Discours

Le développement forestier doit être inclusif

Intervention du président de la Coordination National des Peuples Autochtones du Panama, Cándido Mezúa Salazar, au Global Landscapes Forum 2014.
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LIMA, Pérou — Les accords mondiaux sur les forêts et le changement climatique doivent garantir les droits des peuples autochtones, déclare un chef indigène de l’Amérique latine. Il préconise l’établissement de règles claires pour les initiatives de développement qui affectent les forêts dans lesquelles ils vivent.

« Au niveau mondial, les forêts se trouvent là où vivent les peuples autochtones », a déclaré Cándido Mezúa Salazar, président de la Coordination National des Peuples Autochtones du Panama, aux 1 700 personnes présentes lors du Forum mondial sur les paysages, le 7 décembre à Lima au Pérou. « Nous ne prétendons pas être les propriétaires de toutes les forêts du monde. Néanmoins, nous avons une influence sur elles, puisque les forêts font partie de nos vies. Et ceci doit être respecté. Or comment pouvons-nous gérer cette situation si nous ne disposons pas de règles claires ? »

Le Forum, organisé par le Centre de Recherche Forestière Internationale en marge des négociations des Nations Unies sur le climat, a réuni des experts du changement climatique, des ministres, des scientifiques, des usagers des terres et des représentants de la société civile, dont des représentants de communautés locales et autochtones.

M. Mezúa Salazar a exhorté les participants du Forum à essayer de voir les forêts sous une perspective différente.

« [Les peuples autochtones] voient les forêts de l’intérieur », dit-il. « Vous ne pouvez pas m’exclure de ce paysage. Ainsi, la responsabilité sociale et environnementale va beaucoup plus loin que de distinguer un simple arbre, une simple forêt. La société doit être étroitement liée à tous ces processus. Qu’entendons-nous par là ? Qu’un développement des communautés est nécessaire, mais un développement qui respecte leurs principes et leurs règles culturels. »


  • Pour plus d’information, d’études et d’analyses sur la COP20 et le Forum mondial sur les paysages rendez-vous sur forestsnews.cifor.org/lima

Voici la transcription traduite du discours de  Mezúa Salazar (à voir ci-dessus en anglais). 

Nous faisons partie de la forêt. En ce moment même, chacun de vous, chacun de nous, y joue un rôle. Le but de cette réunion est de transmettre ce message. C’est ainsi que nous faisons partie de la forêt. Vous faites également partie de cette forêt. Il s’agit là d’un des premiers enseignements que nous recevons de nos grands-parents. Afin de voir comment nous sommes affectés par quelque chose, nous devons faire partie de la forêt. C’est ainsi que nous avons appris depuis notre enfance les histoires sur ce qui se passe. Nous les racontons à notre tour à nos enfants.

L’un des premiers enseignements que nous recevons de nos grands-parents est de savoir comment l’eau coule. Pourquoi l’eau coule-t-elle ? Pourquoi l’eau est-elle froide ? Pourquoi l’eau se réchauffe-t-elle la nuit? Parfois, ils nous apprennent à pêcher la nuit, à pêcher durant la journée, à être dans un environnement froid. Lorsque l’eau est chaude, nous cherchons à être plus chauds. Tout cela fait partie de nos enseignements sur le paysage. Cette réalité appartient à nos communautés. Nos réalités changent avec la réalité de la société. Par exemple, je suis maintenant réuni ici avec vous tous. Vous tous, qui êtes mes frères et sœurs dans une réalité qui nous montre que les choses ont changé. Nos relations au sein des communautés ou avec le monde, avec la planète, notre Terre mère, souffrent. 

Les conventions ou les conventions bilatérales entre les différents programmes et pays affectent également nos communautés. Néanmoins, dans le cadre de cette dynamique, nous établissons très rarement des règles claires

Cándido Mezúa Salazar

L’un des premiers messages que nous souhaitons communiquer est que nous sommes tous entièrement responsables. Cependant, comment pouvons-nous l’être alors que chacun d’entre nous joue un rôle? Chaque membre de la société joue un rôle et nous ne sommes pas en mesure de répondre à ce rôle. Nous savons que chacun parmi nous contribue à sa façon, mais, nous n’agissons pas suffisamment. Il est donc temps pour nous d’agir. Au cours des 20 dernières années, la société a probablement lancer une dynamique pour essayer de comprendre la situation face au changement climatique. Nous discernons certaines règles – des politiques nobles. De nouvelles initiatives sont en cours de création, telles que l’initiative de REDD, une initiative pour faire face au changement climatique. Parfois, les peuples autochtones et les communautés ne sont pas informés à ce sujet.

