Comme le commerce illégal d’espèces sauvages s’intensifie à l’échelle mondiale, de nombreux organismes gouvernementaux et de préservation ont ajusté leurs mesures d’application : intensification du suivi, de la surveillance, des punitions, des raids, voire emploi de soldats.
Ces évènements ont déclenché de nouvelles critiques des stratégies de préservation axées sur l’application de la loi et à une interrogation sur le rôle des communautés locales dans la lutte contre l’extraction et le commerce illégaux de la faune sauvage. Cependant, une juxtaposition des stratégies de préservation focalisées sur l’application et celles basées sur les communautés peut également s’avérer inutile. Contre le commerce illégal de nombreuses espèces d’une grande valeur, ces stratégies de préservation peuvent être inséparables.
LES MESURES BASÉES SUR L’APPLICATION DE LA LOI
La mise en vigueur renforcée de la loi menée par l’État fait face à de sérieux obstacles. La militarisation des zones de protection de rhinocéros et d’éléphants dans de vastes parties de l’Afrique, ainsi que des zones de protection des palissandres (Dalbergia spp.) en Asie du Sud-Est, a entraîné le décès de braconniers et de gardes forestiers, en plus de coûts sociaux et financiers élevés. En outre, la préservation basée sur l’application de la loi risque de saper les motivations locales de préservation ainsi que les droits locaux aux ressources sauvages.
Lorsque les communautés voient des avantages significatifs et directs dans la préservation de la faune sauvage, elles sont souvent motivées à la protéger.
Plus important encore, les résultats de préservation liés à l’application renforcée de la loi par l’État demeurent flous. L’exclusion pratiquée par les stratégies d’application peut s’avérer efficace dans certaines circonstances. Cependant, il existe également de nombreux exemples de démarches d’application de la loi qui peinent à réduire le commerce illégal, en particulier en ce qui concerne les produits sauvages de grande valeur tels que la résine du bois d’agar (Acquilaria spp.) utilisée pour l’encens, les essences de bois précieux, la corne de rhinocéros, l’ivoire d’éléphant, les nageoires de requin et les peaux des grands chat.
Des écologistes examinent les modèles existants afin de trouver la meilleure façon d’aborder le commerce illégal d’espèces sauvages.
ÉVALUATION DES MODÈLES COMMUNAUTAIRES
Des praticiens de la préservation et des universitaires se sont récemment réunis près de Johannesburg en Afrique du Sud dans le cadre d’un colloque intitulé Au-delà de l’application : communauté, gouvernance et utilisation durable dans la lutte contre la criminalité envers la faune sauvage.
La réunion a mis en avant des études de cas concernant la façon dont les communautés abordent la récolte et le commerce illégaux de plantes et d’animaux sauvages à travers le monde. Toutes étaient fondées sur l’idée que lorsque les communautés voient des avantages significatifs et directs dans la préservation de la faune sauvage, elles peuvent être, et sont souvent, motivées à la protéger.
Il a été démontré que les retombées financières et non-financières pour les particuliers et les communautés ont motivé les résidents locaux à s’engager dans la préservation, à exclure et à sanctionner également les acteurs du commerce illégal d’espèces sauvages. Les cas présentés lors du colloque ont souligné la nécessité d’identifier des incitations robustes et durables pour les communautés pour faire face aux leurres du commerce illégal.
Par exemple, dans de nombreuses aires de protection en Namibie les droits d’utilisation et de récolte de la faune sauvage ont été dévolus aux propriétaires terriens et aux communautés locales. Ces modèles s’appuient fortement sur la chasse réglementée au trophée, qui finance la préservation et le développement rural tout en fournissant de la viande aux résidents locaux.
Dans d’autres endroits, des ONG, des organismes gouvernementaux ou des propriétaires de terres privées détiennent un contrôle considérable sur les ressources sauvages, mais partagent les retombées avec les communautés locales.
Au Kenya, certaines structures impliquent des opérateurs touristiques privés qui louent des terres de protection directement auprès des communautés locales et qui fournissent également des emplois locaux. Ailleurs, la préservation fournit des bénéfices indirects : le tourisme lié aux gorilles de montagne au Rwanda, par exemple, fournit 5 % des recettes touristiques aux projets de développement gérés par les communautés.
