BOGOR, Indonésie – En Bolivie, la Terre-Mère dispose de droits à la vie, la biodiversité, l’eau eau et un air propres, l’équilibre, la restauration de l’environnement et la vie sans pollution. Cette loi, passée en 2012, donne aux humains le devoir de protéger ces droits.
Mais ce pays enclavé au cœur de l’Amérique du Sud s’est aussi engagé d’une part à étendre sa production alimentaire afin de répondre aux besoins de sa population croissante, d’autre part à utiliser ses terres et ses forêts au profit de la croissance économique.
Comme dans beaucoup d’autres pays tropicaux, ces deux objectifs entrent en conflit, selon une étude sur la déforestation et la dégradation des forêts en Amazonie bolivienne.
Une majeure partie de la forêt tropicale de la Bolivie, située dans les plaines du pays, a été menacée par la culture de soja et par l’expansion de l’élevage de bétail. Les taux de déforestation sont stables, même s’ils restent assez élevés, atteignant 200 000 hectares par an, selon une étude du Centre de Recherche Forestière Internationale (CIFOR).
Au début des années 2000, le gouvernement bolivien a exprimé son intérêt à faire usage des mécanismes de marché, tels que le commerce du carbone, pour modérer la déforestation et la dégradation des forêts.
Mais cette approche a changé après la prise de pouvoir du Président Evo Morales en 2006.
Outre l’adoption de la loi spécifiant les droits de la Terre-Mère et le devoir du gouvernement bolivien et des citoyens de la protéger, le pays a reculé devant les incitations financières basées sur les marchés pour la conservation des forêts telles que la REDD+ (Réduction des Emissions issues de la Déforestation et de la Dégradation des forêts).
«Dans les négociations internationales, la Bolivie œuvre pour rendre visibles des outils de lutte contre le changement climatique alternatifs qui ne sont pas liés au marché», explique Pablo Pacheco, scientifique au CIFOR.
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La loi de la Terre-Mère fait des droits de la terre une préoccupation collective d’intérêt public et établit les droits pour les peuples indigènes, les populations rurales ainsi que les communautés afro-boliviennes et interculturelles. Toutefois, l’étude explique qu’il y a des contradictions entre cette loi et d’autres réformes qui encouragent l’expansion de l’agriculture industrielle et la souveraineté alimentaire, ce qui pourrait conduire à davantage de déforestation.
ÉQUILIBRE DIFFICILE
Environ 80% des 50 millions d’hectares de forêt en Bolivie se situent dans les plaines amazoniennes, traditionnellement occupées par des groupes ethniques natifs qui utilisaient les produits forestiers sans avoir beaucoup d’impact sur la forêt.
L’exploitation forestière à grande échelle, qui a commencé dans les années 60, a déclenché un conflit entre les entreprises forestières et les habitants indigènes des forêts. Lorsque les communautés indigènes ont intensifié leurs revendications en faveur des droits au territoire dans les années 60, le gouvernement a répondu en établissant des «territoires indigènes de paysans natifs» (connus sous leur acronyme espagnol, TCOs) qui ont permis de reconnaître les droits coutumiers des peuples indigènes à leurs terres.
Une autre loi dans les années 90 a établi des concessions forestières permettant de soutenir une gestion durable des forêts par les communautés. Cette loi a été modifiée au fil du temps pour soutenir la gestion intégrée des forêts et, récemment, un programme a été établi pour encourager les plantations d’arbres et la reforestation. De plus, des programmes sur les titres fonciers ont favorisé une sécurisation des propriétés foncières. Selon l’étude, le fait d’augmenter l’attention portée à la vérification de la légalité du bois a entre-temps diminué l’exploitation illégale, même si la mise en œuvre est toujours en cours.
L’étude indique que maintenant que la meilleure part des terres agricoles est prise, l’expansion des plantations de soja a ralenti et l’élevage du bétail est devenu la cause première de la destruction des forêts dans les plaines de la Bolivie. Le co-auteur de l’étude, Robert Müller, de l’Université de Göttingen, indique qu’environ 50% de la déforestation est due à l’élevage, 30% aux cultures industrielles et 20% aux petits agriculteurs.
La Bolivie a annoncé son objectif de souveraineté alimentaire – produire l’alimentation dont le pays a besoin pour nourrir sa population croissante. Mais cela pourrait augmenter la pression pour convertir les forêts en terres cultivées.
La déforestation en Bolivie a augmenté en passant d’environ 51 000 hectares par an entre 1976 et 1986 à 205 000 hectares par an entre 2006 et 2010. Entre 1992 et 2001, la déforestation dans le pays a causé la perte de 277 millions de tonnes de biomasse, entrainant la libération de 56 millions de tonnes de dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère. La décennie suivante, de 2001 à 2010, la perte de biomasse a atteint 424 millions de tonnes, avec 77,8 millions de tonnes d’émissions de CO2.
