Les experts en développement soupçonnaient depuis longtemps que les revenus tirés des forêts et d’autres milieux naturels sont cruciaux pour des millions de personnes pauvres. Mais ils ignoraient à quel point les actions de développement liées aux forêts et aux moyens de subsistance ont été fondées en grande partie sur des données fragmentées. Bien souvent, les données sur les revenus forestiers ont souvent été associées à l’agriculture, quand elle n’ont pas été tout bonnement ignorées.
Cela pourrait changer. Une étude mondiale récemment publiée par le Centre de Recherche Forestière Internationale (CIFOR) sur les liens entre les moyens de subsistance et l’environnement a recueilli une montagne de données: plus de 8 300 enquêtes sur des ménages dans 333 villages dans 24 pays en voie de développement. Elle a à la fois confirmé des soupçons et remis en question de nombreux savoirs conventionnels sur les revenus environnementaux. L’étude, qui est un produit du Réseau Pauvreté et Environnement (RPE), a conclu qu’à travers le monde, les pauvres des zones rurales sont plus dépendants des ressources forestières et environnementales que ce qui est généralement supposé. Parmi les résultats:
- Les revenus provenant des forêts naturelles et d’autres zones naturelles ont représenté en moyenne 28% du revenu total des ménages, soit presque autant que les cultures.
- Les hommes génèrent au moins autant de revenus par les forêts que les femmes, ce qui contredit des hypothèses de longue date.
- Le rôle des forêts en tant que «filet de sécurité» serait moins important qu’on ne le croyait auparavant pour répondre à des chocs et compenser les creux entre les récoltes saisonnières.
- Les forêts domaniales génèrent plus de revenus que les forêts privées ou communautaires.
- Alors que parmi les agriculteurs pauvres, les plus démunis sont souvent blâmés pour la déforestation, ils ne jouent qu’un rôle modeste dans la coupe des forêts.
Même 10000 ans après le début de la révolution agricole, les populations rurales des pays en voie de développement dépendent toujours fortement de la recherche de nourriture dans la nature pour leur subsistance.
Il ne faut pas sous-estimer la signification de ces résultats, parce que notre vaste échantillon est représentatif d’une multitude de contextes ruraux dans les pays en voie de développement, à l’exception de quelques-uns des pays les plus pauvres en forêt et les plus densément peuplés. L’ampleur des revenus récoltés dans la nature -tirés de produits tels que le bois de feu, le bois d’œuvre, la viande, les plantes et d’autres ressources- a jusqu’à présent été mal documentée. Par conséquent, ces revenus sont largement passés à côté des radars de la plupart des décideurs politiques. Les outils existants permettant d’évaluer la pauvreté et les revenus -les stratégies de réduction de la pauvreté, le dispositif d’Enquêtes Permanentes des Conditions de Vie (EPCV) de la Banque mondiale, les systèmes de comptabilité du revenu national- ne parviennent souvent pas à bien saisir l’importance des revenus provenant de ressources naturelles. Ainsi, la valeur directe de la nature pour les moyens de subsistance des ruraux pauvres demeure largement invisible à l’échelle mondiale.
Il est important de quantifier la contribution des revenus environnementaux aux revenus totaux pour comprendre les moyens de subsistance des populations rurales, tout comme l’envergure et les facteurs de la pauvreté et de l’inégalité. Nous en savons également davantage sur la quantité que de nombreuses populations rurales risqueraient de perdre, si elles perdaient l’accès aux forêts ou si ces forêts étaient dégradées ou converties à d’autres usages. En lien avec le débat sur le climat, les résultats suggèrent que les bénéfices locaux du maintien du couvert forestier sont importants et que le potentiel pour l’atténuation climatique et les moyens d’existence pourrait être plus grand que supposé.
Ignorer simplement la grande «récolte cachée» dans les forêts et les risques environnementaux peut miner les efforts de conservation des forêts. Cette situation donne lieu à des politiques ou des réformes qui privent les populations locales de l’accès aux ressources extractives, en plus des interventions politiques destinées à lutter contre la pauvreté grâce à l’amélioration de l’accès aux marchés et à l’intégration. L’une des conclusions majeures de l’étude indique que les personnes ayant des revenus relativement élevés sont responsables d’une part plus importante de déforestation et d’extraction de produits forestiers que les plus pauvres. Une augmentation des biens et des revenus des ménages ruraux pourrait donc fournir les moyens d’accroître le déboisement et l’utilisation des forêts.
Les résultats fournissent un point de référence pour de futures études: les documents (publiés dans un numéro spécial de World Development) sont actuellement disponibles en téléchargement gratuit sur le site Web du RPE cifor.org/pen. Les résultats pourraient également être utilisés pour concevoir des enquêtes, spécifiques à chaque pays, pouvant expliquer l’ensemble des revenus environnementaux dans une zone donnée en se focalisant sur les produits locaux les plus importants.
En se basant sur les résultats du RPE et sur l’expérience méthodologique, le CIFOR travaille actuellement avec la Banque mondiale, l’Organisation des Nations unies pour l’Alimentation et l’agriculture (FAO) et d’autres partenaires afin de renforcer les statistiques forestières dans les Enquêtes Permanentes des Conditions de Vie (EPCV) de la Banque mondiale. L’objectif des EPCV est d’améliorer le type et la qualité des données sur les ménages recueillies par les bureaux de statistique dans les pays en voie de développement, pour favoriser une utilisation accrue des données sur les ménages en tant que base pour la prise de décision de politiques affectant le bien-être humain.
Le projet RPE, avec ses méthodes, son ensemble de données et ses résultats, peut stimuler un changement radical dans la façon dont les chercheurs, les praticiens du développement et les décideurs politiques perçoivent la valeur des forêts pour des millions de personnes dans le monde. Chiffrer simplement la valeur des produits fournis gratuitement par la nature ne changera pas en-soi la vie des pauvres. Toutefois, l’intégration de cette valeur dans l’élaboration de politiques peut aider à concevoir et à mettre en œuvre des politiques qui amélioreraient leurs vies.
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