BRASILIA, Brésil (1 Avril 2013) _ Les efforts soutenus par l’ONU pour ralentir la perte des forêts pourraient être minés par la corruption, ont averti des experts. Ils mettent en évidence une combinaison potentiellement dangereuse : une opportunité de faire beaucoup d’argent et une gouvernance faible dans la plupart des pays participants.
Si le problème n’est pas traité, la plupart des communautés qui dépendent de ces écosystèmes riches en biodiversité risquent de ne pas profiter des bénéfices, disaient-ils.
Le secteur forestier est l’un des plus enclins à la corruption au monde.
Il est notamment menacé par la corruption et des droits foncier non définis, le manque d’accès à une l’information précise ou crédible et l’absence de transparence sur les flux financiers, selon des groupes de recherche et des experts de l’environnement lors de la Conférence internationale contre la corruption qui s’est tenue à Brasilia, au Brésil en novembre 2012.
« En fait, ce que le mécanisme REDD + a fait, c’est établir une nouvelle valeur pour les forêts, que nous appelons le carbone », a déclaré Andrew Wardell, Directeur de Recherche du dossier Forêt et Gouvernance au Centre pour la Recherche Forestière Internationale. « Ceci a ouvert une boîte de Pandore pleine de nouvelles revendications sur – et de nouvelles luttes pour – les terres boisées dans de nombreux pays en voie de développement ».
Il a fait allusion au projet soutenu par l’ONU qui vise à réduire la quantité de gaz à effet de serre pompé dans l’atmosphère par la déforestation et la dégradation des terres – deux des plus grands coupables.
En effet, l’idée est d’amener des pays riches à payer des pays pauvres, densément boisés, pour garder leurs arbres debout.
Mais les experts disent que, partie à cause de l’ambiguïté des règles de la REDD +, il y a beaucoup d’occasions de tricher.
Les fraudes pourraient, selon eux, inclure la manipulation des données de référence, des rapports sur les émissions de carbone et des systèmes comptables ou encore la violation des droits des communautés forestières.
Certains pays, telle que l’Indonésie, ont fait preuve d’un engagement ferme pour l’amélioration de la gouvernance et la réduction de la corruption.
Mais est-ce qu’une aubaine potentielle de la REDD + déclencherait un retour aux vieilles pratiques ?
Aled Williams du U4/ Centre de ressources contre la corruption, dit que nous devons surmonter ce problème et identifier les enjeux qui ont surgi dans le secteur de la foresterie dans le passé.
« Mais ce n’est pas facile », a t-il expliqué, en notant que si nous nous concentrions trop sur le détournement par de hauts responsables gouvernementaux, par exemple, nous pourrions ne pas voir les magouilles liées aux partages des bénéfices sur le terrain.
« La plupart du temps, nous anticipons les risques potentiels de la corruption, plutôt que les risques réels de la corruption. »
« Les cas réels offrent aussi d’importantes leçons pour l’avenir », a dit Mr Williams.
Prenons l’Ouganda.
Entre 2002 et 2010, la Banque mondiale et le Fonds pour l’environnement mondial ont déboursé 37 millions de dollars de prêts et de subventions au Ministère ougandais du Commerce, du Tourisme et de l’Industrie et à son Autorité de la faune sauvage pour une gamme d’activités de conservation, a t-il expliqué.
Mais en 2011, malgré des inspections antérieures de la Banque mondiale, une commission d’enquête présidée par un juge retraité de la Cour suprême a découvert de nombreuses irrégularités et a constaté que de nombreux objectifs de projets n’ont pas été atteints, a dit Mr Williams.
Depuis, il a été demandé au pays de rembourser l’argent avec intérêt.
Mustafar Ali de la Commission Malaisienne de lutte contre la corruption (MACC) a partagé l’expérience de son propre pays.
La Malaisie a créé la Commission Anti-Corruption (ACC) en 1959. Elle a le pouvoir d’enquêter et de mettre en vigueur la loi dans les secteurs public et privé, a t-il dit.
