incendies en Indonésie sont complexes. À moins que les feux soient pris en charge et qu’on s’en occupe, les risques d’incendies aussi gigantesques ne pourraient qu’augmenter.

Pour plus d’informations sur ce sujet, veuillez contacter David Gaveau à l’adresse d.gaveau@cgiar.org.

Ces recherches s’inscrivent dans le cadre du Programme de recherche du CGIAR sur les Forêts, les Arbres et l’Agroforesterie. Ces recherches ont été financées par le Département britannique pour le développement international, par le biais du projet KnowFor et de USAID.

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