BOGOR, Indonésie – Depuis des générations au Cameroun, les villageois broient les fruits oranges vifs du palmier à huile pour en extraire une huile rouge très parfumée – un ingrédient clé de la cuisine locale.
Maintenant, de nombreuses communautés ont mécanisé ce processus, en utilisant des moulins artisanaux entraînés par des moteurs de voiture ou de motos. Les moulins sont si rentables que le gouvernement camerounais envisage de les interdire.
Pourquoi? C’est une histoire de paradoxes -et de prix, bien sûr- étudiée dans une nouvelle publication de Raymond Nkongho et d’autres chercheurs du Centre de Recherche Forestière Internationale (CIFOR).
Mondialement connu pour ses vastes plantations en Malaisie et en Indonésie, le palmier à huile est originaire du Golfe de Guinée et il est utilisé par les communautés d’Afrique de l’Ouest et Centrale depuis des siècles pour faire de l’huile, du vin, des médicaments, des toitures et matériaux de construction.
Plus récemment, des plantations industrielles et des moulins se sont développés au Cameroun, et dans les années 1990, lorsque les prix du café et du cacao se sont effondrés, de nombreux petits exploitants ont planté du palmier à huile à la place. Les entreprises en aval, qui raffinent l’huile et la transforment en savon et en cosmétiques, sont en plein essor.
L’huile de palme fournit des emplois et de l’huile pour les populations locales, puisque qu’elle est disponible sur le marché local. Cela explique le succès de toute cette entreprise.
Mais actuellement dans cette nation d’huile de palme, la demande dépasse l’offre et le pays, comme d’autres dans la région, doit importer d’Asie du Sud-Est.
«Face à ce contexte de manque d’huile pour les besoins locaux, il y a eu pendant les 15 à 20 dernières années un développement considérable de l’extraction artisanale», déclare Patrice Levang, scientifique au CIFOR et co-auteur de l’étude.
Un nombre croissant de petits producteurs choisissent d’utiliser des moulins artisanaux pour transformer leurs noix de palme au lieu de les vendre aux usines d’extraction industrielles, dit M. Levang.
Ceci représente une grande frustration pour l’industrie et le gouvernement, car les moulins artisanaux sont très peu performants et produisent environ un tiers d’huile en moins. Pendant la saison de basse production, lorsque les entreprises ne peuvent pas se procurer suffisamment de fruits du palmier à huile pour faire tourner leurs usines, celles-ci tournent au ralenti.
UN EXCELLENT REVENU
L’étude de M. Nkongho et M. Levang se demande pourquoi les petits exploitants préfèrent leurs techniques de production d’huile, peu performantes mais «faites maison», et constate que bien qu’ils obtiennent moins d’huile dans leurs plantations de palmier, ils en tirent plus d’argent.
Par souci de maintenir bas le prix de l’huile rouge pour les consommateurs -et pour les puissantes industries locales achetant l’huile- c’est le gouvernement camerounais qui fixe le prix de l’huile de palme en provenance des usines. Les entreprises rémunèrent à prix fixe les locaux pour leurs fruits, à des taux bas.
Mais si les petits exploitants extraient l’huile eux-mêmes, ils peuvent la vendre sur le marché informel, où les prix sont libres, explique M. Levang.
«Surtout pendant la basse saison de production, lorsque l’huile est rare, les prix flambent», ajoute-il. «Ils peuvent obtenir presque le double du prix officiel, et c’est là qu’ils gagnent vraiment de l’argent.»
Les agriculteurs et les commerçants peuvent aussi être payés directement lors de la livraison au moulin artisanal, alors que s’ils apportent leurs noix de palme à une usine d’extraction industrielle, cela peut prendre des semaines ou des mois avant qu’ils ne soient payés.
Les moulins artisanaux procurent également d’importants bénéfices sociaux, démontre la publication.
Ils sont une source d’emplois ouvriers en milieu rural pour les jeunes hommes, réduisant ainsi l’exode vers les villes. Et bien que les femmes soient moins impliquées quand le broyage est plus mécanisé, elles peuvent en tirer un bon revenu en tant qu’intermédiaires, déclare M. Levang.
«Par exemple, une veuve qui achète toutes les semaines à son voisin 100$ de noix de palme peut se rendre au moulin, extraire de l’huile elle-même avec l’aide des employés, et la vendre pour un bénéfice de 100$», dit-il.
«Une centaine de dollars de bénéfice par semaine représente un bon revenu. C’est environ deux fois ce que gagne un enseignant du secondaire local.»
«Donc cela fournit des emplois et de l’huile pour les populations locales, puisque qu’elle est disponible sur le marché local. Cela explique le succès de toute cette entreprise. »
PAS DE CONTE DE FEE
Les entreprises de plantation de palmiers à huile, cependant, considèrent les moulins artisanaux comme une menace, et ont demandé à plusieurs reprises au gouvernement de les déclarer illégaux et de les fermer.
Leur problème n’est pas uniquement qu’ils ne peuvent pas obtenir assez de fruits pour faire fonctionner leurs usines toute l’année. Ils soupçonnent également les petits exploitants de voler des régimes dans les plantations des entreprises et de les transformer dans leurs ateliers artisanaux, déclare M. Levang.
«Quand vous regardez la répartition de ces moulins artisanaux, la plupart d’entre eux sont situés à proximité des usines industrielles et des grandes plantations», dit-il. «Donc, cela arrive probablement.»
Ecologiquement parlant, les moulins artisanaux sont «un cauchemar», dit-il.
Ils sont chauds, enfumés, et peuvent être insalubres et dangereux. Ils produisent des déchets et des effluents, qui finissent souvent dans les cours d’eau adjacents. La qualité de l’huile n’est pas contrôlée et peut être élevée en acides gras malsains.
«Ils ont leur raison d’être, mais ils ne sont pas une solution romantique au problème», déclare M. Levang.
UNE SOLUTION SIMPLE
Détruire les ateliers et confisquer le matériel –ce qui a déjà été tenté par le gouvernement dans certaines régions- n’est pas la réponse non plus, dit M. Levang, et cela entraînerait de graves problèmes sociaux.
Il considère que c’est plutôt le prix incitatif qui motive la prolifération de ces unités de transformation artisanale. C’est donc ce prix qui doit être changé.
«Si le gouvernement libéralise le prix de l’huile, en seulement quelques mois, la plupart de ces moulins artisanaux disparaîtront», dit-il.
M. Levang affirme que si il y avait un marché libre pour les fruits du palmier à huile au Cameroun, plus les petits exploitants produiraient d’huile, plus ils gagneraient d’argent, de sorte qu’ils se tourneraient vers les usines les plus performantes, les industrielles.
«Il suffit de proposer un meilleur prix aux producteurs et le problème sera résolu.»
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