BOGOR, Indonésie — Faire frire une tarentule pour sauver la forêt tropicale ?
Les produits forestiers tels que le bambou, le rotin, et oui, les araignées comestibles – une gourmandise au Cambodge – peuvent constituer une incitation à protéger les forêts tropicales de ce pays d’Asie du Sud-Est. Des programmes officiels visent à promouvoir le commerce durable de ces produits tout en augmentant les revenus des populations locales. Toutefois, de nouvelles recherches montrent que ces programmes ont déçu les communautés.
Cette déception risque de saper les projets et de menacer la protection des forêts qui fournissent de tels biens, connus sous le terme de produits forestiers non ligneux (PFNL). Les PFNL peuvent représenter une part assez importante des revenus des populations locales
Pourquoi ? Une étude récente, intitulée « Sans forêt, pas de PFNL pour les communautés rurales du Cambodge », note de nombreuses raisons, dont les suivantes:
- un manque d’information sur l’accès des communautés locales aux marchés ;
- pas assez de moyens pour transformer les PFNL bruts en produits commercialisables ;
- une ambiguïté sur le paiement des redevances sur les PFNL, qui réduisent les marges de profit ;
- un manque de confiance envers le gouvernement local chargé d’accompagner les projets
80 % des pauvres ruraux du Cambodge dépendent des forêts et des terres agricoles pour leurs moyens de subsistance. Les revenus provenant des produits forestiers autres que le bois peuvent représenter environ 200 dollars par an et par personne.Â
Ainsi, les PFNL « peuvent représenter une part assez importante des revenus des populations locales », déclare Manuel Boissière, l’un des co-auteurs de l’étude qui travaille au Centre de Recherche Forestière Internationale (CIFOR) et au Centre de coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement (CIRAD). « Ces personnes cultivent du riz pour le manger et, en parallèle, elles récoltent ces produits et tentent de les vendre. »
MÉFIANCE FACE AU GOUVERNEMENT
Les chercheurs déclarent que les projets de développement financés par des donateurs et destinés à stimuler le commerce durable des PFNL – initiés avec le soutien du gouvernement cambodgien – sont généralement accueillis avec enthousiasme par les populations locales. Cet optimisme s’évapore, cependant, lorsque les projets ne parviennent pas à produire les résultats attendus pas les populations locales.
Une grande partie de ce sentiment découle des doutes au sujet des fonctionnaires, affirment les chercheurs. La bureaucratie, la petite corruption de la police et de l’armée, ainsi que les efforts inefficaces des agents forestiers qui ont des responsabilités contradictoires – y compris l’arrestation des bûcherons et des passeurs illégaux – confortent l’image du gouvernement comme « institution coercitive ». Les chercheurs écrivent : « [Les populations locales] perçoivent le gouvernement local comme celui qui tient le bâton, qui collecte des frais et des redevances informels. De ce fait, elles sont sceptiques vis-à -vis de l’aide qu’il pourrait leur apporter. Le manque de connaissances des agents de l’administration sur leurs communautés locales, ainsi que leur manque de liens avec les populations locales requièrent une attention immédiate. » L'araignée vit sous terre. Les gens la font frire. des vendeurs attendent à l'extérieur avec des assiettes pleines d’araignées. Les gens les achètent comme des gourmandises
En conséquence, selon les chercheurs, de nombreux habitants cherchent d’autres sources de revenus, telles que la chasse et l’exploitation forestière illégales. Celles-ci dégradent les forêts.
Cette dégradation a rendu l’acquisition de PFNL lucratifs plus difficile, comme c’est le cas de ces délicieuses araignées Haplopelma albostriatum, une espèce de tarentule.
Selon M. Boissière, cette tarentule, qui peut atteindre la taille d’une main humaine, illustre les difficultés rencontrées par les populations locales cambodgiennes qui vivent en partie des PFNL.
