Les ouragans, qui avaient épargné les États-Unis depuis 12 ans, ont de nouveau frappé l’Amérique du Nord cette année : d’abord Harvey, puis Irma… la liste des ouragans va-t-elle s’allonger, entraînant destruction et chaos dans leur sillage ? Mais quel rapport avec les forêts ?
En tant qu’ingénieur écologue préoccupé par la réaction des forêts face aux catastrophes, je connais la puissance de destruction des ouragans, typhons et autres cyclones (que nous regrouperons tous sous le terme de cyclones par souci de simplification). Cependant, si l’on met de côté les conséquences sur le milieu naturel, des études récentes indiquent que les forêts et les cyclones ont en commun leur relation avec l’humidité atmosphérique.
Les forêts, comme les cyclones, présentent dans leurs caractéristiques des précipitations au volume considérable.
Si la forêt amazonienne, même au cœur du continent sud-américain, peut assurer plus de deux mètres d’eau de pluviométrie par an, un seul cyclone est capable d’apporter deux kilomètres cubes de pluie par jour.
Et toute cette pluie provient de l’atmosphère.
Si mes collègues Anastassia Makarieva et Victor Gorshkov voient juste, les processus qui causent les cyclones alimentent aussi la plupart des forêts du monde. En même temps, si la superficie des forêts était plus étendue, il pourrait y avoir moins de cyclones et ils pourraient être moins destructeurs.
Nous avons récemment fait part, illustrations à l’appui, de nouvelles idées relatives aux principes physiques qui assurent la pluviométrie dans les zones forestières continentales de l’intérieur, qui sont les mêmes que ceux qui alimentent les cyclones. Que ces idées soient confirmées ou infirmées par les études scientifiques (et jusqu’ici toutes les données recueillies vont dans le sens d’une confirmation), il y a de bonnes raisons de croire que de vastes étendues forestières peuvent réduire la probabilité des cyclones et leur gravité.
UNE THÉORIE CONTROVERSÉE DANS LE PASSÉ
Si l’avis dominant est que les vents sont déterminés par les gradients thermiques, Anastassia, Victor et d’autres, dont moi-même, ont avancé une théorie de l’influence de l’évaporation et de la condensation sur la dynamique des masses atmosphériques.
Si cette théorie a pu être controversée auparavant, elle est de plus en plus acceptée grâce au progrès des connaissances et aux données scientifiques.
Un enseignement important de cette théorie est que les zones qui s’accompagnent de fortes précipitations, comme les forêts et les cyclones, génèrent aussi une faible pression atmosphérique en surface qui attire l’air de basse altitude environnant et la vapeur d’eau qu’il renferme, qui converge et s’élève, ce qui entraîne la condensation de toute l’humidité qu’il contient. Ceci provoque d’autres chutes de pression et une chaîne de réactions positives qui peut être alimentée aussi longtemps que l’air est humide. Ce mécanisme explique comment les forêts comme les cyclones captent et concentrent de telles masses de pluie.
Concernant l’atmosphère, la science conventionnelle considère que le changement de densité des particules qui se produit lorsque l’eau s’évapore et se condense ne permet pas de comprendre les vents, car les principales différences de pression à grande échelle sont dominées par la température. Nos travaux indiquent qu’il serait justifié d’en tenir compte et que la modification du nombre de molécules au cours de l’évaporation et de la condensation est un mécanisme important qui détermine la direction et la vitesse des vents comme le déplacement de l’humidité atmosphérique. Les détails physiques de la théorie et de ses conséquences ont été publiés dans des revues de physique(1,2,3) et des sciences de l’atmosphère(4,5,6,7), à comité de lecture et une compilation des publications correspondantes se trouve ici. Nous avons aussi rédigé des présentations et des résumés destinés aux non-spécialistes(8,9,10). En formulant ces idées, nous avons décrit les failles observées dans la théorie des vents fondée sur la température(11) et révisé les équations fondamentales qui exposent la dynamique des masses atmosphériques(12).
Les mécanismes physiques proposés sont cohérents avec les lois de l’énergie et de la thermodynamique. La vapeur d’eau est source d’énergie et, quand cette vapeur se condense, une part substantielle de celle-ci peut accélérer le déplacement de l’air, suscitant la formation des vents (ce processus peut être encouragé par les aérosols, c’est-à-dire des particules et des composés rejetés dans l’atmosphère par les forêts). Cette théorie explique comment de fortes précipitations peuvent se produire à l’intérieur des continents et comment les cyclones parviennent à tant de puissance en concentrant la somme de l’énergie disponible.
Y a-t-il des données scientifiques à l’appui de ces idées ? Oui. Par exemple, selon notre théorie, les chutes de pluie au-dessus des forêts qui transpirent seront davantage probables en cas d’accumulation d’une forte humidité localement, ce qui laisse penser qu’il y aura une différence positive de pression atmosphérique locale avant la pluie (juste avant que la différence ne devienne négative).
Ce phénomène a été observé dans des données recueillies sur un délai assez long dans de nombreux sites en Amazonie. Il est en revanche absent des régions voisines moins boisées.
Par ailleurs, si le maintien de fortes précipitations dans l’intérieur des continents dépend des forêts qui transpirent, la Sibérie en hiver ne devrait pas recevoir beaucoup d’eau.