« Nous avons eu des cas où nous avons arrêté des officiers supérieurs du ministère, des gouvernements. La commission de lutte contre la corruption doit également avoir la confiance et le soutien du public, y compris du secteur forestier ».
Il a également souligné l’importance d’avoir une définition claire de la corruption : « Les perceptions de la corruption peuvent varier d’un pays à l’autre. Certaines personnes peuvent dire ‘ceci n’est pas de la corruption, ce sont des frais professionnels’ ».
Sigrid Vasconez, qui travaille à Grupo Faro, participant à l’élaboration de rapports annuels sur les forêts dans sept pays, dit quant à elle qu’il doit y avoir ce qu’elle appelle « les conditions de base pour permettre à la REDD + de se développer ».
« Nous avons besoin d’une volonté politique forte, non seulement dans le secteur forestier, mais à un niveau multi-sectoriel », a déclaré Mme Vasconez, qui travaille en Equateur.
« Nous avons également besoin de budgets gérés efficacement et nous avons besoin de mécanismes de consultation et de participation. Ceci est essentiel dans la préparation à la REDD, mais aussi pour la mise en œuvre des initiatives de la REDD ».
Elle a poursuivi en disant qu’il serait nécessaire d’avoir des discussions sur la transparence et sur l’accès à l’information relative au secteur forestier et d’engager la société civile dans la réflexion sur les enjeux de la corruption en relation avec l’environnement et les forêts.
Ces mêmes enjeux sont d’un intérêt particulier pour des organismes tels que la force internationale de police judiciaire.
Davyth Stewart d’Interpol France, s’inquiète sur la possibilité que « l’argent sera détourné dans de mauvaises mains et il y aura peut-être une répartition inéquitable ».
Certaines de ses suggestions étaient : un ensemble clair de normes minimales en matière de justice, des audits indépendants, des comptes financiers mis à jour et accessibles au public, des réunions de l’organe gouvernemental contrôlant les fonds ouvertes aux observateurs et au grand public et diffusées par les médias.
Mr Stewart a également souligné la nécessité d’habiliter les principales parties prenantes, afin qu’elles puissent participer et trouver la meilleure façon d’équilibrer le pouvoir.
Mr Wardell, directeur de recherche du CIFOR, a conclu en disant que beaucoup des enjeux présentés lors de la conférence de Brasilia ne sont pas nouveaux. « La Malaisie s’attaque à la corruption depuis 50 ans, l’Indonésie depuis plus de 30 ans. Il n’y a rien de vraiment nouveau sous le soleil en fonction de ces défis. », a-t-il expliqué.
Ce qui est remarquable, c’est que l’architecture institutionnelle pour traiter les questions de gouvernance forestière profondément ancrées est devenue beaucoup plus complexe, a t-il ajouté.
« Il y a des énormes réseaux d’institutions liées au soutien des activités de lutte contre la corruption avec des approches différentes. »
Toutefois, les pays ont encore à résoudre ce qu’il a appelé « les problèmes malfaisants ». Dans de nombreux pays il existe, par exemple, des droits de propriétés non définis (qui est propriétaire du terrain), des chevauchements de revendications à la même terre et des différents secteurs qui concurrent pour utiliser les terres pour différents fins, y compris les secteurs de l’exploitation minière, de l’agriculture et de l’énergie.
« Comment pouvons-nous assurer que ces différents secteurs sont dans la légalité en termes de coûts d’opportunité et d’avantages potentiels pour le pays ? », a demandé Mr Wardell.
Une grande partie du développement de la REDD repose sur l’hypothèse que si vous possédez le terrain, le carbone vous appartient. Mais est-ce une hypothèse sûre ? », a t-il demandé.
« Pour le moment, dans la plupart des pays les dispositions gouvernementales ne sont pas encore mises en place pour assurer que des mécanismes de partage effectif et équitable des bénéfices fonctionneront vraiment », a t-il dit.
« La REDD pourrait conduire à de nouvelles opportunités pendant que nous continuons à traiter certains des nouveaux défis potentiels de la corruption. »
Ce travail s’inscrit dans le cadre du Programme de Recherche sur les Forêts, les Arbres et l’Agroforesterie du CGIAR.
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