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Foresterie et faits avérés: comment faire collaborer science et politiques pour des forêts et des paysages sains

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Eléments d’une revue systématique, adapté de Petrokofsky et al. 2011 et reproduit avec l’aimable permission de la Commonwealth Forestry Association.

Il y a de plus en plus d’attentes envers des politiques basées sur des faits avérés. Cela concerne l’utilisation des fonds publiques pour l’aide au développement, comme par exemple des initiatives gouvernementales comme celles promues par des gouvernements nationaux et soutenues par des initiatives telles que le programme RAPID de l’Overseas Development Institute, Research to Action et 3ie.

Tout en reconnaissant que la recherche scientifique est une source importante de savoirs, il est important de préciser que la science n’apporte pas, en soit, des réponses aux questions politiques, et qu’elle n’est pas non plus l’unique source de ce qui peut être considéré comme une donnée faisant autorité (1). Ce type de confusion est illustré par le fait que certaines approches scientifiques ont parfois été critiquées pour avoir usurpé d’autres formes de données et pour avoir suggéré des solutions technologiques à des problèmes sociaux-économiques complexes. Les mêmes critiques, cependant, défendent aussi un processus de décision efficace basé sur des faits. Par exemple, dans les politiques internationales de changement climatique, d’énormes efforts ont été accomplis pour clarifier la base de connaissance et informer les preneurs de décision des données disponibles, mais ces mêmes preneurs de décision demeurent très indécis. Cela semble dépendre davantage du processus de prise de décision que de la qualité et du volume des données apportées. Il y a encore plus en jeu ici: il n’y a pas seulement relation linéaire entre bonne science et bonne politique.

Dans un document politique important, comme la récente évaluation interne des opérations forestières de la Banque Mondiale (2), il est important que ces analyses soient systématiques, transparentes et incluent l’information disponible, comme discuté dans cet article du blog du CIFOR. Sinon, le document, ainsi que les commentaires et les décisions qui en découlent peuvent rapidement être considérés comme biaisés, ignorants, ou les deux.

Le processus de synthèse des faits avérés est itératif. Cela implique de définir les questions politiques puis de faire l’état des connaissances disponibles pour répondre à ces questions. Cela peut mener à de nouvelles priorités de recherches, de même qu’au réexamen du cadre légal initial. De plus, les nouveaux résultats peuvent s’ajouter au corpus de connaissance, et potentiellement améliorer la qualité des conclusions.

Il est bon de se rappeler les mots de J.Nisbet’s, il y a plus d’un siècle: “La foresterie… peut être considérée comme la petite soeur et la servante de l’agriculture. Chacun de ces arts est essentiel au bien-être des nations, et aucun peuple ne peut être qualifié de sage, politique ou économique s’il ne fait pas attention au développement des deux.”(3)

La valeur de la foresterie dans la formation des paysages est aussi importante maintenant que lorsque Nisbet travaillait comme forestier. Cependant, il serait surpris des changements spectaculaires dans le domaine des services et produits que les régions boisées du 21ème siècle devraient apporter. Et il y a de nouveaux défis aussi, avec un changement rapide de l’environnement, des nuisibles et des maladies différentes, et de nouvelles conditions économiques et sociales à prendre en considération.

Beaucoup de ces directions et incertitudes changeantes demandent de nouvelles politiques forestières et de la recherche pour guider les décisions et atteindre un résultat bénéfique pour la société. Cela fait peser de lourdes attentes sur la science, qui apporte une information pour construire une politique éclairée et basée sur des faits. Cependant, il n’est pas nécessaire de toujours lancer de nouvelles recherches pour apporter des réponses à de nouvelles questions politiques ou de nouvelles manières de regarder le problème le plus sérieux du monde. La connaissance fondamentale existante contient une énorme quantité de recherches potentiellement très pertinentes, dont la plupart sont de très bonne qualité. Le défi est de les extraire et d’analyser leurs résultats de manière à soutenir la création de politiques non biaisées.

Un réexamen actuel du cadre politique concerne l’élargissement des perspectives sur la foresterie et l’agriculture et mène à une approche par le paysage, pour trouver de meilleures solutions combinées pour répondre aux problèmes de sécurité alimentaire, changement climatique, conservation de la nature et pauvreté.

