LIMA, Pérou (11 décembre 2013) – Tandis que les pays réfléchissent à des incitations pour ralentir la dégradation de leurs forêts tropicales, une question difficile et non résolue persiste: qu’est-ce exactement qu’une forêt dégradée?
Les programmes qui offrent de telles incitations, tels que la REDD+ (Réduction des Emissions issues de la Déforestation et de la Dégradation des forêts), une initiative soutenue par l’ONU, doivent relever le défi des mesures précises de la déforestation et de la dégradation.
De nouveaux critères peuvent aider à résoudre ce problème.
«La difficulté est que, des forêts qualifiées de dégradées par certains peuvent ne pas l’être pour d’autres», déclare Manuel Guariguata, un directeur scientifique au Centre de Recherche Forestière Internationale (CIFOR).
«Il existe des centaines de définitions de la dégradation des forêts, mais elles ne précisent pas où se trouve le seuil qui différencie ce qui est dégradé de ce qui ne l’est pas.»
M. Guariguata et ses collègues cherchent à résoudre ce problème avec un ensemble de cinq critères servant de lignes directrices, que les gestionnaires forestiers et les planificateurs de l’utilisation des terres peuvent utiliser pour évaluer l’état de la forêt et pour déterminer si l’utilisation de ses ressources est durable.
Ces critères: une production à long terme de biens et de services forestiers; la biodiversité; les perturbations inhabituelles telles que les incendies ou les espèces envahissantes; le stockage du carbone; et la capacité de la forêt à protéger les sols. En fonction des objectifs de gestion forestière, on peut accorder plus ou moins d’importance à ces critères.
Les chercheurs décrivent ces critères et la façon dont ils peuvent être mesurés dans un document intitulé «Un cadre opérationnel pour définir et surveiller la dégradation des forêts», publié dans la revue Ecology and Society.
«Nous n’avons pas créé une définition spécifique de la dégradation, mais notre travail fournit des conseils sur la façon dont les planificateurs et les gestionnaires fonciers peuvent appliquer les différentes dimensions de la dégradation à leur travail», déclare M. Guariguata.
Les gestionnaires forestiers peuvent décider quels sont les critères les plus importants en fonction de leur situation, dit-il. Dans de nombreux cas, ils peuvent utiliser la technologie de télédétection, telle que les images satellites, afin de continuer à surveiller l’état des forêts.
Vers une définition
Le Partenariat de collaboration sur les forêts propose une définition liant la dégradation à la perte de biens et de services écosystémiques. Mais cette définition doit encore trouver un moyen de devenir opérationnelle pour être utilisée par des gestionnaires de terres. Les cinq nouvelles lignes directrices visent à combler cette lacune.
Puisque les forêts stockent du carbone et sont une source de bois et de produits, tels que le carburant, les fruits et les noix, le premier critère pour mesurer la dégradation est le degré de l’apport de ces produits et services, selon les chercheurs.
La capacité d’une forêt à produire du bois d’œuvre et de feu est jugée par son «volume sur pied» – le volume de tous les arbres d’une hauteur et d’un diamètre particuliers. La recherche montre qu’une diminution de ce volume au fil du temps, du nombre de certains types d’arbres ou encore de la récolte de certains produits forestiers non ligneux, tels que les fruits ou les noix pourraient constituer des signes de dégradation.
Le deuxième facteur est la biodiversité – essentiel, puisqu’une large gamme de plantes, d’insectes, d’animaux, de champignons et d’autres êtres vivants remplissent des fonctions cruciales dans les forêts tropicales, telles que la dispersion de graines, la pollinisation, le contrôle des maladies et la décomposition, selon les auteurs. Ces fonctions sont souvent directement liées à la fourniture de biens et de services écosystémiques.
Les gestionnaires de terres peuvent mesurer la biodiversité en surveillant les changements de la végétation et de certaines espèces importantes, comme les insectes et les oiseaux. Ils peuvent également surveiller la fragmentation des forêts, un type de dégradation des forêts pouvant entraîner la perte d’habitats et d’espèces – des animaux, des oiseaux, des insectes ou d’autres créatures – qui en dépendent.
Parfois, la dégradation est plus évidente – une forêt peut être marquée par des feux excessifs ou envahie par une plante exotique envahissante ou un insecte qui menace les espèces indigènes. De telles «perturbations inhabituelles», qui peuvent être aggravées par le changement climatique, constituent le troisième critère.
Les forêts ne sont pas seulement une source de produits, elles protègent également les sols et maintiennent l’humidité en régulant le débit de l’eau dans un écosystème. En effet, les forêts libèrent de l’eau dans l’atmosphère par les feuilles, par un processus appelé évapotranspiration, et contrôlent la manière dont l’eau s’infiltre dans le sol.
Les chercheurs ont fait de la rétention le quatrième critère et ont recommandé de surveiller ce type de dégradation en mesurant l’érosion du sol et la quantité d’eau.
Le cinquième critère de la définition de la dégradation des forêts reflète le rôle clé que jouent les forêts tropicales dans le stockage du carbone, puisque les forêts contiennent environ la moitié des stocks de carbone de la planète dans des arbres vivants et morts et dans le sol.
La dégradation due à la fragmentation des forêts, due à une réduction de la taille des arbres ou du nombre d’espèces dans une forêt peut libérer du carbone et limiter son accumulation future dans la forêt. Les chercheurs recommandent de surveiller à la fois le carbone stocké et la présence d’espèces d’arbres à haute densité, qui stockent la plupart du carbone aérien dans les forêts.
Pour l’ensemble des cinq critères, la clé de la surveillance est d’avoir une base, ou un niveau de référence, fiable pour pouvoir mesurer la dégradation, dit M. Guariguata. Bien que le «modèle d’excellence» soit une vieille forêt intacte, il averti que les arbres seuls ne forment pas une forêt fonctionnelle.
«Il peut s’agir d’une très belle forêt ancienne, mais sans animaux en raison d’une chasse excessive», dit-il. «Du point de vue de la structure de la forêt, la forêt n’est pas dégradée. Toutefois, il n’y a plus de semeurs de graines, d’espèces de gibier ou d’herbivores, et ceci finira par avoir un impact sur la structure de la forêt.»
Un danger – et une des raisons pour laquelle les chercheurs ont élaboré les critères pour mesurer la dégradation – est que les décideurs politiques peuvent être tentés de délaisser toutes les forêts où une exploitation forestière ou autre activité a eu lieu, en pensant que puisqu’elles ont été «dégradées», elles sont devenues inutiles.
Cela pourrait ouvrir la voie à des constructions de routes, à l’agriculture ou à d’autres activités qui menacent encore davantage la survie de la forêt, dit M. Guariguata.
«Certains considèrent qu’une forêt dite dégradée, n’est pas une bonne forêt», déclare Ian Thompson, chercheur en écologie forestière au Service canadien des forêts et co-auteur du rapport. «Si vous utilisez des bonnes pratiques d’exploitation forestière pour récolter du bois, vous ne retrouverez pas une forêt ancienne, mais il s’agira toujours d’une forêt productive. Nous voulions mettre fin à ces idées fausses et montrer qu’il existe beaucoup de dimensions associées à la dégradation.»
En d’autres termes, une forêt bien gérée, compte tenu de tous les critères, pourrait également servir de base de référence, ajoute M. Thompson.
Pour plus d’informations sur les sujets abordés dans cet article, veuillez contacter Manuel Guariguata à m.guariguata@cgiar.org
Ce travail s’inscrit dans le cadre du Programme de recherche du CGIAR sur les forêts, les arbres et l’agroforesterie.
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