BOGOR, Indonésie (19 septembre, 2011) – L’année dernière, j’ai pris ce que j’appelle le Chine-Afrique Express pour me rendre à Nairobi, c’est-à-dire le vol Kenya Airways 887, qui va de Nairobi à Guangzhou en passant par Bangkok et vice versa. Prendre ce vol m’a rappelé, d’une certaine manière, à quel point le monde est en train de changer.
À bord de cet avion, des négociants originaires des quatre coins de l’Afrique se rendaient dans le sud de la Chine pour acheter des biens manufacturés qu’ils revendraient chez eux, tandis que des passagers venus de toute la Chine allaient se disperser dans toute l’Afrique pour construire, investir, acheter des ressources naturelles, et pour vivre et travailler.
C’était un vol complet, et l’un des plus vivants que je n’avais jamais pris depuis des années, avec toutes ces personnes en déplacement. Bien sûr, chaque jour apporte de nouvelles histoires sur les investissements chinois réalisés en Afrique et la quête des ressources précieuses du continent par les entrepreneurs chinois. Parfois pour le meilleur – l’activité chinoise améliore les termes de l’échange de l’Afrique et apporte des investissements (peut-être) moins assortis de conditions politiques –, et parfois pour le pire – les politiques chinoises soutiennent les État parias et profitent des régimes laxistes en matière de protection des droits de l’homme et de l’environnement pour obtenir plus de minerais, de pétrole, de bois, de terres.
Ces histoires révèlent cependant beaucoup de partis pris différents et les analyses objectives sont difficiles à trouver. Les comptes rendus africains font souvent état d’une grande fatigue suite à des années de domination économique et politique de l’Occident, ayant conduit certains à accueillir les politiques « sans condition » de la Chine sans se poser de questions sur les potentiels inconvénients environnementaux et sociaux. Les comptes rendus occidentaux accusent parfois la Chine de néocolonialisme, d’une « invasion économique agressive » de l’Afrique et de nouvelles formes de mercantilisme. La presse d’État chinoise s’empresse quant à elle de contrer toute information potentiellement négative : un responsable allemand semble (en partie) mettre la sécheresse de cette année en Afrique de l’Est sur le dos des acquisitions de terres agricoles effectuées par la Chine pour exporter des céréales ; le ministère chinois du Commerce, cité dans le China Daily, rétorque que la Chine n’importe aucune « graine céréalière » d’Afrique. Ce cirque médiatique dure maintenant depuis des années.
Pour les chercheurs, les affirmations de la presse constituent de bonnes hypothèses à étudier. Plusieurs groupes de recherche essaient actuellement d’obtenir des indications plus objectives sur l’importance économique et environnementale des changements dans les flux d’échange et d’investissement internationaux, sur l’ascendance rapide des pays BRICS (en particulier la Chine) et sur les efforts que font les gouvernements africains et les institutions de la société civile pour mieux gérer leur économie, leur environnement et leurs ressources naturelles face aux évolutions rapides.
Alors nous nous demandons : la chine est-elle réellement « différente » (concernant les impacts sociaux et environnementaux de ses échanges et investissements en Afrique) et si oui, pourquoi ? Il s’agit d’une question simple qui générera inévitablement de nombreuses réponses incroyablement compliquées. En fait, c’est tellement complexe que nous avons seulement commencé à analyser les questions et à collecter le type de données nécessaires pour proposer des réponses plus fiables. Une importante quantité de travail a été entamée par des groupes tels que Fahamu, l’Institut sud-africain des affaires internationales, et le Centre des études chinoises de l’université de Stellenbosch, dans une tentative de comprendre ce qu’impliquent, pour les pays africains, les nouveaux types d’aide au développement, les aides monétaires et les contrats commerciaux qu’apporte la Chine aux pays historiquement vulnérables d’un point de vue économique et politique.
Aujourd’hui, certains d’entre nous, au CIFOR, travaillent sur un projet visant à comprendre spécifiquement comment les nouvelles configurations d’échange et d’investissement associés à la Chine vont probablement affecter les forêts et les moyens de subsistance basés sur la foresterie en Afrique. Cette année, le International Forestry Review a publié un article basé sur les recherches de Paolo Cerutti et de ses collègues, et nous venons juste de rédiger une synthèse sur un ensemble d’études préliminaires que nous avons réalisées dans plusieurs pays du bassin du Congo.
Certains lecteurs seraient surpris par les résultats de ce travail. Dans l’industrie forestière camerounaise, par exemple, Cerutti et ses collègues ont découvert que, si différents marchés demandent des espèces différentes, ce qui a différentes répercussions sur les forêts, l’origine des entreprises travaillant dans l’exploitation du bois, qu’elles soient chinoises ou autres, n’a pas d’incidence manifeste.
Une entreprise qui exporte vers l’Europe a tendance à abattre un nombre limité d’espèces qui sont privilégiées sur le marché, tandis que les entreprises qui exportent vers la Chine ont tendance à abattre et traiter davantage d’espèces différentes par zone. En foresterie, c’est parfois considéré comme une bonne chose. Exploiter un large éventail d’espèces peut réduire la pression sur les espèces les plus prisées susceptibles de diminuer dans les forêts exploitées de manière sélective, et cela peut également générer plus d’avantages économiques par zone exploitée. D’un autre côté, cela peut encore plus endommager le peuplement forestier par hectare, puisqu’un plus grand nombre d’arbres total peut être abattu. Dans le même temps, d’après le petit échantillon d’entreprises étudiées par l’article de Cerutti, il ne semble pas qu’il y ait eu de grandes différences dans la manière dont les communautés locales autour des concessions forestières ont déterminé : si l’entreprise était chinoise ou non, certifiée conforme à une norme élevée d’exploitation durable ou non, si la population locale semblait mieux s’en sortir ou moins bien, économiquement parlant. Donc… d’après cette étude (de nombreuses autres sont nécessaires), qu’une entreprise soit chinoise ou non n’a pas toujours forcément d’importance.
La synthèse sur le bassin du Congo constitue un ensemble d’informations générales devant nous aider à élaborer des questions de recherche plus détaillées pour examiner les impacts du commerce et des investissements de la Chine dans les minerais, le bois et l’agriculture au Gabon, en République démocratique du Congo et au Cameroun. Alors qu’il est trop tôt pour présenter des résultats définitifs, il est devenu clair durant cette recherche que l’une des caractéristiques qui différencie les entreprises chinoises travaillant en Afrique aujourd’hui est que dans certains endroits, elles interagissent très fortement avec les petits producteurs, notamment les petits producteurs artisanaux de minerai, par exemple. D’un côté, comme l’avaient révélé des précédents travaux menés ailleurs (en Amazonie), le lien direct que fournissent les négociants chinois aux petits producteurs peut apporter davantage de bénéfices économiques directs à la population locale. D’un autre côté, les activités d’extraction de ressources à petite échelle, souvent informelles, voire illégales, sont difficiles à réglementer d’un point de vue environnemental et social. Les gouvernements de la région ont des programmes d’officialisation des activités à petite échelle, lesquels peuvent réduire les potentiels effets négatifs tout en permettant aux populations locales de continuer à bénéficier de la demande du marché pour leurs ressources, mais une plus grande attention à ces questions est nécessaire.
Et pendant ce temps, le Chine-Afrique Express continue de décoller, tous les jours. Comment les arbres et les populations s’en sortent sur le terrain est une question sur laquelle le CIFOR apportera plus d’ informations scientifiques dans les années à venir.
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