BOGOR, Indonésie — Appelez ça un «livre de cuisine pour décideur politique».
Un groupe d’experts internationaux issus du milieu universitaire, d’instituts de recherche et d’organisations non-gouvernementales (ONG) a élaboré une typologie pour analyser «l’écosystème» politique pour les différents outils de gestion des terres.
«Notre objectif est de comprendre quelles combinaisons des actions de citoyens, consommateurs, ONG, entreprises et gouvernements sont idéales pour promouvoir une utilisation durable des terres», déclare Eric Lambin, professeur au Centre de recherche sur la terre et le climat Georges Lemaître en Belgique et à l’Université Stanford aux Etats-Unis.
Nous ne pouvons pas mettre nos actions en attente jusqu’à ce que nous ayons recueilli suffisamment de preuves – nous pouvons seulement progresser en évaluant les actions au fur et à mesure.
M. Lambin est l’auteur principal d’un article scientifique, publié récemment dans la revue Global Environmental Change, qui est paru suite à un atelier tenu à Bruxelles en 2013, au cours duquel les participants ont examiné l’efficacité de politiques telles que l’éco-certification, les paiements pour services environnementaux (PSE), le zonage de l’occupation des terres et les tables rondes concernant les matières premières. Au-delà des études de cas spécifiques, ils ont réfléchi à élaborer une typologie pour comprendre les différentes approches publiques, privées ou hybrides et leurs manières d’interagir.
«Il ne s’agit pas de concevoir l’outil parfait et de l’utiliser ensuite partout», déclare M. Lambin. «Au contraire, nous devons évaluer au fur et à mesure ce que nous mettons en œuvre et essayer d’apprendre, d’évoluer et d’ajuster. Dans un monde idéal, l’outil serait conçu, mis en œuvre pendant deux ans, des conclusions seraient tirées sur ce qui fonctionne et ensuite cela serait reproduit ailleurs. Mais nous sommes confrontés à un ensemble d’interactions beaucoup plus dynamiques.»
LA MANIÈRE DONT LES POLITIQUES INTERAGISSENT
Les auteurs suggèrent trois interactions principales entre les outils de politiques publiques, privées et mixtes: la complémentarité, la substitution et l’antagonisme. En s’appuyant sur des recherches antérieures, ils suggèrent que ces interactions se produisent durant trois étapes du processus réglementaire: la mise en place de l’agenda et la négociation; la mise en œuvre; ainsi que le suivi et l’application.
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Deux systèmes de gouvernance peuvent être complémentaires lorsque leurs programmes indépendants se renforcent mutuellement. Dans une approche mixtes, les divers outils se repartissent les fonctions ; un système de certification privé pourrait, par exemple, mettre en œuvre un programme mené par le gouvernement.
La certification biologique dans l’agriculture a, par exemple, commencé comme une initiative privée, mais puisque les différents groupes ont élaboré des normes concurrentes, les gouvernements sont intervenus pour réglementer le processus. Grâce à ce genre d’interaction complémentaire, les agriculteurs et consommateurs sont mieux en mesure de donner un sens aux critères d’éco-certification.
Le suivi et l’application se font également souvent par des interactions complémentaires. Les gouvernements peuvent, par exemple, fournir la technologie permettant aux initiatives privées de surveiller et d’évaluer les normes. Les données publiques peuvent aussi informer les partenaires privés sur la conformité et l’efficacité.
Les interactions public-privé sont souvent complémentaires lors de la phase de mise en œuvre, mais peuvent aussi aboutir à une substitution. La substitution peut se produire lorsqu’une politique publique approuve une initiative privée pour éviter le développement de nouveaux règlements, qui doublerait le coût de la mise en œuvre. Par exemple, le système de certification Forest Stewardship Council (FSC), volontaire et privé, a été récemment approuvé par le gouvernement camerounais comme une «preuve» possible que le bois a été produit légalement, évitant ainsi les doubles contrôles des compagnies forestières certifiées et réduisant les coûts de la mise en œuvre de normes nationales visant à lutter contre l’exploitation forestière illégale.
Parfois, les systèmes de certification, les tables rondes, les moratoires et autres formes de règlements privés peuvent saper les efforts des gouvernements à adopter des règlements plus stricts. A l’inverse, le développement de normes juridiques peut nuire aux incitations pour l’adoption de normes privées plus strictes. Il s’agit là d’exemples de relations antagonistes.
N’OUBLIONS PAS LA BASE
Les interactions entre les différents instruments politiques rendent difficile d’établir une relation de cause à effet. En outre, de nombreuses ONG bien intentionnées mettent en place des programmes d’éco-certification sans établir une base de référence qui pourrait démontrer les différences «avant-après». Par conséquent, même lorsque des effets positifs sont observés sur le terrain, il est très difficile de les attribuer à une seule politique, qu’elle soit publique ou privée.
«Il ne suffit pas d’observer l’amélioration des conditions sociales, environnementales et économiques dans ou autour, par exemple, une plantation ou une concession forestière», explique le co-auteur Paolo Cerutti, chercheur chevronné au Centre de Recherche Forestière Internationale (CIFOR).
«L’évolution positive aurait pu avoir lieu de toute façon en raison de l’engagement d’une entreprise individuelle à la durabilité. Si des résultats positifs se produisent, c’est bien sûr très bien, mais afin d’être plus efficace dans l’élaboration et la mise en œuvre de «bonnes» politiques à différentes échelles temporelles et géographiques, nous devons mieux comprendre les raisons pour lesquelles ces résultats ont eu lieu et le rôle joué par les politiques publiques et privées.»
De part la nature dynamique des instruments politiques, ces derniers sont également difficiles à cerner.
«Nous vivons dans un monde où de nouveaux outils sont constamment conçus, révisés et mis en œuvre», déclare M. Lambin. «Voilà pourquoi nous concluons l’article en promouvant le concept de «gestion adaptative» ou «gouvernance expérimentaliste». Nous ne pouvons pas mettre nos actions en attente jusqu’à ce que nous ayons recueilli suffisamment de preuves – nous pouvons seulement progresser en évaluant les actions au fur et à mesure.»
Pour M. Lambin, être conscient de la complexité est déjà un pas dans la bonne direction.
«Les études de cas sont essentielles pour comprendre l’histoire d’une ressource spécifique dans son contexte», dit-il.
«Néanmoins, il était important de rassembler 12 personnes autour d’une table pour examiner les tendances générales qui peuvent aboutir à de nouvelles questions de recherche. Nous allons continuer à travailler sur des instruments politiques spécifiques, mais avec une plus grande prise de conscience des interactions. Ceci nous aidera probablement à faire un meilleur travail.»
Pour plus d’informations sur les enjeux abordés dans cet article, veuillez contacter Paolo Cerutti sur p.cerutti@cgiar.org.
Cet article se base sur un atelier financé par la Fondation Francqui. Cette recherche s’inscrit dans le cadre du Programme de recherche du CGIAR sur les Forêts, les Arbres et l’Agroforesterie.
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