BOGOR, Indonésie (18 Mars 2013) _ Obliger les sociétés forestières, minières et de plantations à effectuer des enquêtes coûteuses, longues et pour la plupart incomplètes sur la biodiversité dans leurs exploitations pourrait repousser celles qui sont vraiment engagées dans la conservation, tout en permettant aux entreprises commerciales moins scrupuleuses de passer inaperçu, selon une nouvelle étude menée par le Centre pour la Recherche Forestière Internationale.
« Lister les espèces dans une zone est toujours une exigence », explique le chercheur Erik Meijaard du CIFOR. « Mais ce n’est pas toujours pratique et quand on insiste trop cela devient contre-productif ».
« Vous pouvez trouver 400 espèces, ou 5 000, mais qu’est-ce que cela vous dit vraiment ? », a t-il demandé.
« Et si vous signalez dûment la présence d’un orang-outan ou d’une autre espèce bien connue et charismatique qui est soit menacée ou en danger, ceci peut retarder vos opérations de plusieurs mois, voir même des années. »
« C’est un puissant facteur dissuasif à être conforme. »
Les directives de gestion des forêts, tels que les critères de certification du Forest Stewardship Council, du Programme de Reconnaissance des Certifications Forestières (PEFC) et de la Table ronde pour une huile de palme durable, ainsi que des bonnes pratiques pour l’exploitation minière et pour la biodiversité par le Conseil international des mines et métaux exigent la détection, l’identification et la gestion des espèces menacées et protégées au niveau national.
M. Meijaard – biologiste et co-auteur de The dilemma of green business in tropical forests: How to protect what it cannot identify publié dans Conservation Letters – a passé plus que sa part de temps à identifier et à compter les différents plantes et animaux trouvés dans les forêts tropicales, une tâche, il est le premier à l’admettre, qui est presque impossible à accomplir.
Dans la région de Bornéo – divisée en grande partie entre l’Indonésie et la Malaisie, les deux plus grands producteurs mondiaux d’huile de palme – il faudrait par exemple plus de 30 ans à 500 taxonomistes pour d’identifier presque toutes les espèces d’arbres dans une zone de concession typique, dit-il.
C’est tout simplement impossible.
« Pour une entreprise d’huile de palme ou de pâtes et papier ce n’est tout simplement pas économiquement viable de s’impliquer dans cela », a dit M. Meijaard. Il suggère que les entreprises reçoivent plutôt des directives réalistes et faciles à mettre en œuvre, telles que des indications faciles pour identifier soigneusement les espèces en voie de disparition sélectionnées, des méthodes de suivi simples, ainsi que des indications simples pour identifier les menaces principales qui pourraient être négligées, telles que les espèces exotiques envahissantes.
Plus important encore, toutes les entreprises devraient maintenir autant de forêt que légalement possible dans leurs concessions et s’assurer qu’aucune espèce ne soit surexploitée. Une liste des espèces est un mauvais indicateur pour juger si une telle gestion est appliquée ou non.
Si vous signalez dûment la présence d’une espèce bien connue et charismatique, ceci peut retarder vos opérations de plusieurs mois. C’est un puissant facteur de dissuasion à être conforme.
L’opinion de M. Meijaard est susceptible d’attirer la controverse, car beaucoup de conservateurs traditionnels croient que cela pourrait donner aux sociétés forestières, minières et de plantations une marge de manœuvre supplémentaire pour raser les forêts tropicales qui abritent des centaines de milliers d’espèces de faune et de flore, dont certaines qui vivent nulle part ailleurs dans le monde.
Mais M. Meijaard et son co-auteur Douglas Sheil argumentent que, si le but est d’obtenir des résultats concrets de conservation, il est préférable de trouver des moyens pratiques pour travailler en collaboration avec ces entités commerciales.
Globalement, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture note que 30% des forêts du monde sont gérées par des entreprises d’exploitation de bois, minières et autres, soit quatre fois plus que les forêts désignées à la gestion de la conservation plus stricte, et c’est là que réside beaucoup de la biodiversité.
« Les concessions forestières doivent être un élément essentiel de la gestion des forêts », dit M. Meijaard.
« Les ONG de conservation peuvent universellement détester les plantations de palmiers à huile, mais si l’huile de palme ne va pas disparaître, qu’elle est la prochaine option ? »
« De nombreuses aires protégées sont vraiment juste des ‘parcs sur le papier’ – elles existent seulement sur les documents », dit-il.
« Ce qui compte pour moi, c’est la façon dont une zone est gérée, pas son statut. »
M. Sheil et M. Meijaard ont collaboré dans le passé pour transmettre un argument connexe. Dans Purity and Prejudice: Deluding Ourselves About Biodiversity Conservation, publié dans la revue Biotropica en 2010, ils estiment que les scientifiques doivent être plus conscients de leurs propres jugements biaisés qui peuvent les prédisposer contre la reconnaissance d’options de conservation pratiques et réalistes qui peuvent être trouvées pour des habitats modifiés, qu’ils appellent ‘illusion de nature impure’.
« En tant que scientifiques, nous devons être conscients du moment où nous pensons avec notre tête ou avec notre cœur », a dit M. Meijaard.
« Et nous devons comprendre les tours que peut nous jouer notre esprit », a ajouté M. Sheil.
« Penser en nuances de gris et la volonté d’accepter un compromis sont à la base d’une conservation efficace et durable. Nous ne devons pas rejeter la valeur des écosystèmes modifiés simplement parce que nous ne les aimons pas. »
Par exemple, même si la plupart des défenseurs de l’environnement estiment que les orangs-outans préfèrent les zones ‘vierges’ dans les forêts protégées, la recherche a toujours indiqué que les animaux survivent assez bien dans des paysages modifiés : Une étude récente du CIFOR suggère que près d’un tiers de l’ensemble des orangs-outans à l’état sauvage vivent dans des concessions forestières en Indonésie. Si elles sont bien gérées, cela pourrait être une option réaliste pour permettre au développement durable d’avoir lieu en Asie du Sud-est, ainsi qu’une option viable pour la conservation des grands singes dans la nature.
« Ce que nous défendions finalement », dit M. Meijaard, « est le potentiel des zones grises à générer des bénéfices pour les hommes et l’environnement. »
Ce travail s´inscrit dans le cadre du Programme de Recherche sur les Forêts, les Arbres et l’Agroforesterie du CIGAR.
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