L’hiver est arrivé au Maroc. De décembre à mars, les pluies sont abondantes (plus que le reste de l’année) et les légumes sauvages sont largement disponibles. Bien que les aliments sauvages, en particulier les légumes, tiennent une place importante dans la cuisine marocaine depuis des générations, ils ont jusqu’à récemment été largement négligés par les initiatives scientifiques et politiques. Toutefois, deux publications récentes ont changé la donne. Dans une publication récente, Nassif et Tanji ont exposé près de 80 espèces de légumes comestibles du Maroc.
Note de la rédaction : Cet article a été publié initialement sur le site Landscapes for People, Food and Nature.
Selon l’étude que nous avons publiée avril dernier, 84 % des ménages d’une communauté dans les montagnes du Rif ont utilisé des légumes sauvages durant les sept jours précédents et des légumes sauvages y sont consommés jusqu’à quatre fois par semaine. Ce travail suggère que les communautés rurales marocaines utilisent leurs paysages agricoles de diverses manières. Des légumes sauvages sont collectés dans les champs, en bordure de champs et de routes, ainsi que dans les cours d’eau : la diversité des paysages assure aux communautés locales un apport supplémentaire aux cultures de base.
SAVOIRS TRADITIONNELS, DIVERSITÉ ALIMENTAIRE
Notre étude a également examiné la répartition géographique de la connaissance et de l’usage des légumes sauvages sur trois sites au Maroc et a constaté des variations importantes, non seulement entre les régions, mais aussi entre les villages de la même région. Par exemple, dans le nord, Calendula arvensis et Erodium moschatum sont régulièrement consommés, tandis que, selon les femmes dans les montagnes du Haut Atlas au sud, ces espèces ne sont pas consommées même si elles y poussent également.
Les marchés agissent comme des sites où les savoirs sont transmis et où les valeurs, goûts et habitudes alimentaires sont façonnés
Dans le nord, les femmes d’un village appellent le genre Calendula « Karn kebsha », tandis que dans un village éloigné de seulement 40 kilomètres il est appelé « Mesk azara ». Si les villages utilisent le même marché, le chevauchement des connaissances sur les légumes sauvages est conséquent. Nous pensons que ceci est lié au fait que les marchés agissent comme des sites où les savoirs sont transmis et où les valeurs, goûts et habitudes alimentaires sont façonnés aux niveaux social et culturel. Nous en concluons que les marchés pourraient jouer un rôle important dans la préservation de la diversité des systèmes agricoles ruraux et des paysages au Maroc.
Dans un pays comme le Maroc, où il existe une grande variété écologique à travers des paysages, les marchés permettent aux agriculteurs de se spécialiser dans la production de cultures les mieux adaptées au contexte écologique de leur exploitation. Les marchés ruraux réunissent la diversité alimentaire locale, en permettant aux communautés de maintenir leur diversité alimentaire aussi longtemps que la biodiversité agricole est maintenue au sein des paysages. Les données présentées dans un autre article récent soulignent le fait que les marchés ruraux au Maroc sont source d’une plus grande variété d’aliments que ce qui est produit par la plupart des exploitations rurales. En outre, les marchés locaux comprennent une plus grande diversité alimentaire que celle indiquée par les statistiques nationales.
Sur notre site de recherche dans les montagnes du Rif, 25 % des divers types d’aliments consommés par les ménages ont été produits par les familles elles-mêmes, tandis que 27 % ont été achetés sur les marchés, mais produits localement. 41 % sont des produits importés tels que thé, sel, sucre, huile et épices (données non publiées). Ces résultats suggèrent que, dans le contexte marocain rural, la diversité des aliments produits localement (i.e. la biodiversité agricole au niveau des paysages) peut avoir un impact direct sur la diversité alimentaire des populations locales.
De plus en plus de données issues des pays en voie de développement attirent l’attention sur l’importance de l’environnement alimentaire (incluant la disponibilité, l’accessibilité, la commodité et la désirabilité) dans ces pays. Si les marchés traditionnels du Maroc rural sont bien des sites où se transmet le savoir et la culture des aliments traditionnels et sauvages, ils sont susceptibles de jouer un rôle important dans le façonnage et le remodelage des perceptions, des préférences et de la désirabilité des produits sains des régimes alimentaires locaux. Le fait que cette semaine nous avons trouvé de la Malva spp. sauvage en vente dans l’un des grands supermarchés à Marrakech peut avoir d’importantes répercussions positives sur les préférences alimentaires et, par conséquent, sur les habitudes alimentaires.
Pour toute question concernant ces recherches, veuillez contacter M. Powell à l’adresse b.powell@cgiar.org.
Bronwen Powell est chercheure postdoctoral au CIFOR. Abderrahim Ouarghidi est chercheur affilié à la Fondation pour la diversité globale et il est directeur des programmes et des formations à la Fondation du Haut Atlas.
Nous vous autorisons à partager les contenus de Forests News/Nouvelles des forêts, qui font l’objet d’une licence Creative Commons Attribution - Pas d’utilisation commerciale - Partage dans les mêmes conditions 4.0 International (CC BY-NC-SA 4.0). Vous êtes donc libres de rediffuser nos contenus dans un but non commercial. Tout ce que nous vous demandons est d’indiquer vos sources (Crédit : Forests News ou Nouvelles des forêts) en donnant le lien vers l’article original concerné, de signaler si le texte a été modifié et de diffuser vos contributions avec la même licence Creative Commons. Il vous appartient toutefois d’avertir Forests News/Nouvelles des forêts si vous republiez, réimprimez ou réutilisez nos contenus en contactant forestsnews@cifor-icraf.org.