BOGOR, Indonésie (9 janvier 2012)_Dans l’avion pour la capitale du Myanmar, Nay Pyi Taw, je ne pus m’empêcher de penser que le paysage ressemblait à un décor de film avec ses autoroutes à huit voies le long desquelles, tous les kilomètres, est posé un grand hôtel ou un ministère tout neuf, mais pratiquement sans voitures, ni population ni maisons nulle part. Dans le bus vers Rangoun, ce fut le contraste absolu, cette capitale moderne laissant place à un paysage de rizières peu peuplées, sur fond de collines complètement déboisées avec çà et là des plants de teck.
Pays d’Asie du Sud-Est appelé jusqu’ici Birmanie, le Myanmar connaît une évolution rapide. Face à un afflux croissant d’intérêts extérieurs cherchant à profiter des riches ressources du pays désormais accessibles, le gouvernement est confronté à des choix épineux s’il veut atteindre son objectif affiché de croissance verte, tout en tenant compte du besoin d’investissements étrangers, en préservant l’environnement et en poursuivant le développement rural.
Stratégie de croissance et d’énergie vertes – un signe d’espoir…
C’était avec ces pensées à l’esprit que je voyageais vers cette jeune démocratie pour assister au deuxième forum national sur la croissance et l’énergie vertes, intitulé « Green Growth and Green Energy » (GEGG), qui rassemblait des dirigeants du secteur privé, des membres du gouvernement et des chercheurs pour débattre des stratégies de développement durable.
Le Myanmar a connu un régime militaire sous une forme ou sous une autre depuis 1962. Cependant, son gouvernement a récemment accordé une série de concessions sur les plans politique et économique, qui se sont traduites par une amélioration rapide des relations avec les grandes puissances comme les États-Unis, le Japon et les pays de l’Union européenne. Ceci a déclenché un flot soudain d’investisseurs privés et de bailleurs de fonds attirés par la richesse des ressources naturelles du pays (d’ailleurs, un vol en classe affaires relie maintenant trois fois par semaine le Japon et Rangoun, capitale économique du Myanmar).
…mais est-ce possible étant donné l’absence flagrante des grands bailleurs de fonds et des ONG ?
Malgré mes impressions de la campagne entre la capitale politique et Rangoun, la lente croissance économique du Myanmar a contribué à la préservation de la majorité de sa couverture forestière (plus de 49 %), ce qui fait du pays l’une des plus vastes étendues de forêts naturelles de l’Asie du Sud-Est. Il était par conséquent rassurant d’entendre Sai Mauk Kham, vice-président du Myanmar, déclarer que la nation était engagée sur la voie de la « croissance verte », ce qui excluait toute exploitation intensive des ressources. D’autre part, il a insisté sur le fait que l’âge de « la croissance d’abord, l’environnement après » était révolu.
Cependant, en jetant un coup d’œil à la liste des orateurs invités et des panels, il y avait lieu de se demander si l’environnement et les populations rurales étaient représentés de façon adéquate.
En 2011, cette même conférence avait reçu un soutien important f des acteurs du développement et de la conservation (ainsi que de la lauréate du prix Nobel, Aung San Suu Kyi). Alors que la manifestation de cette année était soutenue par des sponsors internationaux et que deux organisations internationales de conservation étaient présentes, on remarquait l’absence de la plupart des grands bailleurs de fonds et des organisations régionales de conservations.
La lente croissance économique du Myanmar a contribué à la préservation de la majorité de sa couverture forestière, ce qui fait du pays l’une des plus vastes étendues de forêts naturelles de l’Asie du Sud-Est.
Les bailleurs de fonds et les ONG extérieures ne remplaceront jamais les institutions nationales du service public et de l’application des lois, grâce auxquels le développement rural et la conservation des forêts sont possibles, mais ces acteurs ont cependant acquis une grande expérience (certes pas toujours positive) de la mise en œuvre réussie ou non de ces activités dans d’autres pays. Quelle que soit la raison de leur faible représentation à cette réunion, il est nécessaire que les décideurs de ce pays entendent divers points de vue afin d’orienter plus efficacement le développement durable et équitable du pays.
Pourtant, les organisateurs du forum ont apparemment davantage fait appel au secteur privé car les multinationales de la construction, de la distribution d’énergie, d’eau, etc., comme les sociétés d’investissement privé, étaient bien représentées. Celles-ci sont évidemment des partenaires indispensables au développement d’un pays, mais, quelles que soient les bonnes intentions de ses organisateurs, ce forum peut difficilement affirmer qu’il représente les intérêts de la grande majorité des populations rurales du Myanmar.
Des intervenants du secteur des forêts font état des problèmes et des opportunités.
