Cameroun: une étude sur les redevances foncières riche d’enseignements pour la REDD+

Une évaluation de l'agriculture industrielle au Cameroun a montré que des réformes de partage des bénéfices fonciers pourraient aider à développer un mécanisme de paiement pour la REDD+, ainsi qu’à préciser la base juridique de la gestion des terres du pays et soutenir la lutte contre la pauvreté rurale.
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Bosque cerca de la aldea de Ngon, distrito de Ebolowa, Camerún. La mayoría de sistemas de compensación a propietarios de tierras en 40 aldeas de todo Camerún fueron ineficaces, ineficientes e inequitativos, según un estudio. Foto: Ollivier Girard/CIFOR.

Forêt près du village Ngon, dans le district d’Ebolowa au Cameroun. Une étude a constaté dans 40 villages camerounais que la plupart des systèmes d’indemnisation des propriétaires fonciers  par l’agro-industrie sont inefficaces, inefficients et inéquitables. Photo: Ollivier Girard

BOGOR, Indonésie — Une évaluation de l’agriculture industrielle au Cameroun a montré que des réformes de partage des bénéfices fonciers pourraient aider à développer un mécanisme de paiement pour la REDD+ (Réduction des Emissions issues de la Déforestation et la Dégradation des forêts), ainsi qu’à préciser la base juridique de la gestion des terres du pays et soutenir la lutte contre la pauvreté rurale.

Face à la demande croissante en terres agricoles et en permis d’exploitation minière, des scientifiques du Centre de Recherche Forestière Internationale (CIFOR) ont entrepris de déterminer le mécanisme qui régit les frais de location des terres pour l’agro-industrie du Cameroun.

Les résultats de l’étude, qui ont été présentés à des parlementaires, suscitent l’espoir: la législation révisée pourrait ouvrir la voie à une mise en œuvre réussie de la REDD+.

«Un mois avant que l’article ait été publié, j’ai été invité à présenter les résultats devant un comité parlementaire», déclare Samuel Assembe Mvondo, auteur principal de l’étude et scientifique au bureau régional du CIFOR au Cameroun. «Les résultats ont été une grande surprise pour beaucoup d’entre eux. Certains ne connaissaient pas le problème avec les redevances foncières.»

L’étude, intitulée Evaluation de l’efficacité, l’efficience et l’équité des systèmes de partage des bénéfices de l’agriculture industrielle: leçons tirées des redevances foncières au Cameroun, a été publiée dans European Journal of Development Research.

À quelques exceptions près, l’étude a révélé que dans 40 villages à travers le Cameroun, les systèmes d’indemnisation des propriétaires fonciers par l’agro-industrie étaient inefficaces, inefficients et inéquitables.

«Bien que des lois sur les redevances foncières aient été mises en place au milieu des années 1970, il n’y a jamais eu d’étude ou d’évaluation concernant leur efficacité», déclare M. Assembe Mvondo. «Puisque la gouvernance actuelle du Cameroun est connue pour être faible, je ne suis pas surpris par les résultats de l’étude. Espérons que les politiciens prendront en compte nos recommandations lorsqu’ils reverront les lois foncières.»

INEFFICACE, INEFFICIENT, INEQUITABLE

Les chercheurs ont choisi cinq filiales de multinationales opérant dans le secteur agro-industriel du Cameroun pour évaluer les mécanismes de paiement des frais fonciers. Les cinq filiales, anonymes pour des raisons juridiques, opèrent dans les secteurs du palmier à huile, du caoutchouc, de la banane et de la canne à sucre.

Seules deux sociétés opèrent sur des terres «nationales» – c’est-à-dire des terres qui ne sont pas privées ou publiques – et doivent donc payer des redevances foncières aux communes et communautés. La société de palmier à huile, une filiale française, exploite cinq plantations dans six municipalités sur trois régions (provinces) couvrant plus de 78000 hectares (ha). La société de canne à sucre, qui appartient également à une multinationale française, produit plus de 140000 tonnes de sucre par an.

L’étude a révélé que le mécanisme de redevance foncière est inefficace. Alors que les communautés vivant proche de la plantation de canne à sucre reçoivent leur part de redevances foncières, celles proches des cinq plantations de palmier à huile ne la reçoivent pas. En citant SHERPA, une organisation de la société civile, les chercheurs ont lié l’absence des paiements aux mauvaises conditions de vie des travailleurs et des communautés locales vivant à proximité de la plantation de palmier à huile.

Pourquoi le mécanisme ne fonctionne-t-il pas systématiquement ?

