BOGOR, Indonésie – Lorsque Ulva Takke a entendu dire qu’une entreprise étrangère prévoyait de mettre en place une mine de fer sur la petite île de Bangka dans la province de Sulawesi du Nord, elle s’est associée à d’autres résidents pour organiser une manifestation qui est arrivée jusqu’à la Cour suprême de l’Indonésie.
Mme Takke possède un centre de plongée sur cette île d’une superficie de 4800 hectares (ha). Elle est habitée par moins de 3000 personnes et comprend un petit secteur touristique, ainsi que la pêche, l’aquaculture et l’agriculture. Bien que la communauté ait gagné son appel contre le projet d’exploitation minière, des reportages de presse indiquent que la société est en train de préparer le début des travaux. Une opération qui peut mettre des habitats vierges à risque, notamment des forêts de plaine tropicale, mangroves, marais d’eau douce de sagou et récifs coralliens.
«Si c’est le cas, ce sera un grand désastre», déclare Mme Takke. «Les moyens de subsistance des pêcheurs traditionnels et exploitants de noix de coco seront détruits et de nombreuses personnes seront déplacées.»
Mme Takke a fait partie des plus de 100 délégués qui ont examiné des solutions face aux menaces pesant sur les mangroves de l’Indonésie lors de la conférence « Restoring Coastal Livelihoods » (Rétablir les moyens de subsistance en milieu côtier), organisée par le Mangrove Action Project (MAP) indonésien et le Programme d’Adaptation et d’Atténuation Durables des Zones Humides (SWAMP) au Centre de Recherche Forestière Internationale (CIFOR). Cette réunion de trois jours a eu lieu dans le cadre d’un projet du même nom financé par l’Agence Canadienne de Développement International (ACDI) et facilité par l’organisation non gouvernementale Oxfam dans 72 villages de la province de Sulawesi du Sud. Le projet s’est concentré sur la restauration des ressources intertidales côtières, dont les mangroves, ainsi que sur l’amélioration de la gestion de l’aquaculture et des zones côtières agricoles.
RECOURS À LA RESTAURATION
Les délégués ont discuté sur les préoccupations, signalées par le MAP, indiquant que le Ministère indonésien des Pêches envisage de convertir de vastes étendues de mangroves pour augmenter la production aquacole. Ces plans contredisent ceux du Ministère des Forêts, qui a mis en place une stratégie durable pour la protection et l’utilisation des mangroves, selon Ben Brown, conseiller technique principal du MAP.
«La politique concernant l’ensemble de la région intertidale était très peu claire. Même les politiques sur les aires protégées n’étaient pas suffisantes – il y avait beaucoup de conversion et de dégradation illégales, de sorte que même dans les zones protégées n’importe qui pouvait écrire un permis pour convertir et changer les terres.»
Les délégués ont travaillé sur l’élaboration de stratégies de collaboration afin d’assurer que les communautés côtières puissent négocier avec les représentants du gouvernement, des universitaires et d’autres intervenants. «Le message clé de ce séminaire est que les agences gouvernementales sur les mangroves devraient être renforcées avec une plus grande implication des communautés», déclare M. Brown. «Ne négligeons pas ces agences en disant qu’elles ne fonctionneront pas – essayons plutôt de les renforcer et de leur fournir des outils clairs qui ne sont ni prescriptives ni trop simplistes.»
Depuis 1980, l’Indonésie a perdu plus de 26% de ses mangroves, qui ont diminué en superficie de 4,2 millions d’ha à 3,1 millions d’ha. Ceci est principalement dû à l’augmentation des étangs aquacoles dans le cadre de l’«évolution bleue» à la fin du 20ème siècle. Les écosystèmes de mangrove sont appréciés pour la production de crevettes, car ils sont inondés deux fois par jour. Dans les zones intertidales entre terre et mer, et l’eau saumâtre crée un habitat idéal. La scientifique Jurgenne Primavera, spécialiste des mangroves, basée aux Philippines, à l’Union International pour la Conservation de la Nature et à la Société Zoologique de Londres, propose le recours à des «paysages en mosaïque» de protection pour aider à rétablir les côtes dégradées.
