BOGOR, Indonésie – Les responsables politiques et les défenseurs de l’environnement négligent souvent l’importance des forêts rurales, ainsi que les connaissances locales qui les ont soutenues durant des siècles, selon un rapport, publié dans la revue Ecology and Society, sur la manière dont les politiques de développement durable ont affecté les forêts rurales.
Les forêts rurales, ou domestiques, existent partout dans le monde, des pays tempérés aux régions arides et humides tropicales. Elles sont gérées par des populations locales dans le cadre de leurs activités agricoles et économiques, selon la revue. Cette dernière présente huit études sur les forêts rurales en France, au Maroc, en Asie du Sud-Est et en Afrique, financées par le projet de Politiques Publiques et Gestions Paysannes de l’Arbre et de la Forêt (POPULAR).
Les forêts rurales sont affectées par les politiques et règlements forestiers nationaux. Cependant, les politiques d’Etat n’intègrent souvent pas ce que les chercheurs appellent la «logique des forêts rurales», soutiennent les chercheurs dans une étude intitulée «Les politiques publiques et la gestion des forêts rurales: alliance durable ou dialogue de dupes?».
«Les personnes vivant dans les forêts rurales ont une manière particulière d’envisager des systèmes de production et de subsistance, et de créer une alliance entre les écosystèmes forestiers et l’agriculture», déclare Geneviève Michon, une scientifique de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) qui a mené des recherches sur la résilience de plusieurs forêts nationales à travers le monde (en se basant sur les châtaigniers de Corse en France; les arganiers au Maroc; et les agroforêts en Indonésie).
Contrairement à la représentation moderne de la domestication de la nature en faveur de la production, les populations rurales n’instaurent pas de distinction claire entre «forêt» et «agriculture».
LA LOGIQUE DES FORÊTS RURALES
La gestion des forêts rurales repose sur des pratiques complexes visant à domestiquer des arbres, écosystèmes et paysages pour servir les besoins humains, déclarent les chercheurs en citant des études antérieures. Dans ce processus de domestication, ils profitent de la dynamique naturelle de la végétation, plutôt que de la combattre comme le fait l’agriculture conventionnelle.
Le châtaignier, que Mme Michon appelle «le plus humanisé de tous les arbres forestiers européens» est un exemple. Plus de quinze siècles de domestication du châtaignier, par greffage, n’ont pas effacé les caractéristiques sauvages de l’arbre: grande taille, vigueur et capacité de survivre sans les soins de l’homme. En outre, les forêts de châtaigniers comprennent des variétés greffées ainsi que des arbres sauvages.
La domestication est souvent invisible, ce qui cache les complexités de la gestion forestière en milieu rural et mène à une mauvaise compréhension de son importance, selon les chercheurs.
Alors que certains arbres domestiques, tels que l’arganier au Maroc, semblent être «sauvages», les chercheurs soulignent qu’ils sont en fait soigneusement entretenus. Des recherches antérieures ont montré que des populations locales cultivent une variété de formes pour leurs forêts: dans les pâturages, par exemple, des techniques telles que l’élagage sélectif peuvent aider ou entraver la recherche de nourriture des chèvres.
Les agroforêts en Indonésie ont évolué de la plantation d’arbres sur des zones défrichées par brûlis. Cette technique agricole consiste à poser des incendies de manière itinérante, afin de défricher et de régénérer la terre fertile pour pouvoir cultiver. Bien qu’elle ait été domestiquée, la forêt résultante ressemble à un écosystème naturel ayant une canopée haute, un sous-bois dense et des niveaux élevés de biodiversité, le tout avec une intervention humaine minimale, explique Mme Michon.
APPROCHE PAYSAGÈRE
Des recherches antérieures montrent également comment les agriculteurs forestiers investissent davantage d’énergie dans la domestication de paysages entiers, plutôt que de se concentrer sur des espèces individuelles. Cela comprend la construction de terrasses pour empêcher l’érosion de la terre et le ruissellement de l’eau, l’introduction de droits différenciés divisant les forêts en zones distinctes (telles que les vergers pour la production de fruits, des espaces dédiés à la recherche de nourriture et la production de bois) ou la diversification du paysage par des champs ouverts, parcelles forestières et arbres individuels.
«Ce type de gestion, où on fait un peu de tout et tout est optimisé, est probablement le meilleur exemple réel de durabilité. Toutefois, il est largement ignoré par la foresterie commune», déclare Robert Nasi, chercheur chevronné au Centre de Recherche Forestière Internationale (CIFOR) qui a codirigé, avec Mme Michon, le projet POPULAR.
«Lorsqu’elles sont livrées à elles-mêmes, les personnes vivant dans les forêts rurales gèrent raisonnablement bien leurs ressources», dit-il. «La façon dont elles le font ne correspond pas aux normes modernes de rationalisation de la production. Néanmoins, compte tenu des résultats sur le long terme, elles engendrent des bénéfices économiques et sociaux importants pour les populations rurales. De plus, ces personnes sont capables de s’adapter à des changements. Par conséquent, les forêts rurales sont très résistantes.»
Au cours des siècles, les forêts rurales ont survécu en dépit de politiques nationales imposant l’agriculture intensive et la modernisation, selon l’étude. Avec la crise économique mondiale, les gouvernements nationaux, et même locaux, accordent néanmoins plus d’attention aux forêts rurales dans le cadre de stratégies socio-environnementales et économiques proactives. Ceci n’améliore pas toujours le sort des forêts rurales.
«En Indonésie, certaines ONG veulent protéger les forêts rurales pour des raisons de conservation, mais leurs politiques peuvent porter atteinte aux intérêts des populations locales en termes de limitation de l’accès à la terre ou d’interdiction des techniques d’agriculture itinérante sur brûlis, déclare Mme Michon. L’approche des ONG est peut-être moins extrême que celle des administrateurs forestiers, mais elle accorde toujours peu d’attention à la logique des forêts rurales.»
Mme Michon et M. Nasi sont optimistes : même si les perceptions globales ne sont pas prêtes à changer brusquement, la mondialisation peut présenter de nouvelles perspectives pour apprécier des forêts rurales. Selon eux, les forestiers et les biologistes ont déjà commencé à considérer les humains comme une partie valable de l’écosystème forestier, plutôt que des envahisseurs. Les spécialistes en ethnoscience ont également contribué à placer les interactions entre les populations locales et les forêts sous une lumière plus positive. De nouveaux modèles de commerce et de consommation (certification environnementale, commerce équitable, systèmes d’indication géographique) peuvent également aider ces systèmes à développer leur propre logique, tout en bénéficiant du monde extérieur.
Pour plus d’informations sur les enjeux abordés dans cet article, veuillez contacter Robert Nasi sur r.nasi@cgiar.com.
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