Nous ne réalisons pas ce qui ce passe. Mais nous avons notre propre réalité. Nous savons que dans nos communautés les choses évoluent également. Et cela nous affecte. Toutefois, lorsque des accords sont établis, des accords mondiaux, ceci affecte bien sûr nos pays. Les conventions ou les conventions bilatérales entre les différents programmes et pays affectent également nos communautés. Néanmoins, dans le cadre de cette dynamique, nous établissons très rarement des règles claires. Il n’existe pas de règles claires pour établir une relation entre la population et les règles à l’échelle mondiale. Nous devons donc avancer le travail en nous basant sur les règles mondiales, mais celles-ci ne devraient pas affecter les droits des peuples autochtones. C’est un des messages que nous transmettons dans presque toutes les conférences. Comment faire en sorte que les rôles de chacun soient correctement respectés ?

Actuellement, nous disons que les droits sont piétinés. Tous les programmes mondiaux devraient respecter les droits des peuples autochtones, ainsi que notre élément principal de vie qui est la planète, la terre. Si nous n’avons pas de terre pour nous, nous pensons que nos droits sont violés [davantage]. Ainsi, l’un des éléments que je perçois dans ce scénario de changement climatique est que nous devons garantir les droits à la terre des peuples autochtones. Pourquoi ?

Les forêts constituent l’un des principaux sujets du changement climatique et ceci est mis en évidence dans tous les rapports scientifiques. Nous avons vu de nombreux discours à ce sujet. Au niveau mondial, les forêts se situent là où les peuples autochtones vivent. Nous pensons donc que nous avons une certaine influence sur les forêts. Nous ne prétendons pas être les propriétaires de toutes les forêts du monde. Néanmoins, nous avons une influence sur elles, puisque les forêts font partie de nos vies. Et ceci doit être respecté. Pourtant, comment pouvons-nous gérer cette situation si nous ne disposons pas de règles claires? Nous devons nous efforcer de fixer des règles claires qui permettent de protéger ces droits.

Par conséquent, nous sommes actuellement face à une situation dans laquelle la société et les pays en voie de développement ont aussi leurs propres dynamiques. Nos amis les hommes d’affaires, certains d’entre eux, en sont conscients. Toutefois, la grande majorité n’est pas consciente de ces faits. Une autre majorité dit, oui, nous sommes pleinement responsables. Mais ils sont seulement entièrement responsables au niveau social. Ils pensent que si vous apportez de la nourriture à un orphelin, c’est de la responsabilité sociale. C’est vrai. C’est très beau, c’est probablement montré partout, diffusé par les télévisions, les journaux. 

En réalité très peu d'entreprises agissent de manière responsable vis-à-vis de l'environnement et des peuples autochtones. Face au changement climatique, ce type de relation est d'une grande importance.

Cándido Mezúa Salazar

Mais qu’en est-il de la responsabilité socio-environnementale? En réalité très peu d’entreprises qui agissent de manière responsable vis-à-vis de l’environnement et des peuples autochtones. Face au changement climatique, ce type de relation est d’une grande importance. Elle doit être soutenue. C’est là que nous nous disons que nous aimerions voir des entreprises comme celles-ci travailler dans nos territoires. Parce que nous savons qu’elles vont respecter les règles, les lois, les principes, même s’ils ne sont pas écrits sur un morceau de papier.

Voici donc le deuxième message. Comment notre société peut-elle être socialement et écologiquement responsable? Au lieu de cela, au sein des paysages, où nous cherchons comment nous pouvons être socialement et écologiquement responsables, nous disons que nous devrions seulement prendre en compte l’arbre, les forêts, les ressources, l’environnement ou le climat. Non, la société existe dans son ensemble. Dans ce cadre, nous devons prendre en compte la vision des peuples autochtones. Pour aboutir à cette intégration, nous devons adopter une perspective holistique. En ce moment, je vois la forêt, vous êtes tous la forêt. Mais je vois le paysage de mon propre point de vue, d’ici à là. Mais je ne me perçois pas à l’intérieur de la forêt comme faisant partie de vous tous.

Donc, je voudrais voir la forêt de l’intérieur et c’est ainsi la façon dont nous, les peuples autochtones, percevons la forêt. Nous voyons la forêt de l’intérieur. Je fais donc partie du paysage. Vous ne pouvez pas m’exclure de ce paysage. Ainsi, la responsabilité sociale et environnementale va beaucoup plus loin que de distinguer un simple arbre, une simple forêt. La société doit être étroitement liée à tous ces processus. Qu’entendons-nous par là? Que nous avons besoin d’un développement des communautés, mais un développement qui respecte leurs principes et règles culturelles. Il s’agit d’intervenir avec une autre forme de développement, celui auquel les peuples autochtones aspirent.

Je me souviens que, lorsque j’avais 8 ans, nous étions tous une seule personne. Savez-vous ce que cela signifie ? C’est le respect de l’égalité. Je me souviens, quand j’étais jeune, puisque j’étais le plus jeune, je voulais manger très vite et je voulais prendre la nourriture en premier. Mes parents ont dit: non, tu ne peux pas faire cela, tu dois attendre. Mon frère aîné pensait qu’il avait plus de droits parce qu’il était le plus âgé: il voulait prendre la nourriture. Ils lui ont également tapé la main. Non, tu dois attendre. Ce n’est pas parce que tu es plus âgé ou plus fort que tu as plus de droits que les autres. 

