À Bogor, Indonésie (le 17 octobre 2012)_Selon les experts, un programme d’atténuation climatique visant à protéger les forêts mondiales doit travailler avec les institutions démocratiques locales si l’on ne veut pas que les communautés et groupes autochtones soient exploités par des acteurs internationaux très puissants cherchant à avoir accès aux terres et ressources mondiales alors que celles-ci sont en constante diminution.
« Les antécédents de projets de développement et de projets forestiers en particulier, qui se soustraient aux institutions démocratiques locales et fragilisent la démocratie nous le montrent clairement : nous devons prendre des mesures pour que le REDD+ ne s’engage pas dans cette voie », déclare Jesse Ribot, le directeur de l’initiative sur les dimensions sociales des politiques environnementales à l’université de l’Illinois, et co-auteur de l’article Réduire les risques liés au REDD : politiques de discrimination positive pour lutter contre l’inégalité des chances paru dans le numéro spécial d ‘une revue scientifique, consacré à la gouvernance multi-niveaux.
Si l’on en croit Ribot, toute intervention pour le développement peut consolider ou fragiliser la démocratie. L’arrivée d’une organisation extérieure puissante quelle qu’elle soit (organisme de développement, organisation environnementale, donateur ou administration) dans un endroit nouveau n’est pas sans effet sur les institutions locales, que ce soient les associations d’usagers, les chefs traditionnels, les ONG, les grandes entreprises ou les collectivités territoriales.
Dans le cadre du REDD+, programme international de réduction des émissions issues du déboisement et de la dégradation, les pays développés fournissent des fonds aux États nationaux, communautés locales, groupes autochtones et particuliers lorsque ceux-ci s’abstiennent de couper leurs forêts.
Dans de nombreux pays, il est à craindre que sans mesures de protection applicables et sans réglementation stricte, les États n’affectent des millions de dollars à des projets REDD+ dirigés par des entreprises puissantes et les élites du secteur de la forêt qui restent sourdes aux revendications à la terre des populations locales et ne respectent pas les droits d’accès de ces populations aux ressources de la forêt.
De la même façon que les recettes tirées de l’exploitation du pétrole, de l’or, des diamants ou d’autres réserves minières ont alimenté la corruption et la mal-gouvernance dans de nombreux pays africains, il est à redouter que le REDD+ n’exacerbe les inégalités existantes et n’aboutisse à creuser davantage l’écart entre riches et pauvres.
« Les acteurs REDD+ doivent choisir des partenaires locaux, et ils sont très bien placés pour cela puisqu’ils ont la capacité de transformer les droits à la terre et aux ressources dont jouissent les individus. Ils peuvent opter pour le renforcement de la démocratie ou sa fragilisation suivant les partenaires qu’ils se choisissent », ajoute Ribot, qui est également directeur du programme de recherche Initiative pour la gouvernance démocratique des forêts.
« Les communautés forestières locales sont déjà soumises à des contraintes plus fortes d’accès à la terre et aux ressources, au travail, au crédit, aux marchés et à l’assistance technique comparativement aux autres usagers de la forêt », nous met en garde Anne Larson, chercheuse au Centre international de recherche forestière (CIFOR) et co-auteure de plusieurs articles parus dans ce numéro spécial.
« Avec le REDD+, elles pourraient être tout aussi désavantagées par rapport à leurs concurrents très puissants, qui ont plus d’argent, plus de relations et plus de moyens », ajoute-t-elle.
Selon un rapport publié en 2012 , les projets pilotes de REDD+ menés par des ONG et des entreprises en Amazonie péruvienne lèsent déjà les droits des populations autochtones. Parmi les 35 projets de REDD répartis dans les régions Madre de Dios, San Martin et la jungle centrale, « au moins huit d’entre eux mènent des activités sur des terres coutumières non encore reconnues juridiquement par l’État », nous informe ce rapport.
Pour remédier à ces problèmes, sept garde-fous sociaux ont été proposés à la conférence des Nations unies sur le climat qui s’est tenue en 2006 à Cancun. Certains imposent des conditions aux organisateurs du REDD+ pour qu’ils établissent des structures décisionnelles nationales relatives aux forêts, transparentes et efficaces, de manière à garantir la participation des acteurs locaux et à faire preuve de respect envers les connaissances et les droits des populations autochtones.
Mais le texte final du sommet sur le climat de la COP17 des Nations unies qui s’est tenu à Durban l’an passé, n’imposait aux promoteurs du REDD+ que de fournir des informations qualitatives sur la manière de mettre en œuvre les garde-fous.
« Nous n’avons aucun moyen véritable de mesurer les répercussions du REDD+ sur les communautés, puisqu’il faudrait pour cela recueillir et comparer des données avant après », affirme Louis Verchot qui dirige les travaux du CIFOR sur l’atténuation des changements climatiques.
La conférence de l’ONU sur le climat prévue cette année à Doha ne donne pas tellement à espérer.
« La décision actuelle est de conserver les garde-fous tels quels et de les réexaminer l’année prochaine », déclare ainsi Tony La Vina, négociateur principal à la CCNUCC et facilitateur REDD+.
Le REDD+ peut contribuer à transformer le processus démocratique
Dans un autre article du numéro spécial, Larson souligne que le REDD+ peut avoir un effet positif sur les institutions démocratiques locales et œuvrer pour des textes de loi sur les forêts plus progressistes.
Dans la région autonome de l’Atlantique nord au Nicaragua (RAAN), par exemple, les récentes réformes juridiques ont accordé aux populations autochtones des droits fonciers et de représentation au travers de leurs chefs communautaires et territoriaux.
La décentralisation a aussi eu pour effet de déplacer les centres décisionnels importants pour les ressources naturelles des autorités nationales vers les régions. Les administrations régionales ont à présent un rôle d’orientation plus important dans le développement de leur région et disposent d’un droit de véto sur les décisions du pouvoir central en matière d’investissement.
Si cela a déjà conduit à une autonomisation des différents niveaux de gouvernance, comme le souligne Larson, le REDD+ pourrait « renforcer les zones où perdurent des lois ambigües et où les communautés n’exercent pas un pouvoir de décision effectif sur leurs territoires et ressources naturelles ».
Et maintenant, quelle orientation pour l’avenir ?
Selon Ribot, les garde-fous doivent avoir une portée plus large et des critères plus stricts de manière à permettre aux communautés d’avoir une influence sur les décisions relatives au REDD+.
Il faut au moins ajouter des « garde-fous démocratiques » aux sept garde-fous sociaux existants afin d’assurer que les projets de REDD+ ne nuisent pas aux systèmes locaux de représentation.
« Il faudrait au moins exiger qu’il y ait des institutions locales permanentes qui jouissent de pouvoirs de décision suffisamment importants et ayant force obligatoire, dont le droit de dire « non » à tout projet ou programme, et qui rendent systématiquement des comptes aux citoyens locaux. On pourrait commencer par confier des responsabilités accrues aux collectivités territoriales élues et travailler avec elles. »
« Ces mesures de protection démocratique visent à changer la donne en transférant les pouvoirs de décision aux autorités comptables de façon à contester les pouvoirs des élites extérieures et locales. »
« Le REDD+ ne pourra faire changer fondamentalement les choses et bénéficier aux populations locales que si les politiques relatives aux garde-fous ne se contentent pas de protéger les droits, mais qu’elles s’attachent à les instituer, les renforcer et les faire valoir », conclut-t-il.
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