Il y a presque 20 ans, lorsque j’étais doctorant-chercheur au sein du programme Tropenbos Cameroun, nous avons accueilli une équipe de chercheurs du CIFOR qui étudiait la gestion durable des forêts en Afrique. L’équipe avait besoin de tester ses critères et indicateurs dans une région dotée d’un plan de gestion des forêts. Seul problème, le Cameroun venait juste d’adopter sa loi forestière et aucun plan d’aménagement de forêt n’avait encore été élaboré.
Depuis, la gestion des forêts du bassin du Congo en Afrique Centrale, d’où je suis originaire, a fait du chemin. Avant 1992, seul le Gabon disposait d’un ministère des forêts ; dans les autres pays, les questions forestières étaient dissimulées dans les divers ministères de l’agriculture. Le rôle des forêts dans l’atténuation du changement climatique était peu discuté et aucunement mentionné dans la législation des pays d’Afrique centrale.
Ni les lois ni les politiques n’envisageaient le rôle des communautés ou des femmes dans la gestion et l’accès aux forêts. Les plans d’aménagement des concessions forestières, première étape d’une gestion durable des forêts, n’étaient pratiquement pas suivis et rarement utilisés. L’importance des forêts pour la sécurité alimentaire et la nutrition de dizaines de millions de personnes était considérée comme acquise. La Chine n’était pas encore arrivée en Afrique comme puissance économique. Les biocarburants en étaient encore au stade de la recherche et les plantations de palmiers à huile peu nombreuses. L’idée selon laquelle les forêts dépassaient les frontières nationales et devaient être gérées de manière collective était encore loin de devenir une réalité.
Mais des changements considérables ont eu lieu dans la région peu après la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement (CNUED) de 1992, également appelée Sommet de Rio. L’un après l’autre, les pays ont créé des ministères en charge des forêts et des organismes d’appui. Les fonctionnaires se sont attelés à la rédaction de nouveaux cadres juridiques complets pour les forêts. Les décideurs politiques ont introduit des lois reconnaissant le rôle des groupes communautaires et des femmes dans la gestion durable des forêts.
La gestion forestière doit évoluer à partir d’un modèle colonial qui a été «exporté» vers les tropiques dans les années 1950, les plans existants d’aménagement forestièr doivent être mis en œuvre et l’application des lois et la gouvernance doivent être renforcées.
Le Forest Stewardship Council est né en 1993 et les premières forêts certifiées sont apparues en Afrique en 2005. L’Union européenne a quant à elle lancé son Plan d’action pour l’application des réglementations forestières, la gouvernance et les échanges commerciaux (FLEGT) en 2003. L’augmentation de presque 50 % de la population dans la région a mis en évidence le lien essentiel qui existe entre les forêts et la sécurité alimentaire/nutrition. Enfin, l’avancée des dispositifs d’atténuation du changement climatique basés sur les forêts, durant les conférences de l’ONU sur le changement climatique, a permis aux décideurs politiques africains de mieux comprendre l’importance des forêts du bassin du Congo.
Loin d’être exhaustive, cette liste montre clairement que la gestion durable des forêts en Afrique centrale semble avoir progressé. Il reste toutefois des questions en suspens, et une conférence organisée la semaine prochaine par le Centre de recherche forestière internationale aura pour objectif d’apporter des réponses aux chercheurs comme aux institutions de développement : Quelles sont les actions entreprises ? Quelles sont les conséquences de ces changements ? Où en sommes-nous aujourd’hui ? Quels sont les défis à venir ? Quelles sont les priorités pour les chercheurs, les décideurs politiques et les spécialistes ?
Alors que les taux de déforestation sont relativement faibles depuis 20 ans, tout semble indiquer que les forêts d’Afrique centrale se trouvent à un tournant majeur.
Si les taux de croissance démographique actuels se maintiennent, la population du bassin du Congo va doubler d’ici 25 à 30 ans. Les routes construites pour l’exploitation forestière pénètrent lentement dans des zones boisées jusque-là intactes, ce qui accroît l’accessibilité et l’exposition des forêts à davantage de menaces indirectes.
Ce sujet sera l’un des thèmes discutés lors de la conférence de deux jours La gestion durable des forêts d’Afrique centrale: hier, aujourd’hui et demain à Yaoundé au Cameroun les 22 et 23 mai 2013. .
Retrouvez les reportages du CIFOR sur les forêts d’Afrique Centrale sur forestsnews.cifor.org/fr/yaounde
Les pays d’Afrique centrale sont confrontés aux acquisitions de terres à grande échelle, par des investisseurs étrangers qui cherchent à développer les agro-industries et le secteur minier. Les forêts et des populations tributaires des forêts sont vulnérables face au changement climatique, ce qui est préoccupant à l’échelle locale, nationale et internationale.
Les cadres juridiques mis en place pour favoriser la gestion durable des forêts ne sont pas cohérents. Les activités informelles et illégales ont continué d’augmenter de façon incontrôlable. Les connaissances sur les ressources disponibles, leur dynamique et leurs interactions semblent toujours insuffisantes. Les problèmes de gouvernance et la corruption persistent.
En 20 ans, nous avons beaucoup progressé en Afrique centrale, mais il reste beaucoup à faire. La gestion forestière doit évoluer à partir d’un modèle colonial qui a été «exporté» vers les tropiques dans les années 1950, les plans existants d’aménagement forestièr doivent être mis en œuvre et l’application des lois et la gouvernance doivent être renforcées. Nous avons besoin de voir une augmentation spectaculaire dans les zones gérées correctement au cours des 20 prochaines années, pas un retour à l’exploitation business-as-usual des forêts.
Richard est le coordonnateur régional du bureau Afrique centrale du CIFOR. Il peut être contacté à r.atyi@cgiar.org
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