Prostate, Prunus et politique: arbre remarquable, étude contestée et choix difficiles en perspective

La source d'un médicament populaire pour traiter les troubles de la prostate a été prise dans un imbroglio, s'étendant des collines de l'Afrique centrale jusqu’aux salles de Bruxelles.
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Des cultivateurs inspectent un Prunus africana planté au Cameroun. Le potentiel de récoltes durables de l’écorce de cet arbre fait l’objet d’un débat. Photo: Terry Sunderland/CIFOR

BOGOR, Indonésie – La source d’un médicament populaire pour traiter les troubles de la prostate fait l’objet d’un imbroglio, qui s’étend des collines de l‘Afrique centrale aux salles de Bruxelles.

Au centre de cette histoire: l’écorce d’un arbre.

Le Prunus africana — mieux connu sous le nom de Prunier d’Afrique — est un arbre remarquable. De la même famille que les roses, ce grand arbre tropical est aussi appelé «African stinkwood», en raison de son écorce âcre. On le trouve uniquement dans les forêts de montagne à haute valeur de conservation en Afrique et à Madagascar.

L’extrait de son écorce est utilisé comme plante médicinale contre l’hypertrophie bénigne de la prostate (HBP), un agrandissement de la prostate qui affecte de nombreux hommes d’âge moyen dans le monde entier. Il existe désormais au moins 40 produits de marque utilisant l’extrait d’écorce du P. africana. En 1997, la valeur du commerce des préparations à base du P. africana a été estimée à 220 millions de dollars par an et pourrait même être plus élevée aujourd’hui. Au cours des 40 dernières années, la récolte d’écorces du P. africana est passée d’une utilisation de subsistance à une utilisation commerciale à grande échelle en raison du commerce international croissant.

Les préoccupations croissantes quant à la durabilité de la récolte d’écorces ont mené en 1995 à l’inscription du P. africana sur l’Annexe II de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES). Douze ans plus tard, l’Union européenne a interdit l’importation d’écorces récoltées à l’état sauvage au Cameroun en raison de preuves accablantes de non-durabilité. Cependant, avec la pression du secteur privé et du gouvernement camerounais, l’interdiction a été levée en 2011 et des quotas ont été établis pour les principales régions productrices.

The stripped trunk of a Prunus africana tree after harvesting, in Equatorial Guinea. Photo courtesy Terry Sunderland/CIFOR

Tronc dénudé d’un Prunus africana après la récolte, en Guinée Equatoriale. Photo: Terry Sunderland/CIFOR

La justification de la levée de l’interdiction a principalement été basée sur le «Plan de gestion du Prunus», un rapport publié par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture et commandé par le gouvernement camerounais, avec participation de plusieurs organismes de recherche, dont le Centre de Recherche Forestière Internationale (CIFOR). Néanmoins, des scientifiques chevronnés du CIFOR, ainsi que le personnel d’un organisme donateur majeur, ont depuis lors exprimé leur inquiétude sur le fait que ce plan ne tient pas compte de l’écologie complexe de l’espèce et surestime le potentiel d’approvisionnement en écorce provenant de sources cultivées.

La faible gouvernance et les intérêts dans les bénéfices de l’écorce du Prunus suggèrent qu’il y a encore beaucoup à faire pour que la récolte sauvage de l’espèce puisse être considérée comme durable, selon des scientifiques du rapport. Il y a également des préoccupations sur la récolte commerciale de l’écorce en raison de la biologie de cette espèce arboricole, dont la durée de vie est typiquement longue. Par exemple, là où aucune exploitation a lieu, la mortalité annuelle des arbres P. africana de plus de 10 cm de Diamètre à hauteur de poitrine (DHP, une mesure courante de la taille des arbres) est très faible (environ 1% par an). Dans les populations sauvages exploitées commercialement, les taux de mortalité des arbres P. africana de plus de 10 cm de DHP peuvent être de 50 à 100 fois plus élevés que le taux de mortalité naturelle dans les forêts de montagne au Cameroun.

Ce sujet est riche en enseignements sur le développement de politiques, la gouvernance forestière et le commerce, déclare un chercheur.