Parfois, nous disons aussi qu'une fête de gens pauvres est une fête de gens riches. Dans notre culture, nous ne [savons] pas ce que c’est une fête. Notre fête réside dans l'eau, dans la forêt ou dans le jeu

Cándido Mezúa Salazar

C’était de la distribution équitable, tout le monde mangeait dans la même assiette. Vous pourriez penser que c’est une situation de pauvreté. Tout le monde mange dans même plat. On vous répondra que non, c’est de la richesse, puisque nous mangeons tous la même chose. Parfois, nous disons aussi qu’une fête de gens pauvres est une fête de gens riches. Dans notre culture, nous ne [savons] pas ce qu’est une fête. Notre fête réside dans l’eau, dans la forêt ou dans le jeu. Mais lorsque nous entrons en relation avec une société différente, nous nous apercevons qu’il y a la piñata. Dans un pays où il y a cette piñata et ce peuple pauvre, ils disent que les personnes se battent pour voir qui va récupérer tous les bonbons qui sortent de cette piñata. Une fois qu’elle est cassée, tout le monde mange ensemble – nous voyons cela comme un jeu.

Toutefois, lors d’une fête de gens riches, nous ne voyons pas cela. Dans les fêtes des gens riches, tous les sacs sont bien séparés. Chaque enfant a son propre cadeau. C’est ce qui se passe dans les fêtes des gens riches. Quel est mon point dans tout cela? Pour aborder le sujet du changement climatique nous parlons beaucoup de milliards, de trillions. Parfois nous pensons que c’est comme la piñata, puisque nous devons avoir une répartition équitable. Nous, les peuples autochtones, nous disons que, nous tous, nous devons répondre à une responsabilité. Bien que je sois plus jeune, bien que mon frère soit plus âgé, je vais partager rapidement. Le partage doit bénéficier à tout le monde. Ce sont les messages que nous aimerions transmettre à tout le monde.

Il y a cette ferme verte qui est le climat. Et nous, les peuples autochtones, nous voulons avoir notre propre fonds pour le climat des territoires indigènes, par lequel nos droits seront respectés. Il nous permettra également d’avoir la responsabilité de prendre soin de ce que nous nous sommes déjà engagés à sauvegarder et à protéger: les forêts. Mais comment pouvons-nous y parvenir s’il n’y a pas de distribution équitable? Que proposons-nous donc afin d’être prêt à briser cette piñata dans une fête pour tout le monde, pas seulement pour les riches ou les individus ? Voyons ensemble comment nous pouvons gérer cette responsabilité. 

Les peuples autochtones continueront à contribuer, et nous le faisons. Mais nous ne pouvons pas le faire seuls.

Cándido Mezúa Salazar

Les peuples autochtones ne sont peut-être pas prêts à recevoir ceci. Les Etats et les gouvernements ne sont d’ailleurs pas prêts non plus. Nous proposons donc qu’un accord soit établi en 2014 lors de cette convention de la conférence des parties. Cet accord doit nous permettre de nous préparer afin de choisir correctement la façon dont nous allons casser cette piñata. Nous devons être prêts pour cela, mais pas comme nous le faisons en ce moment, sans aucun contrôle, aucun ordre. Nous avons besoin d’ordre. Nous avons un rôle à jouer et nous allons remplir notre rôle. Nous sommes les véritables gardiens de la planète. C’est ce que nous disons de nous.

La société civile donnera son appui, mais parfois elle essaye d’être l’acteur principal – qui fera plus? Ceci est ma vraie responsabilité. Les États cherchent toujours à avoir une bonne réputation aux yeux de la société mondiale, mais ils devraient également être vus avec de bons yeux par les plus nécessiteux. Il existe beaucoup de choses que nous voyons parfois avec une grande clarté. Mais qu’en est-il d’une vision plus diversifiée, vu le nombre de pays, de sociétés ? Nous devons trouver de bons mécanismes pour nous comprendre mutuellement. Les mécanismes mondiaux sont une aide, mais ils ne sont pas suffisants.

Les règles mondiales existent dans ce but, mais elles ne suffisent pas à remplir la mission. Je voudrais laisser un message très clair pour vous tous. Les peuples autochtones continueront à contribuer, comme nous le faisons. Mais nous ne pouvons pas le faire seuls. Nous avons besoin du soutien des États, de la société, du monde des affaires, des responsables, de chaque gouvernement. C’est pourquoi nous demandons aux gouvernements de comprendre nos propres droits et relations avec notre Terre mère. C’est tout ce que je souhaite demander. Merci beaucoup.

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