« [L’araignée] vit sous terre. Les gens la font frire. Lorsque les bus s’arrêtent aux grands restaurants sur les routes principales, des vendeurs attendent à l’extérieur avec des assiettes pleines d’araignées. Les gens les achètent comme des gourmandises », explique M. Boissière.
Bien que les araignées aient une valeur marchande au Cambodge, les communautés ont souvent un accès limité aux informations sur les prix qu’elles pourraient en recevoir. Cela leur rend la négociation avec les intermédiaires difficile et impacte leurs profits.
La recherche — qui a porté sur 16 communautés cambodgiennes entre 2003 et 2009 — a été réalisée en partenariat avec le Ministère cambodgien des Forêts. Ce dernier doit faire face à des demandes contradictoires de la part d’autres ministères du gouvernement sur la façon de gérer les forêts, selon M. Boissière.
SOLUTIONS POSSIBLES
Les chercheurs constatent que les tentatives de promotion du commerce de quatre produits forestiers – araignées, rotin, bambou et résines utilisées dans des activités telles que la construction de bateaux – par la législation forestière et par la reconnaissance officielle des « forêts communautaires » ont eu un succès limité. Les principaux défis concernent le transport, l’extorsion de « frais » aux points de contrôle sur les routes vers les marchés, les ambiguïtés juridiques et le manque d’information des communautés locales sur les marchés.
Les ambiguïtés de la loi entravent les efforts de promotion du commerce, comme par exemple une contradiction entre les articles de la loi forestière et le sous-décret d’une foresterie communautaire sur le paiement de redevances sur les ventes communautaires de PFNL. Dans d’autres cas, les organismes d’application de la loi ont été en mesure de justifier le prélèvement de « frais » aux points de transit des utilisateurs coutumiers des forêts – des utilisateurs qui auraient dû être exemptés de ces frais.
Les chercheurs suggèrent que les réseaux de téléphonie mobile, accessibles même dans de nombreuses régions éloignées, pourraient être utilisés pour tenir les communautés informées sur les demandes du marché. Des pépinières pourraient être construites pour des espèces végétales rares, mais vendables.
Ils ont également noté que les compétences et les produits traditionnels disparaissent face au manque de matières premières et face à l’utilisation accrue d’outils plus modernes. L’écotourisme pourrait remédier à cela, mais beaucoup de ces villages ne disposent pas des infrastructures nécessaires au tourisme, selon les chercheurs.Â
Le transport est en général un facteur limitant majeur. Mais l’amélioration des accès contient également sa part de risque. En effet, les nouvelles routes facilitent également l’arrivée d’étrangers qui peuvent aussi vouloir exploiter la forêt ou la terre sur laquelle elle se trouve.
Selon M. Boissière, la création de « forêts communautaires » juridiquement protégées peut offrir une solution à certains de ces problèmes et pourrait aider à améliorer les relations avec les agents forestiers. Néanmoins, il ajoute que le processus d’établissement d’une forêt communautaire est lent.
L’étude termine sur des recommandations pour les futurs projets de développement des PFNL au Cambodge – avec quelques mises en garde cruciales pour éviter de répéter les erreurs du passé.
L’avertissement principal prône la participation des communautés locales dans la conception initiale du projet, avec une discussion sur les besoins et les attentes.
D’autres recommandations comprennent la formation des villageois à  la gestion durable des PFNL, un financement à long terme du reboisement de la part du gouvernement ainsi que de la communauté internationale et le développement d’associations communautaires visant le partage des accès aux marchés et aux informations sur le marché.
Selon les chercheurs, de telles mesures pourraient d’une part rétablir la confiance entre les parties prenantes et, d’autre part, garantir un prix plus équitable pour la gourmandise à huit pattes fournies par les forêts cambodgiennes.
Pour plus d’informations sur ces recherches, veuillez contacter Manuel Boissière à l’adresse m.boissiere@cgiar.org.
Ces recherches ont été financées en partie par l’OIBT et a été menée par le CIRAD. Elle s’inscrit dans le cadre du Programme de recherche du CGIAR sur les Forêts, les Arbres et l’Agroforesterie.
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