MONTPELLIER, France — La progression du changement climatique étant plus rapide que prévu, il devient évident qu’il sera aussi important de s’y adapter que de l’atténuer.
Toutefois, la façon dont les décideurs politiques renforcent la résilience face au changement climatique soulève des questions difficiles. Quand cessons-nous de faire des changements progressifs au profit de changements profondément perturbateurs? Les transformations ont-elles seulement lieu lorsqu’il est trop tard? Qu’est ce qu’une «transformation»?
Lors d’une conférence récente, des experts du climat et du développement ont abordé ces questions en s’appuyant sur des exemples concrets, reflétant la multitude des approches à certains des défis les plus pressants de l’humanité.
«Dans certains contextes, une adaptation progressive peut ne pas être suffisante», déclare Claudia Comberti de l’Institut du Changement Environnemental de l’Université d’Oxford. «L’adaptation transformationnelle est plus pertinente dans des contextes de changements rapides ou extrêmes, ou où les hommes sont plus vulnérables. Pourtant, on a peu écrit ce sujet», a-t-elle déclaré lors de la récente conférence Résilience 2014 à Montpellier en France.
Sur le plan écologique, la «résilience» est la capacité de faire face aux changements et de poursuivre le développement. Le terme s’est répandu dans les discours sur le commerce et le développement.
En différenciant les différents types de stratégies pour établir la résilience, Edmond Dounias, chercheur à l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) et au Centre de Recherche Forestière Internationale (CIFOR), propose une définition: «L’adaptation progressive induit un changement mais les caractéristiques basiques du système sont maintenues. La transformation, quant à elle revient à franchir un seuil: vous étiez A et devenez B».
La recherche de critères scientifiques pour différencier l’adaptation progressive et l’adaptation transformationnelle au changement climatique peut paraître purement académique. Elle pourrait cependant avoir des conséquences politiques importantes.
«S’il s’agit d’une transformation, vous devez établir une société et un environnement différents. Ceci n’est pas nécessairement mauvais, mais c’est un changement radical pour lequel une aide extérieure peut être plus justifiée que pour une adaptation progressive», affirme M. Dounias.
QU’EST CE QU’UNE «TRANSFORMATION»?
Bien que la distinction soit claire sur le papier, identifier un changement transformationnel dans des socio-écosystèmes complexes peut être difficile.
M. Dounias a pris en exemple son étude sur la communauté Tikar au Cameroun. Les producteurs de céréales de cette communauté avaient migré vers un écotone, c’est-à-dire une zone de transition entre deux types d’écosystèmes, entre la savane et la forêt dans le centre du Cameroun. Ils ont dû faire face à la menace de l’expansion rapide des forêts sur leurs terres agricoles. Après des décennies de culture itinérante et de migrations à court terme d’un ensemble de champs vers un autre, les Tikar ont changé leur manière d’intéragir avec l’environnement.
Tout d’abord, ils ont établi des bandes de plantations agroforestières pour contrôler la croissance de la forêt. Ensuite, la propagation de l’arbuste invasif Chromolaena odorata (Herbe du Laos) leur a offert une manière inattendue de renforcer leurs moyens de subsistance. «S’ils brûlent les arbustes à la fin de la saison sèche, le feu tue les plants qui sont à l’origine de l’expansion de la forêt. En outre, les cendres sont très bonnes, ils peuvent donc revenir à la même jachère après cinq ans, au lieu de 15 à 20 ans auparavant», déclare M. Dounias.
Pourtant, selon M. Dounias, ces changements profonds ne correspondent pas à l’adaptation transformationnelle. «Lorsqu’une transformation a lieu, des changements irréversibles se produisent à la fois sur les plans social et écologique. Mais dans ce cas, l’objectif est de garantir une résilience sociale», dit-il.
La scientifique Houria Djoudi du CIFOR, qui étudie la mise en œuvre de la gestion des forêts communautaires au Burkina Faso, a également souligné la difficulté d’évaluer la nature progressive ou transformationnelle de l’adaptation. Depuis que la législation nationale a introduit des groupes de gestion des forêts communautaires dans les années 1990, «le gouvernement du Burkina Faso a essayé d’élargir ces expériences au niveau national, convaincu que ces expériences transformeraient les pratiques de gestion forestière», a déclaré Mme Djoudi lors de la conférence.
Pourtant, son enquête sur les communautés locales a révélé que le changement apparemment radical de la prise de décision n’a pas affecté les communautés locales entières, puisque les migrants (qui constituent dans certains cas la majorité de la population) ont été de facto exclus des nouvelles institutions.
«Il y a des efforts pour parvenir à des changements, mais nous ne sommes pas sûrs qu’ils vont aboutir à une adaptation transformationnelle, car le transfert du pouvoir se fait en faveur des personnes ayant déjà un accès privilégié et le contrôle des ressources, ainsi que le pouvoir au niveau local», dit-elle.
Pour Mme Djoudi, cela signifie que la recherche doit aller au-delà des études traditionnelles, centrées sur une analyse verticale du pouvoir (Etat-communautés), afin d’inclure les relations de pouvoir au sein des communautés. Le but étant de mieux comprendre les dynamiques complexes, à multiples échelles de l’adaptation.
«ON NE PEUT PAS DEMANDER AUX PERSONNES DE SIMPLEMENT S’ADAPTER»
Son collègue Denis Gautier, chercheur au CIRAD et au CIFOR, ajoute que la transformation peut résider dans les décisions individuelles qui n’apparaissent pas au niveau de la communauté.
«Si vous questionnez les agriculteurs sur un événement spécifique, ils répondront en fonction des ajustements d’adaptation qu’ils ont fait, tels que la vente d’un animal d’élevage. Toutefois, dans les sociétés où le bétail est un capital, cette réponse peut faire partie d’une stratégie plus complexe sur le long terme», dit-il.
Les responsables politiques présents lors de la conférence Résilience 2014 espèrent que la recherche leur permettra de prendre des décisions éclairées afin d’aider les sociétés à renforcer leur mode de vie et leur environnement face aux changements, ou de les réformer radicalement.
«Le changement climatique et la démographie constituent des problèmes si importants que la résilience [progressive] seule n’est pas une solution», déclare Jean-Marc Châtaigner, qui dirige le bureau en charge de l’aide au développement international au ministère français des Affaires étrangères.
«Nous ne pouvons pas juste demander aux personnes de s’adapter. La question clé est: où pouvons-nous établir la résilience et où avons-nous besoin d’un changement transformationnel?»
Pour plus d’informations sur ces sujets, veuillez contacter Houria Djoudi sur h.djoudi@cgiar.org.
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