Scientifiques à la recherche de traditions forestières pour lutter contre le changement climatique

Tandis que le changement climatique menace les moyens de subsistance des personnes vivant dans les forêts, les scientifiques écoutent les mythes, les histoires et les chansons par lesquels les hommes se transmettent de génération en génération les connaissances traditionnelles sur les forêts.
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«Les systèmes de production des petits exploitants sont intrinsèquement adaptables, puisque les hommes ont toujours dû faire face à la variabilité et au changement de l’environnement pour fournir des biens à leurs familles», explique le scientifique Miguel Pinedo-Vásquez. Photo: CIAT/Neil Palmer

SAN JOSÉ, Costa Rica (20 janvier 2014) – Quel est le point commun entre un jardin surélevé de manioc dans l’Amazonie brésilienne profonde et le cou d’un ancien violon européen?

Tous deux sont des produits issus des connaissances traditionnelles qui ont aidé les hommes à s’adapter à un monde en pleine mutation depuis l’aube de l’humanité, ont expliqué des chercheurs lors du troisième Congrès latino-américain de l’International Union of Forestry Research Organizations (IUFRO) à San José au Costa Rica.

Tandis que le changement climatique menace les moyens de subsistance des personnes vivant dans les forêts, les scientifiques écoutent les mythes, les histoires et les chansons par lesquels les hommes se transmettent de génération en génération les connaissances traditionnelles sur les forêts.

«On constate une prise de conscience croissante de la valeur et des rôles complémentaires des savoirs traditionnels et des connaissances scientifiques formelles», a dit John Parrotta, chef du programme national américain de recherche du Service forestier pour les enjeux scientifiques internationaux, lors d’une présentation durant une table ronde.

Les connaissances traditionnelles sur les forêts découlent de la relation des hommes avec la terre, qui constitue une partie importante de leur identité, déclare M. Parrotta, membre du conseil d’administration de l’IUFRO et coéditeur, avec Ronald Trosper de l’Université de l’Arizona, de «Connaissances traditionnelles relatives aux forêts: Soutien aux communautés, aux écosystèmes et à la diversité bioculturelle», qui explore les façons dont les hommes utilisent les savoirs traditionnels partout dans le monde.

Cette relation mène à de méthodes d’agriculture et d’utilisation des produits forestiers plus durables, dit-il.

Miguel Pinedo-Vásquez, un scientifique au Centre de Recherche Forestière Internationale (CIFOR), a lui-même vu certaines de ces pratiques chez les communautés riveraines de l’Amazone.

«Les systèmes de production des petits exploitants sont intrinsèquement adaptables, puisque les hommes ont toujours dû faire face à la variabilité et au changement de l’environnement pour fournir des biens à leurs familles», dit M. Pinedo-Vásquez lors d’un exposé sur «La connaissance sur les forêts: Une ressource amazonienne pour l’adaptation et l’atténuation du changement climatique».

Mais la variabilité habituelle, telle que la hausse et la baisse des niveaux d’eau dans les estuaires en raison du cycle des marées provoqué par la phase de la lune, est compliquée par des inondations importantes causées par des phénomènes climatiques, tels que El Niño, ainsi que l’intervention humaine, comme la construction de barrages hydroélectriques en amont qui modifient l’écoulement naturel des rivières, dit-il.

Les hommes trouvent de nouvelles méthodes pour s’adapter à ces incertitudes, en changeant leurs habitudes de pêche pour profiter des crevettes d’eau douce qui abondent en période de crue, alors que d’autres espèces sont rares.

Ils construisent également des cadres en bois surmontés de plates-formes en forme de pirogues, où ils plantent de tout, des herbes au manioc. La diversité des cultures y est la même que dans leurs champs, mais les plantes sont en sécurité, au-dessus de la portée des eaux de crues, dit M. Pinedo-Vásquez.

«Comment les hommes s’adaptent-ils aux changements des inondations? Ils développent différents systèmes de production», ajoute-il. «Le problème est que la plupart des programmes, qui sont conçus pour aider les gens à s’adapter au changement climatique, se focalisent sur les produits, alors que les gens eux-mêmes sont à la recherche de différentes formes d’adaptation. Ils ne s’attendent pas à ce qu’une culture résolve leurs problèmes – elle fera partie d’un système plus vaste, incluant également d’autres éléments comme le gibier, les poissons et les produits forestiers.»

Alors, quel est le rapport avec les violons?

Les personnes qui vivent dans les communautés amazoniennes ne sont pas les seules à utiliser les savoirs traditionnels, déclare Marco Fioravanti dans son exposé sur «Le patrimoine en bois en tant que source de référence pour les études sur les connaissances traditionnelles».

En tirant des indices de la conception d’objets, allant des statues religieuses et des maisons à colombages aux chaises, M. Fioravanti étudie la manière dont la technologie du travail du bois a changé, en réponse à la modification des besoins et des conditions.

Autrefois les menuisiers européens sculptaient des statues religieuses à partir de troncs d’arbres solides, en insistant sur le devant de la statue, tout en laissant le derrière rugueux, dit-il. Cependant, ce style a changé radicalement au cours de la Renaissance. En à peine 50 ans, les troncs d’arbres solides n’étaient plus à la mode et furent remplacés par des figurines plus détaillées avec des membres collés.

«La Renaissance a placé l’homme au centre de l’histoire. Ainsi, la représentation de la physionomie humaine – une vue à 360 degrés – est devenue vitale», explique M. Fioravanti. «Les menuisiers ont dû produire une certaine qualité du corps humain, même au dos de la sculpture. »

Et le violon ? C’est un peu plus compliqué. Durant un demi-millénaire, les luthiers européens ont façonné les meilleurs violons du monde à partir d’une combinaison d’épinette et d’érable. La technologie moderne n’a pas été en mesure d’améliorer le son que produisent ces bois.

«Il y a eu beaucoup de tentatives pour changer ces espèces, mais la connaissance traditionnelle a été plus forte que l’évolution technologique», dit M.Fioravanti. Ce qui a changé, est la forme du cou du violon, qui est devenu plus incliné, à mesure que les formes et les goûts musicaux ont changé en faveur d’un jeu plus fort et de notes plus aiguës.

«Le type de musique que les gens recherchaient était différent, donc ils ont dû ajuster la forme et l’angle du cou», dit-il.

M.Fioravanti a trouvé des indices sur la façon dont les hommes se sont adaptés à l’évolution des besoins et de l’environnement par d’autres objets en bois, allant des maisons aux chaises.

«Le bois est un référentiel des connaissances immatérielles et le patrimoine en bois est un référentiel des connaissances technologiques», dit-il. «Nous pouvons apprendre beaucoup de ces solutions. Bien sûr, nous devons être capables de transformer ces connaissances empiriques en connaissances scientifiques.»

Et ceci est, selon M.Pinedo-Vásquez, un défi immédiat pour les scientifiques qui étudient la façon dont les petits exploitants s’adaptent à leur monde en mutation.

Pour plus d’informations sur les enjeux abordés dans cet article, veuillez contacter Miguel Pinedo-Vásquez sur m.pinedo-vasquez@cgiar.org

Cette recherche a été réalisée dans le cadre du Programme de recherche du CGIAR sur les forêts, les arbres et l’agroforesterie.

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