Félicien Kengoum et moi sommes dans un petit bateau à moteur au milieu du fleuve Congo. Nous revenons du village reculé de Lukolela, en descendant le fleuve vers Kinshasa, la capitale de la République démocratique du Congo (RDC).
Nous sommes ici entre deux nations – sur la rive est se situe la RDC et à l’ouest la République du Congo.
Mais on peut à peine voir l’une ou l’autre – le fleuve est immense, s’étendant presque jusqu’à l’horizon trouble des deux côtés.
Nous passons des camps de fortune sur des îles isolées, des pêcheurs en pirogues, des radeaux de troncs flottant lentement vers le marché et un porte-conteneurs militaires chargés de chars d’assauts.
Alors que nous nous approchons de la ville, les rives se resserrent et le vent commence à rugir en montant la rivière du sud, en fouettant des vagues couleur chocolat et en envoyant des projections sauvages à travers des fenêtres brisées du bateau.
Mais Félicien – un chercheur du Centre de recherche forestière internationale (CIFOR), normalement basé au bureau régional de l’Afrique centrale au Cameroun – me dit que ce n’est rien comparé au voyage qu’il fit pour se rendre à Lukolela deux semaines auparavant.
« On nous a dit que le voyage allait durer un jour et demi. Nous avons commencé le voyage le dimanche, en pensant que nous allons arriver le lundi », dit-il.
« Mais à la fin nous avons passé quatre jours sur le fleuve, en dormant dans le bateau. »
Pendant qu’ils ont voyagé en montant la rivière, ils ont pris plus de passagers, le bateau est devenu sévèrement surpeuplé et s’est enfoncer dans la rivière.
« Il n’est pas conçu pour de tels voyages, car il n’y a pas de toilettes et le chauffeur ne va pas s’arrêter – alors se soulager soi-même deviens un véritable défi. »
Ce fut le premier grand voyage de Félicien sur le terrain en tant que chercheur du CIFOR. Il a voyagé à Lukolela avec Anne Marie Tiani, scientifique chevronnée du CIFOR, et un représentant du ministère de l’Environnement de la RDC. Ils avaient prévu de mener des recherches et de mettre en œuvre un projet COBAM qui vise à trouver des synergies entre l’atténuation du changement climatique et son adaptation.
L’équipe a dormi quatre nuits sur des chaises en plastique entre des sacs de nourriture et le matériel qu’ils avaient apporté pour l’atelier.
Mais Félicien affirme que l’expérience l’a aidé à mieux comprendre les réalités de tous les jours pour les gens de cette partie de la RDC.
« Ce sont 540 km de Kinshasa à Lukolela, mais il y a des bateaux qui passent un mois dans ce voyage », me dit-il.
« Sur ces bateaux c’est toute une vie, vous avez des gens qui vendent des choses, rechargent des téléphones, vendent du crédit, cuisent des aliments, ils font tout. Et quand tu les vois passer, c’est comme un monde en mouvement, un monde totalement à part. »
« Pour les personnes à Lukolela, aller à Kinshasa est toujours un défi, parce qu’ils n’ont pas les moyens de payer 120 US $ pour l’hors-bord. »
« Par exemple, on m’a dit qu’un fonctionnaire dans l’armée, ayant le grade le plus bas, gagne environ 40 US $ par mois, ce qui signifie qu’un seul voyage unique coûte trois mois de salaire. Vous pouvez donc imaginer qu’ils préfèrent le bateau lent. »
L’équipe est finalement arrivé et a passé avec succès deux semaines de recherches et d’ateliers avec les populations locales de la communauté reculée. Félicien dit que cela aussi était une expérience enrichissante.
« Parfois c’est vraiment difficile, parce que les gens avec lesquelles nous travaillons ont des problèmes immédiats pour lesquels ils veulent des solutions immédiates. »
« C’est un très grand défi d’être devant quelqu’un qui a faim et de lui dire ‘non, ce n’est pas pour cela que nous sommes ici … nous sommes là pour résoudre un autre de vos problèmes’. »
Mais il dit que de tels voyages sur le terrain sont essentiels pour les scientifiques – en dépit des défis dans cette partie du monde.
« Quand vous allez sur le terrain, vous comprenez deux choses, vous comprenez le contexte et vous comprenez les gens et leur culture», dit-il.
« Et ceci vous aide à faire les changements nécessaires à un projet et de connaître les défis et les contraintes de mise en œuvre du projet. »
« Cela signifie que pour un chercheur, aller sur le terrain devrait être une nécessité. Après ce genre d’expérience, vous ne serez jamais le même. »
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