«Le défi consiste à trouver un juste équilibre entre la demande commerciale pour l’écorce, les moyens de subsistance des populations locales et la ressource elle-même», explique Terry Sunderland, directeur scientifique au CIFOR. «Et c’est là que demeure un écart majeur entre la politique et la pratique.»

La récolte sauvage peut-elle continuer ?

Le P. africana est non seulement menacé par l’exploitation non durable, mais également par la perte globale de son habitat liée à la déforestation. Par exemple, sur les hauts plateaux du centre de l’Ethiopie, la couverture forestière a été réduite de 35 à 40% à la fin du 19ème siècle et s’élève à moins de 2,8% aujourd’hui. La perte des forêts a également été élevée dans les pays producteurs de Prunus africana, le Kenya, l’Ouganda, le Cameroun et Madagascar.

La récolte sauvage, est-elle la bonne voie pour l’avenir? Ceci est peu probable, si l’ont se sert des leçons tirées des expériences faites avec d’autres écorces médicinales récoltées commercialement pour le Prunus africana. Contrairement au P. africana, la plupart des espèces arboricoles produisant de l’écorce exploitée pour le commerce international ont fait leur transition de la récolte sauvage à la production provenant de sources cultivées (plantations ou systèmes agroforestiers). Des agriculteurs camerounais ont planté des arbres, mais les taux de mortalité sont élevés et la majorité des arbres plantés n’est pas suffisamment mature pour l’exploitation commerciale, dit M. Sunderland.

A photo showing crown death and senescence of a harvested Prunus africana tree in Bioko, Equatorial Guinea. Photo courtesy Terry Sunderland/CIFOR

Cette photo montre la dégénérescence et la senescence d’un Prunus africana cultivé à Bioko en Guinée Equatoriale. Photo: Terry Sunderland/CIFOR

 

Malgré ces facteurs, certaines organisations internationales considèrent toujours la récolte du Prunus africana comme un modèle durable qui peut être appliqué ailleurs. Si cela se produit, il sera essentiel que les préoccupations largement exprimées concernant les recommandations sur les inventaires et la gestion soient basées sur des preuves solides, souligne M. Sunderland du CIFOR. Ceci est essentiel afin d’éviter une situation où des études contestées tolèrent une exploitation continue au sein de zones de conservation forestière d’une importance mondiale.

Des recherches sont actuellement en cours pour déterminer la voie à suivre pour l’exploitation du Prunus africana, en tenant compte de la biologie de l’espèce, des quotas de récolte, de la gouvernance et des arrangements de partage des bénéfices, ainsi que du droit et de la politique internationaux.

La prochaine étape, selon M. Sunderland, est de déterminer ce qui se passe réellement sur le terrain dans la phase actuelle de récolte d’écorces et de tenter d’évaluer les impacts sur l’espèce et sur les moyens de subsistance des personnes concernées. Cette information sera ensuite directement inclue dans les processus politiques qui influent sur les contrôles sur l’exploitation de l’espèce, non seulement au Cameroun mais dans toute son aire de répartition.

Selon un expert, ce scénario illustre comment la foresterie peut contribuer au bien-être humain, indépendamment de l’emplacement géographique et au-delà des préoccupations forestières conventionnelles. «Il s’agit d’un bon exemple de la raison pour laquelle nous devons reconnaître la foresterie dans l’ensemble de l’agenda du développement durable, plutôt que de la confiner à des objectifs ou cibles forestiers isolés», déclare Peter Holmgren, le Directeur général du CIFOR. Dans le cas du Prunus africana, les arbres fournissent des bienfaits considérables pour la santé. «Nous ne voulons pas mettre en péril ces bénéfices issus des forêts», déclare M. Holmgren. «Dans ce cas, un produit relativement rare peut générer des effets considérables sur la santé, selon la façon dont les forêts sont gérées.»

«De telles situations montrent la nécessité d’une approche de gestion plus globale allant au-delà des frontières et des groupes de parties prenantes – une approche établie par des politiques qui sont fondées sur les meilleures preuves disponibles.»

Pour plus d’informations sur ce sujet, veuillez contacter Terry Sunderland à t.sunderland@cgiar.org.

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