BOGOR, Indonésie – Une nouvelle étude a montré que la majorité des pays qui élaborent des stratégies nationales pour lutter contre les émissions de carbone, en évitant la déforestation et la dégradation des forêts, prennent peu en compte les causes sous-jacentes de la déforestation.
L’étude a examiné 98 documents stratégiques de 43 pays qui mettent en place des programmes REDD+ (Réduction des Emissions issues de la Déforestation et Dégradation des forêts). Elle a révélé que seulement 10 pays avaient planifié des interventions prenant explicitement en considération des facteurs spécifiques de la déforestation. Dix-neuf autres pays ont reconnu dans leurs documents l’importance de prendre en compte des facteurs, sans pour autant cibler des facteurs spécifiques ; 14 n’y ont fait aucune allusion.
Les causes sous-jacentes de la déforestation risquent de perdurer si on néglige ces facteurs
Cela a des conséquences majeures sur le contrôle de l’efficacité des projets REDD+. L’étude fait remarquer que les efforts actuels de surveillance tendent à se focaliser sur les changements mesurables dans les taux d’émissions de carbone associés aux changements des forêts. Il faudra renforcer les moyens de surveillance pour prendre en compte les causes plus globales de la déforestation. Les méthodes actuelles omettent souvent ces causes, telles que les facteurs socio-économiques de la déforestation ou les activités extérieures aux forêts.
«Comme les pays se focalisent sur la conservation des forêts et sur les stocks croissants de carbone en négligeant ces facteurs, les causes sous-jacentes de la déforestation risquent de perdurer », explique l’auteur principal du rapport, Giulia Salvini, chercheur à l’Université Wageningen aux Pays Bas.
«Les pays vont se retrouver dans une situation où ils soutiennent deux tendances opposées: encourager la conservation des forêts et permettre en même temps à certaines forces de continuer à diriger la déforestation et la dégradation des forêts», précise-t-elle.
QU’EST CE QUI ENCOURAGE LA DÉFORESTATION ?
L’étude a examiné deux types de causes, ou facteurs, de la déforestation: les causes directes et les causes sous-jacentes.
Les facteurs directs de la déforestation et de la dégradation des forêts sur le terrain varient beaucoup selon les pays, soulignent les chercheurs. Cela va de l’expansion des plantations d’huile de palme en Indonésie à l’élevage de bétail au Brésil, en passant par l’exploitation forestière au Cameroun ou le commerce transfrontalier au Mozambique.
Les causes sous-jacentes sont plus vastes, d’une force plus puissante, et sont donc plus difficilement mesurables. Elles touchent tous les aspects, allant des marchés internationaux aux prix des marchandises, de la croissance démographique à la pauvreté.
Les stratégies qui se focalisent uniquement sur les facteurs directs pour démontrer des réductions quantifiables d’émissions risquent d’accorder moins d’importance aux forces sous-jacentes plus vastes qui sont à l’origine de la perte forestière.
A l’inverse, 29 sur les 43 pays de l’étude ont proposé des interventions mentionnant des facteurs sous-jacents, mais très peu les ont liées aux facteurs directs de la déforestation, sur le terrain, dans leurs pays respectifs.
Il peut aussi être assez difficile de lier les facteurs sous-jacents à la déforestation. Dire que cette partie de la forêt a été coupée à cause de la demande internationale pour un produit, ou à cause de la pauvreté ou de la croissance démographique, peut s’avérer difficile
Selon Mme Salvini, les pays qui veulent atteindre les objectifs d’atténuation du changement climatique en diminuant simplement les émissions de carbone oublient que des solutions efficaces à la déforestation et la dégradation des forêts peuvent être trouvées «en allant à la source du problème».
«Pour que la REDD+ réussisse, les pays devraient regarder au-delà de la canopée forestière et lier davantage les interventions aux facteurs directs et sous-jacents de la déforestation et dégradation des forêts. Cela représente certainement un grand défis».