LES INCITATIONS SONT-ELLES SUFFISANTES ?
Cependant, les incitations peuvent avoir du mal à contrer le commerce illégal très lucratif de certaines espèces sauvages.
Les preuves présentées lors du colloque indiquent que le tourisme échoue souvent à générer des incitations financières adéquates et fiables. Les limites sont similaires lorsque la préservation dépend du financement de donateurs volontaires. Beaucoup de participants à l’atelier ont exprimé l’importance des incitations diverses et conséquentes pour les résidents locaux.
En outre, les données indiquent que l’application de la loi reste extrêmement délicate, même si des incitations pour la préservation existent.
Le commerce illégal de la faune sauvage se produit même là où la préservation par les communautés rencontre un grand succès. Les incitations au commerce de nombreux taxons d’une grande valeur peuvent tout simplement être trop importantes pour être surmontées ou alors elles restent attrayantes pour un petit nombre de résidents locaux. Dans d’autres cas, le commerce est réalisé par des étrangers. Les résidents locaux ont peu de chances de s’attaquer aux trafiquants armés et organisés qui sont souvent impliqués dans le commerce de la faune d’une grande valeur.
Dans ces cas, les organes de contrôle de l’État, ayant une autorité et une expertise suffisantes pour cibler les auteurs, sont essentiels pour la préservation. L’application de la loi et les poursuites appropriées sont également importantes pour la création de dissuasions claires du commerce illégal d’espèces sauvages. Une telle application est également essentielle afin de respecter les droits des communautés, y compris l’utilisation durable des ressources sauvages.
Les communautés ont également un rôle essentiel à jouer dans les processus formels d’application. Les résidents locaux détiennent souvent des connaissances approfondies et sont les « yeux et les oreilles » sur le terrain pour soutenir la préservation. La surveillance et la déclaration au niveau local peuvent être à la fois plus ciblées, efficaces et durables que l’application menée par l’État.
LES PARTENARIATS COMMUNAUTÉ – APPLICATION
L’atelier a souligné que les solutions basées sur l’application de la loi et celles basées sur les communautés ne sont pas des réponses singulières ou isolées. La focalisation étroite sur l’application par l’État entraîne des coûts sociaux et économiques élevés et il faut reconnaître les possibilités propres aux modèles locaux de préservation basés sur des incitations. Toutefois, les modèles communautaires ne sont pas une panacée et ils demeurent vulnérables face aux défis du commerce illégal continu. Les rôles respectifs de l’application de la loi par l’Etat et de l’engagement communautaire ont été largement reconnus.
L'engagement direct, la responsabilité et l'équité sont également essentiels pour obtenir l'appui des communautés pour protéger la faune d’une grande valeur.
La mise en place de partenariats entre les communautés et les démarches d’application de la loi nécessitent une compréhension de la façon dont les droits d’accès et les incitations à la préservation influencent la prise de décision des acteurs locaux. Néanmoins, les partenariats productifs entre les résidents locaux et les organismes étatiques chargés de la mise en vigueur de la loi nécessitent plus qu’un apport financier. Une histoire d’oppression, d’injustice sociale et d’exclusion des communautés signifie que la création de relations positives entre les communautés et les organismes officiels chargés de l’application de la loi peut s’avérer difficile.
L’engagement direct, la responsabilité et l’équité sont également essentiels pour obtenir l’appui des communautés pour protéger la faune d’une grande valeur. Ces types de résultats concernant l’équité et l’environnement sont de mieux en mieux documentés dans divers contextes.
Les résidents locaux sont des acteurs essentiels dans la lutte contre le commerce illégal d’espèces sauvages. Il est crucial de mieux faire valoir que la reconnaissance des droits et des motivations locales peut contribuer à contrer le commerce. Cependant, les modèles communautaires sont peu susceptibles de prendre la place de l’application de la loi par l’Etat dans la lutte contre le trafic de la faune sauvage.
Jacob Phelps est scientifique au Centre de recherche forestière internationale (CIFOR). Duan Biggs est chercheur postdoctoral au Centre d’excellence pour les décisions environnementales à l’Université de Queensland.
Pour plus d’informations sur le commerce illégal de la faune sauvage et de la mise en œuvre de la préservation veuillez contacter j.phelps@cgiar.org ou d.biggs@uq.edu.au.
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