Lors d’un entretien avec les chercheurs, un responsable du ministère a suggéré que les fonctionnaires en charge de la collecte des recettes ont détourné des fonds. En effet, environ 30 millions d’euros (41 millions de dollars) ont été détournés en 2011 en collusion avec des responsables de l’administration des biens fonciers, selon l’étude citant la Commission Nationale Anti-Corruption (CONAC) du Cameroun.

L’étude a également mis en évidence des niveaux inégaux d’efficacité. La société de canne à sucre utilise un système décentralisé qui donne des chèques directement aux bénéficiaires, la société d’huile de palme quant à elle verse les redevances dans un fonds de taxe centralisé dans la capitale, Yaoundé, à 300 km. Les coûts de transaction sont élevés et aléatoires, selon l’étude, ce qui engendre une inefficacité et explique aussi en partie pourquoi les communautés ne reçoivent pas de paiements.

Les chercheurs ont également examiné deux enjeux liés à l’équité.

D’une part, bien que les communautés autour de la plantation de canne à sucre reçoivent des paiements, leur part légale de 20% représente seulement la moitié de ce que les conseils d’État et locaux reçoivent. L’étude suggère par conséquent que le système contient un biais en défaveur des communautés locales.

D’autre part, les conseils utilisent les loyers fonciers pour répondre aux besoins du moment, tels que le paiement des salaires, plutôt que d’investir dans le développement durable. Dans certains villages, les loyers fonciers n’ont pas engendré une amélioration significative des conditions de vie.

Même les conseils qui investissent dans des projets communautaires n’ont pas réduit la pauvreté des ménages.

«Les revenus tirés des redevances foncières ne sont pas utilisés autrement que les redevances forestières», déclare M. Assembe Mvondo. «Ils ne sont pas investis de manière cohérente dans la santé, l’électricité, l’eau ou l’éducation.»

RISQUE DE CONFLIT

Selon les chercheurs, le cas de la société d’huile de palme montre clairement que le modèle actuel de rente foncière est poreux, incomplet et injuste. Il favorise la relation entre les opérateurs de l’État et de l’économie au détriment des conseils et tout particulièrement des communautés locales vivant à proximité des plantations.

«D’autres chercheurs ont montré que là où les populations locales ont perdu leurs terres coutumières au profit des plantations agro-industrielles, il y aura – tôt ou tard – des manifestations et conflits violents entre les habitants locaux opprimés et l’Etat / l’entreprise», déclare M. Assembe Mvondo.

En effet, la société civile a déjà lancé des manifestations contre un projet d’agrandissement d’une société d’huile de palme américaine. Certaines manifestations contre la compagnie de caoutchouc, opérant sur des terres publiques (et donc pas tenue légalement de dédommager les communautés), ont été violentes et un dirigeant a été arrêté, dit M. Assembe Mvondo. En vue d’une étude de suivi, M. Assembe Mvondo retrace l’évolution de la gouvernance de la société de caoutchouc. Le but est de déterminer comment les différents propriétaires traitent les questions de responsabilité sociale des entreprises.

POSER UNE FONDATION POUR LA REDD+

Les chercheurs recommandent plusieurs moyens pour améliorer le partage des bénéfices issus des loyers fonciers nationaux. Ils soulignent que ces améliorations sont également des conditions préalables à tout programme futur de REDD+ au Cameroun.

Ces recommandations comprennent: réaliser un inventaire systématique des terres nationales occupées, accordées ou louées; assurer que tous les opérateurs payent les loyers fonciers requis par la loi; lancer des appels d’offres pour les terres nationales ouvertes à l’investissement; et assurer que toutes les informations relatives à l’occupation et l’utilisation des terres nationales soient publiées.

Grâce au Fonds de partenariat pour le carbone forestier, la Banque mondiale a approuvé le Plan de Préparation à la REDD+ du Cameroun, déclare M. Assembe Mvondo. Le pays élabore désormais une stratégie nationale et quelques projets pilotes sont déjà opérationnels sur le terrain.

«Je pense qu’il est important que les créateurs du mécanisme de partage des bénéfices de la REDD+ au Cameroun sachent comment la Constitution a mis en place les loyers fonciers pour les communautés», dit-il. «De cette façon, ils peuvent éviter les erreurs du passé et assurer que le mécanisme soit efficace, efficient et équitable.»

Pour plus d’informations sur les enjeux abordés dans cet article, veuillez contacter Samuel Assembe Mvondo sur s.assembe@cgiar.org.

Cette recherche s’inscrit dans le cadre du Programme de recherche du CGIAR sur les Forêts, les Arbres et l’Agroforesterie et a été soutenu en partie par NORAD, AusAID, DFID et la Commission européenne.

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