Le rapport fait remarquer que les facteurs sous-jacents sont souvent ignorés car ils sont complexes – ils impliquent des processus sociaux, économiques, politiques, culturels et technologiques – et donc difficilement contrôlables.
De plus, selon le co-auteur de l’étude, Martin Herold, on les a moins étudiés, ce qui souligne la nécessité d’effectuer davantage de recherches sur les facteurs au niveau national.
«Tout ce qui touche au carbone suscite l’intérêt de préserver les forêts. C’est quantifiable. Si vous dites par exemple “Préservons la biodiversité”, cela a tendance à être plus difficilement mesurable et contrôlable», explique M. Herold, professeur à l’Université de Wageningen aux Pays Bas.
«Il peut aussi être assez difficile de lier les facteurs sous-jacents à la déforestation. Dire que cette partie de la forêt a été coupée à cause de la demande internationale pour un produit, ou à cause de la pauvreté ou de la croissance démographique, peut s’avérer difficile», précise M. Hérold.
«Les pays n’ont jamais été sollicités pour évaluer réellement les facteurs, mais y ont été encouragés par des bailleurs de fonds, par exemple, ou encore par une décision de la COP 19 à Varsovie», explique-t-il.
«UN RECUL DEVANT LA REFORME»
Les pays ont défini dans leurs documents REDD+ une série «d’interventions directes» pour répondre à la question de la déforestation et dégradation des forêts, allant de la gestion durable des forêts à l’agroforesterie. Néanmoins, les mesures plus complexes prenant en compte les facteurs, appelées les «interventions-levier» («enabling interventions» en anglais), restent vagues. Par exemple, 36 pays ont proposé des interventions de bonne gouvernance, mais ils prennent rarement en compte les politiques et programmes existants ou planifiés qui pourraient engendrer la déforestation ou dégradation des forêts.
Selon Maria Brockhaus, scientifique chevronnée au Centre de Recherche Forestière Internationale (CIFOR) et co-auteur de l’étude, la maigre attention accordée aux facteurs sous-jacents et la faiblesse des interventions-levier démontrent un manque de volonté politique pour mettre en place les réformes nécessaires pour combattre la déforestation. De telles réformes, souligne-t-elle, demandent un investissement bien au-delà du secteur agroforestier et sont souvent accueillies avec résistance de la part de puissants partis intéressés.
«Il semble que les pays continuent à reculer face aux réformes plus vastes qui permettraient les changements et nouvelles politiques nécessaires pour la REDD+», explique-t-elle. «Arrêter les incitations financières perverses ou réformer le régime foncier restent de bons exemples… Il y a souvent un lien avec des intérêts et enjeux sous-jacents».
RECOMMANDATIONS
Le rapport recommande de consacrer plus d’efforts à établir des bases de données complètes et précises, car les pays possédant des données plus fiables ont eu tendance à élaborer des interventions mieux ciblées. Le rapport appelle également à chercher plus d’explications au fait que davantage de mesures sont prises contre la dégradation des forêts que contre la déforestation.
M. Herold explique que c’est certainement dû au fait que les pays se sentent capables de les réaliser à court terme. «Il est difficile pour eux de faire face aux facteurs internationaux. Ils peuvent les dévier, mais s’ils veulent faire quelque chose de concret, comme reconvertir l’agriculture qui détruit la forêt naturelle, c’est plus complexe que de simplement planter des arbres ou réhabiliter une forêt», précise-t-il.
Lisez l’étude, «Comment les pays relient les interventions de REDD+ aux facteurs dans leurs plans d’action: les conséquences pour les systèmes de surveillance», ici.
Pour plus d’informations sur les sujets de cette recherche, veuillez contacter Maria Brockaus sur m.brockhaus@cgiar.org.
Cette étude s’inscrit dans le cadre du Programme de recherche du CGIAR sur les Forêts, les Arbres et l’Agroforesterie.
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