Une solide base de données est la clé pour informer les dispositifs institutionnels et politiques existants des bénéfices qu’il y a de passer à une approche par les paysages. Sinon, il y aurait un risque (dans ce cas) que des sections de la communauté forestière continuent à se focaliser sur des questions isolées, telles que les concessions de bois et les zones protégées, puisque celles-ci sont facilement définissables et faciles à traiter pour les autorités.

Avec ces priorités en tête, le CIFOR a pris la décision stratégique d’introduire un projet de foresterie basé sur les faits comme élément essentiel de notre travail en 2013. Actuellement dans la phase d’initiative, le CIFOR est rejoint par l’Université d’Oxford, et des organisations partenaires clés pour développer un programme qui place des données solides au coeur de notre travail.

Le CIFOR et ses organisations partenaires dans la recherche forestière internationale apportent des données pour les processus politiques, soit directement à travers des projets de recherches définis, soit indirectement via les décideurs et autres intervenants qui utilisent nos résultats publiés. Ces résultats peuvent être des documents de recherche examinés par nos pairs, des publications informelles, comme nos messages ponctuellement envoyés via les médias sociaux (Twitter, blogs, etc.). Dans tous les cas, il est fondamental d’avoir des standards élevés et des approches bien définies pour évaluer la qualité des données.

Beaucoup de secteurs ont des procédures bien établies pour utiliser des approches systématiques et scientifiques dans le dialogue et l’action des sciences politiques. Cela inclut la Santé (Cochrane Collaboration, qui célèbre son 20ème anniversaire en 2013), le bien-être social (Campbell Collaboration, actif depuis 2000), et la préservation de l’environnement (Collaboration for Environmental Evidence, qui a débuté ses opérations en 2006).

Des examens systématiques sont au coeur des initiatives scientifiques dans ces domaines. Ce sont des outils d’informations puissants qui aident à la bonne prise de décision: sans revue systématique, il n’y a pas de médecine basée sur des faits. Mais les examens systématiques ne sont pas encore une pratique commune dans la communauté forestière, malgré le fait que la demande pour des prises de décisions basées sur des données continue de croître (4). Des termes comme “politique basée sur des faits” sont utilisés librement lors de réunions internationales et nationales sur la foresterie, souvent sans définition (5).

Le simple volume de publications scientifiques diffusées au sujet des forêts dans la littérature internationale, et le coût et la difficulté de les lire pour comprendre des messages complexes et souvent conflictuels repoussent les décideurs. Comme Roger Pielke l’a observé avec ironie dans son livre influent The Honest Broker:

L’entreprise scientifique est assez diversifiée pour offrir une information qui peut être utilisée pour soutenir une diversité de perspectives sur tout sujet… il est commun dans le monde politique de décider d’actions à entreprendre, puis de trouver l’information pour les soutenir”.

Les examens systématiques ont été développés à l’origine pour mettre fin à cette “cueillette” de preuves scientifiques (et autres) en médecine. Elles visent à manier un nombre important d’études sans introduire de biais additionnels.

Pour plus d’information sur l’initiative de foresterie basée sur des données, veuillez contacter:

Gillian Petrokofsky (gillian.petrokofsky@zoo.ox.ac.uk) ou Peter Kanowski (p.kanowski@cgiar.org)

Bibliographie:

1. Sutherland WJ, Bellingan L, Bellingham JR, Blackstock JJ, Bloomfield RM et al. 2012. A collaboratively-derived science-policy research agenda. PLoS ONE 7(3): e31824. doi:10.1371/journal.pone.0031824

2. World Bank, Independent Evaluation Group, 2013. Managing Forest Resources for Sustainable Development. An Evaluation of World Bank Group Experience, February 5, 2013

3. Nisbet J. 1905. The Forester. [2 Volumes] UK: William Blackwood and Sons.

4. European Commission. 2010. Evidence-based policy versus policy-biased evidence: the challenge of feeding scientific advice into policy-making. Conclusions of the High-Level Trans-Atlantic Science for Policy Workshop, October 2009, Ispra, Italy.

5. Petrokofsky G, Holmgren P and Brown ND. 2011. Reliable forest carbon monitoring: systematic reviews as a tool for validating the knowledge base. International Forestry Review 13(1):56-66.

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