De même, cette supposition correspond aux observations.
Nous avons aussi d’autres avancées à notre actif. Par exemple, si nous estimons le rythme de la génération de l’énergie cinétique des vents au niveau mondial (dynamique des masses atmosphériques), nous trouvons qu’il corrobore aussi nos prévisions théoriques.
LA FORÊT FAIT-ELLE BARRAGE AUX TEMPÊTES?
La prévision de l’intensité des cyclones tropicaux est un défi bien connu. Si, par le passé, les travaux ont surtout porté sur l’énergie provenant de la chaleur océanique, la nouvelle théorie indique que la puissance globale des tempêtes est déterminée par la condensation de l’humidité qui existe déjà dans l’atmosphère. Par ailleurs, nous pensons que cette puissance est proportionnellement liée au volume total des précipitations, ce qui a été confirmé par nos propres recherches et par d’autres études scientifiques.
D’après nos travaux, les forêts peuvent protéger les régions continentales des tempêtes dévastatrices. La formation comme le maintien d’une activité cyclonique semblent dépendre d’apports suffisants en vapeur d’eau. Les vastes superficies forestières attirent l’humidité qui se trouve au-dessus de la terre. Quand les cyclones se forment près des côtes de l’Afrique de l’Ouest, cela se produit à une latitude où la masse de vapeur d’eau disponible est suffisante, c’est-à-dire entre celle des forêts humides et celle des déserts secs (les déserts ne produisant que de l’air sec), là où l’effet desséchant de ces environnements ne prédomine pas. Cela permet d’expliquer pourquoi ces tempêtes océaniques se forment dans deux ceintures, 10°–20° au nord et au sud de l’équateur.
D’après les données scientifiques, en attirant l’humidité de l’atmosphère de l’océan, les forêts diminuent le volume de vapeur d’eau qui serait susceptible pour générer et alimenter des cyclones. Étant donné leurs fortes émissions de vapeur d’eau, il semblerait logique que les forêts elles-mêmes génèrent et alimentent les cyclones. Mais cela ne se produit pas parce que les forces intenses de traînée et de friction qui s’exercent au-dessus des forêts absorbent l’énergie et ralentissent les vents.
De plus, les forêts suivent un cycle diurne et la transpiration cesse la nuit, contrairement à l’évaporation océanique. Par ailleurs, si les cyclones concentrent dans leur œil les flux d’air et la condensation qui en résulte, les forêts rejettent de l’humidité et des aérosols de manière plus diffuse, ce qui fait que la condensation se répartit dans l’espace et dans le temps. Nous pensons donc que l’activité cyclonique ne peut pas se poursuivre au-dessus des grands massifs forestiers ou à proximité de ceux-ci. Cependant, quand des tempêtes surviennent autre part, elles peuvent toutefois être finalement attirées vers la forêt.
MOINS DE FORÊTS, PLUS DE TEMPÊTES
Ces considérations expliquent peut-être la relative absence de cyclones dans le Sud de l’océan Atlantique qui est bordé par les immenses forêts tropicales humides d’Amérique du Sud et d’Afrique (l’ouragan Catarina en 2004 a fait exception). Toute réduction future de ces massifs forestiers accroîtrait le volume d’humidité disponible au-dessus de l’océan qui se trouve à proximité et diminuerait la friction, ce qui augmenterait la probabilité de tempêtes. En effet, les cyclones peuvent survenir de plus en plus fréquemment et avec plus de puissance au fur et à mesure que la couverture forestière décline.
Toutes ces influences qui sont à l’œuvre sont fonction de l’échelle et, si l’influence des vastes formations forestières comme celles de l’Amazonie est susceptible d’être importante, un peuplement forestier relativement étroit aura naturellement moins d’impact. Cela laisse penser que, malheureusement, les forêts humides qui restent encore en Australie et sur la côte Est de Madagascar n’ont pas la capacité d’atténuer les cyclones, même si cette capacité pourrait être renforcée par une réhabilitation à grande échelle.
Nous savons déjà que la disparition de la forêt a conduit à une réduction marquée de l’humidité atmosphérique dans de nombreuses régions avec des effets préjudiciables probables pour les zones sous le vent qui comptent sur la pluie. Si les forêts se fragmentent davantage et si leur superficie se rétrécit encore plus, non seulement elles apporteront moins d’humidité à ces zones sous le vent, mais leur effet sur le climat local sera moindre, ce qui causera sans doute des sécheresses. Par voie de conséquence, la sécheresse et son corollaire, les incendies, peuvent être à l’origine d’un cycle de déboisement et de destruction de la forêt, elle-même source de prolongation de la sécheresse.
Les forêts assurent plusieurs fonctions dans le maintien du cycle de l’eau de la planète et dans la stabilité du climat, processus qui pâtiront de la disparition des massifs. À la liste des conséquences potentielles, nous pouvons maintenant ajouter une augmentation possible du nombre de cyclones. Qui ignore la situation critique des forêts récoltera la tempête.
Douglas Sheil est associé principal du CIFOR et professeur à la Faculté des sciences de l’environnement et de la gestion des ressources naturelles (MINA), Université norvégienne des sciences de la vie (NMBU).
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