De nombreuses sessions ayant lieu en parallèle, je n’ai donc pas pu les suivre en totalité. Cependant, sous la houlette de RECOFTC (The Center for People and Forests) — ONG basée en Thaïlande et dont l’objectif est le renforcement des capacités, un panel a permis d’aborder les difficultés des citoyens du Myanmar.
Certaines des observations les plus intéressantes ont été exprimées par des représentants de plusieurs groupes d’usagers des communautés forestières de l’état de Kachin et de la région d’Ayeyarwady qui avaient été invités pour donner leur avis sur les menaces qui mettent en péril la foresterie communautaire et pour indiquer ce qu’est la croissance verte à leurs yeux.
Mesdames Daw Tin Tin Saw et Daw Khin Mya étaient venues de l’état de Kachin situé tout au nord du Myanmar pour faire part de l’expérience du groupe d’usagers forestiers du village de Pin He. En 2009, cette communauté avait créé une plantation forestière de plus de 500 hectares, laquelle avait fait l’objet d’une certification de la part du ministère des Forêts en 2011.
Or, sur ces terres se trouvent également des gisements de pierres précieuses que la communauté vendait parfois aux personnes travaillant à la centrale hydroélectrique toute proche. Ces hommes d’affaires ont ensuite essayé de convaincre la communauté de les laisser exploiter les pierres précieuses. Suite à son refus, ils ont adressé une demande officielle de concession au gouvernement de l’état concerné.
PHOTOGRAPH (Women)
Bien que les communautés locales dépendent des forêts, le droit du Myanmar offre peu de protection à la foresterie communautaire. Daniel Julie
Malheureusement, le droit du Myanmar offre peu de protection à la foresterie communautaire, et la communauté, comme le ministère des Forêts, ont eu toutes les peines pour convaincre le gouvernement de cet état de prendre en compte leur revendication.
L’autre exemple était celui du groupe d’usagers forestiers de la région d’Ayeyarwady qui a décidé de replanter sa mangrove en 2000. Douze ans après, les arbres fournissent maintenant plus qu’il ne faut en piquets et en bois de chauffage et de construction pour satisfaire les besoins locaux, ce qui permet de vendre le surplus pour payer les études des enfants et l’infrastructure de santé de la communauté. Grâce à ces plantations, les poissons, les crabes et autres animaux comestibles pêchés par la communauté locale se sont multipliés. Le plus remarquable est que, lors du cyclone Nargis en 2008, la plantation de mangrove a permis de limiter l’impact de l’inondation sur la communauté.
Tous les intervenants, ainsi que plusieurs personnes de l’assistance, ont fait part de leurs préoccupations à propos des problèmes posés par le manque de personnel et de ressources pour les activités d’extension des forêts et d’application de la loi, et ont souligné les retombées positives des diverses actions des groupes d’usagers forestiers sur le plan des conditions de vie locales, de la conservation de la forêt et de la sécurité en général. Le ministère des Forêts a en effet relevé que la contribution de ces deux groupes d’usagers forestiers invités à cette session a été particulièrement utile pour diffuser des messages aux communautés avoisinantes, ce qui a suscité la création de nombreux autres groupes de foresterie communautaire.
Souhaitons que les décideurs en prennent de la graine…
Cependant, si ces observations intéressantes ont fait l’objet d’un débat animé entre intervenants du secteur forestier dans une salle pratiquement comble, il n’est pas évident de savoir dans quelle mesure les décideurs tiendront compte des besoins des Birmans des zones rurales, eu égard à l’avalanche de promesses formulées par les porteurs de projets de développement technologique et des infrastructures.
Par exemple, la mise en place envisagée par le GEGG de 10 « centres d’excellence de technologies et de démarches de croissance verte » au cours des trois prochaines années prévoira-t-elle la diffusion des dernières méthodes en matière de conservation des ressources naturelles, d’extension agricole, d’éducation et de santé ? Ces questions ont été peu abordées dans les principaux discours.
Pour terminer, je laisserai la parole à une représentante des groupes d’usagers forestiers de l’état de Kachin qui envisage ainsi les forêts et la croissance verte : « Les forêts fournissent de l’eau pour nos rizières, en les protégeant de l’envasement… c’est aussi grâce à elles qu’il y a de l’eau dans les barrages ; si le pays est plus vert, nos conditions de vie seront meilleures. »
Alors que les aménageurs et les architectes ont l’opportunité de réaliser bientôt la capitale asiatique de leurs rêves, il faut espérer que les décideurs n’oublieront pas le capital naturel du pays : l’énergie, l’eau et la production alimentaire, qui seront nécessaires pour soutenir ce rêve d’urbanisation.
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