«Au lieu qu’une entreprise vienne en disant qu’elle va produire une quantité inconnue de crevettes, elle devrait plutôt dire qu’elle va s’intéresser à l’ensemble de la communauté et aux écosystèmes – à commencer par les mangroves», déclare Mme Primavera.
DÉFENSE CÔTIÈRE
Les mangroves aident aussi à protéger les zones côtières contre l’érosion et les zones intérieures contre les hautes vagues.
Depuis que le Typhoon Haiyan a frappé les Philippines en Novembre 2013 – en tuant plus de 6 200 personnes – les zones tampons côtières, que peuvent fournir les mangroves, sont devenues une préoccupation majeure, dit Mme Primavera. Elle ajoute qu’il existe de nombreux étangs à poissons abandonnés qui pourraient être reconvertis en mangroves.
Aux Philippines, les côtes sont presque entièrement consacrées aux étangs à poissons, dit-elle.
Mme Primavera propose des barrières littorales caractérisées par une bande de mangroves et une forêt côtière, avec des étangs d’aquaculture, des stations balnéaires et d’autres développements dans la zone vers l’intérieur des terres, derrière la zone côtière tampon.
«Pour les Philippines, je propose une solide ceinture verte d’un minimum de 100 mètres constituée de mangroves et/ou de forêts côtières», déclare-t-elle. «Une ceinture verte permettra à la fois de restaurer et maintenir le littoral, et de soutenir les producteurs de crevette qui tentent d’obtenir un certificat de crevette organique – comme l’a prévu le gouvernement vietnamien pour la péninsule Cà Mau au sud du pays», dit-elle.
MONTÉE DES EAUX
Une autre menace en discussion, pesant sur les mangroves et zones côtières, est la hausse du niveau des mers provoquée par le réchauffement climatique global.
«Nous ne savons pas quelle sera l’élévation du niveau de la mer – nous connaissons la direction qu’elle prend, mais nous ne connaissons pas son taux et son ampleur», déclare Dan Friess, professeur assistant à l’Université de Singapour qui mesure l’élévation de la surface des mangroves en Thaïlande et à Singapour afin d’établir une base de référence.
«Lorsque une mangrove commence à se dégrader, des arbres disparaissent et à partir de ce moment là il est trop tard pour la sauver», dit-il.
«Les mangroves ne sont pas statiques et peuvent tolérer un certain nombre d’inondations, mais avec le temps elles peuvent se noyer. Ce que nous aimerions savoir est si nos mangroves ont la capacité de réagir à quelconque taux d’élévation du niveau de la mer et comment nous pouvons gérer une mangrove pour l’aider à s’adapter.»
DYNAMIQUES DU CARBONE
Les écosystèmes de mangrove riches en carbone jouent un rôle crucial dans les stratégies globales d’adaptation et d’atténuation du changement climatique. Ils offrent non seulement un large éventail de services écosystémiques, mais la recherche indique qu’ils stockent également des quantités plus élevées de carbone que les autres types de forêts, selon Daniel Murdiyarso, directeur de recherche au CIFOR.
On estime que, que, à l’échelle mondiale, la déforestation des mangroves génère jusqu’à 10% des émissions de gaz à effet de serre issues de la déforestation, alors que les mangroves représentent seulement 0,7% de la superficie des forêts tropicales, selon M. Murdiyarso.
«Les écosystèmes de mangroves, combinés à des sols peu oxygénés et gorgés d’eau, ont le potentiel de réduire les émissions causant le réchauffement climatique», dit-il.
M. Murdiyarso dirige SWAMP, un projet de collaboration du Service forestier des États-Unis (USFS), de l’Université de l’État d’Oregon et de l’Agence Américaine pour le Développement International (USAID). SWAMP vise à fournir des données sur les zones humides afin de les utilisées dans des programmes de développement favorisant la gestion durable des zones humides tropicales.
«La conférence nous a donné l’occasion de démontrer l’utilité de notre protocole, qui nous permet d’évaluer les stocks de carbone et ses dynamiques dans les écosystèmes de mangroves intactes et dégradées», déclare M. Murdiyarso.
Pour plus d’informations sur les sujets abordés dans cet article, veuillez contacter Daniel Murdiyarso sur d.murdiyarso@cgiar.org
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