En 2010, le pays a approuvé une stratégie nationale pour lutter contre le changement climatique qui mentionne spécifiquement le rôle des forêts dans l’atténuation du changement climatique et l’aide à l’adaptation des populations locales. Mais l’étude signale qu’une nouvelle Constitution adoptée en 2009 a décentralisé l’administration publique, notamment celle de la gestion des forêts. En outre, la distribution des responsabilités aux niveaux local, régional et national n’est pas complètement claire.
LES MARCHÉS DE CARBONE, UNE ALTERNATIVE ?
Les schémas basés sur les marchés que la Bolivie a rejetés figuraient en haut de l’ordre du jour des sommets internationaux sur le climat en vue du nouveau traité remplaçant le Protocole de Kyoto. Un nouvel accord devrait être signé à Paris à la fin de l’année 2015.
Les fonctionnaires boliviens affirment que la commercialisation de la nature, au travers de dispositifs tels que les marchés du carbone, va à l’encontre des droits de la Terre-Mère et tend à affaiblir les capacités des peuples qui dépendent des forêts du pays pour trouver leurs moyens de subsistance.
Ils prétendent également que le commerce du carbone ne s’attaque pas à la cause profonde des émissions de gaz à effet de serre car il permet à des commerces dans les pays industrialisés de maintenir leurs émissions dès lors qu’ils les compensent ailleurs.
Au sommet du climat des Nations Unies de 2010 à Mexico, la Bolivie a insisté sur la nécessité de respecter les droits des peuples indigènes, de soutenir l’adaptation ainsi que l’atténuation du changement climatique, tout en évitant les mécanismes de marché et en interdisant l’abattage des forêts pour des plantations d’arbres ou des infrastructures. Le gouvernement a depuis lors modifié légèrement sa position en acceptant que les pays puissent utiliser les mécanismes de marché mais tout en réclamant aussi des incitations financières non liées aux marchés.
Pour mettre en œuvre ses projets REDD+ non liées aux marchés, la Bolivie a établi le «Mécanisme commun d’atténuation et d’adaptation au changement climatique pour une gestion intégrée et durable des forêts et de la Terre-Mère». Celui-ci encourage la coordination politique, technique et opérationnelle et permet la collecte de fonds. De plus, le gouvernement a créé une agence, «l’Autorité Multinationale pour la Terre-Mère», pour appuyer ce processus.
Cette antenne a entrepris des actions pour soutenir la gestion intégrée des terres et des forêts dans la province de Pando et dans cinq municipalités du département de Santa Cruz. Bien que l’Etat fournisse certaines ressources, quelques bailleurs internationaux sont également engagés, en plus du soutien de la FAO et de l’UNEP.
Le projet de réduction de la déforestation sans dépendance du marché se cible lourdement sur les petits producteurs, mais leurs pratiques agricoles ne sont pas la cause principale de la déforestation dans le pays. M. Müller souligne que les décideurs politiques boliviens doivent analyser et cibler les principaux facteurs, l’élevage de bétail et l’agriculture à échelle industrielle.
L’étude explique qu’une plus grande densité – plus de bétail par hectare – pourrait réduire l’impact de l’élevage en le rendant plus efficace. Le fait de limiter l’agriculture mécanisée à des zones possédant un sol adapté et de couper les subventions pour le carburant pourraient freiner la déforestation effectuée par l’agriculture industrielle. Un meilleur zonage local, parallèlement aux incitations financières pour adopter des pratiques agricoles durables, pourraient réduire la déforestation faites par les petits producteurs.
Alors que la Bolivie plaide lors des discussions internationales en faveur de la protection des droits de la Terre-Mère, il y a au niveau interne une pression politique considérable pour étendre la frontière agricole au nom de la sécurité alimentaire. Finalement, pour la Bolivie, comme pour d’autres pays à forêts tropicales luttant pour l’atténuation du changement climatique, le défi est de trouver un équilibre entre la production alimentaire et la protection des forêts, en améliorant simultanément la cohérence entre la position prise pendant les négociations sur le changement climatique et le programme politique interne.
M. Pacheco précise que «ce n’est pas spécifique à la Bolivie». «Beaucoup d’autres pays font face à cette contradiction. Le défi est de trouver comment réconcilier la production alimentaire et la protection des forêts; comment découpler la croissance agricole, qui joue un rôle important pour atteindre des objectifs de sécurité alimentaire, et la déforestation.»
Pour plus d’informations sur les thèmes abordés par cette recherche, veuillez contacter Pablo Pacheco sur p.pacheco@cgiar.org.
Cette recherche fait partie de l’Etude Globale Comparative sur la REDD+ et du Programme de recherche du CGIAR sur les Forêts, les Arbres et l’Agroforesterie. Elle a été soutenue en partie par le NORAD, l’AusAID, le DFID, la Commission Européenne, le Département de la Coopération Internationale au Développement de la Finlande, et la fondation David and Lucille Packard.
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