BOGOR, Indonésie (19 juillet 2013) – Il faudrait examiner minutieusement les études sur l’impact de l’exploitation forestière sur la biodiversité dans les régions tropicales et modérer, voire rejeter leurs conclusions, selon une publication récente de la revue «Conservation Biology» qui a révélé des défauts méthodologiques répandus.
Douglas Sheil est associé principal du Centre de Recherche Forestière Internationale (CIFOR), pour le Programme Forêts et Environnement, et collaborateur sur «La pseudoréplication dans les forêts tropicales et ses effets sur la conservation de la biodiversité». Il déclare que son équipe a entrepris de déterminer pourquoi la recherche sur l’impact de l’exploitation forestière sur les écosystèmes forestiers tropicaux donne souvent des résultats contradictoires.
Ils ont constaté que les scientifiques traitent souvent, dans leurs études spécifiques aux forêts tropicales, les sites qui ont été déboisés et ceux qui ne l’ont pas été comme s’ils étaient identiques avant le déboisement. Les comparaisons statistiques ainsi effectuées ne peuvent pas soutenir les conclusions qui en sont tirées. Ceci est un exemple d’une faille méthodologique dite «pseudoréplication».
Dans de nombreux cas, on a ignoré l’importance des variations locales entre les sites d’études lors de l’interprétation de la recherche – de sorte que toutes les différences, y compris celles qui étaient naturelles, ont été attribuées à la coupe et à l’enlèvement du bois.
Suite à cette mauvaise interprétation, les modifications résultant de l’exploitation forestière ont souvent été exagérées, dit M. Sheil.
«La prise en compte de la pseudoréplication est essentielle pour évaluer avec précision la biodiversité dans les forêts exploitées, pour identifier les mérites relatifs des pratiques spécifiques de gestion et des configurations du paysage, et pour équilibrer efficacement la conservation et la production de bois dans les paysages forestiers tropicaux», ajoute t-il.
La biodiversité forestière est menacée par la déforestation et la dégradation des forêts, ainsi que la chasse et l’introduction d’espèces envahissantes provenant d’autres habitats. Au moins 13 millions d’hectares (50 000 miles carrés) de forêt – une superficie équivalant presque la taille du Nicaragua – disparaissent chaque année, selon l’Organisation des Nations Unis pour l’alimentation et l’agriculture.
Sur 77 études analysées, seules 5 sont définitivement exemptes de pseudoréplication, déclare l’auteur principal Benjamin Ramage, chercheur postdoctoral à l’Université de Californie à Berkeley.
«Les problèmes et les pièges méthodologiques sont beaucoup plus répandus que ce que nous avions prévu», dit-il.
«Nous serons peut-être amené à écarter certains résultats antérieurs, tandis que dans d’autres cas, nous pourrions être en mesure d’évaluer les corrections.»
Le potentiel d’imprécisions statistiques dans l’évaluation des forêts remet en question les résultats d’un nombre considérable d’études, ainsi que quelques «vérités» établies, dérivées d’une littérature qui semble maintenant être «truffée de déductions injustifiées», selon le journal.
M. Sheil dit que les chercheurs utilisent parfois des raccourcis afin de compiler des données sur les espèces touchées par l’exploitation forestière, soit en raison d’un manque de financement, soit pour rendre les résultats plus impressionnants.
«Il est difficile de faire les études sur les forêts tropicales correctes. En outre, il y a souvent beaucoup de pression pour produire des affirmations fortes, fondées sur des études pour lesquelles les budgets sont restreints», dit-il. «Nous sommes habitués à dire que ‘quelques informations valent mieux qu’aucune’. Mais évidement ceci est seulement vrai si nous nous gardons d’être induits en erreur.»
Les répercussions des conclusions de l’équipe pourraient être importantes.
Les opinions sont déjà divisées sur la question de savoir si les zones forestières bien gérées sont une mesure positive pour la conservation de la biodiversité. Ainsi, les nouveaux résultats sont susceptibles de raviver les différents débats sur quand et où la production de bois doit être considérée comme un ami ou un ennemi de la conservation.
L’étude pourrait également changer la façon dont nous percevons les forêts de production qui – contrairement à beaucoup d’autres utilisations des terres, telles que l’huile de palme et la canne à sucre – abritent un niveau beaucoup plus élevé d’espèces forestières. Pour le moment, selon M. Sheil, les chercheurs n’ont pas d’autre choix que de retourner à la case de départ.
«Si nous ne reconnaissons et n’abordons pas le problème de la pseudoréplication, nous ne pouvons pas évaluer avec précision la biodiversité dans les forêts exploitées», dit-il. «De plus, il n’existe aucun moyen de savoir comment équilibrer efficacement la conservation et la production de bois dans les forêts tropicales.»
«Et comment pouvons-nous dire quelles pratiques de gestion sont efficaces et lesquelles ne le sont pas.»
Les deux auteurs ont souligné que leurs analyses ne devraient pas être interprétées comme la négation des impacts négatifs de l’exploitation forestière sur la biodiversité. «Nous soulignons que certains de ces effets sont réels et justifient les préoccupations», déclare M. Sheil. «Mais il semble que de nombreux résultats antérieurs soient inexacts et susceptibles d’avoir été exagérés. Nous serons tous davantage en mesure de concentrer notre attention et nos efforts si nous avions une connaissance plus fiable des effets de l’exploitation forestière.»
La prévalence de la pseudoréplication dans la recherche sur la foresterie tropicale soulève, quant à elle, la question de savoir comment tant de scientifiques ont pu échouer à la discerner en amont. Selon M. Sheil, ce serait dû à la conscience.
«Il s’agit de reconnaître le problème et de savoir pourquoi il est important. Si les chercheurs reconnaissent quand et où ces approches conduisent à des problèmes, nous pouvons les éviter», dit-il.
M. Ramage dit espérer que le rapport encouragera les chercheurs à commencer à penser de manière plus critique sur les conclusions qu’ils tirent de leurs données et à essayer de trouver des moyens de démultiplier correctement les données sur les exploitations forestières.
Pour plus d’informations sur les sujets abordés dans cet article, veuillez contacter Douglas Sheil sur d.sheil@cgiar.org
Cette étude a été financée par le Fonds pour l’environnement mondial, à travers du Programme de développement des Nations Unies en Malaisie et l’Organisation internationale des bois tropicaux. L’aide financière et l’appui en nature ont été fournis par le gouvernement de la Malaisie, par son Ministère des ressources naturelles et de l’environnement et l’Institut de recherche forestière de la Malaisie. Elle a également été soutenue par le Programme de recherche du CGIAR sur les forêts, les arbres et l’agroforesterie.
Nous vous autorisons à partager les contenus de Forests News/Nouvelles des forêts, qui font l’objet d’une licence Creative Commons Attribution - Pas d’utilisation commerciale - Partage dans les mêmes conditions 4.0 International (CC BY-NC-SA 4.0). Vous êtes donc libres de rediffuser nos contenus dans un but non commercial. Tout ce que nous vous demandons est d’indiquer vos sources (Crédit : Forests News ou Nouvelles des forêts) en donnant le lien vers l’article original concerné, de signaler si le texte a été modifié et de diffuser vos contributions avec la même licence Creative Commons. Il vous appartient toutefois d’avertir Forests News/Nouvelles des forêts si vous republiez, réimprimez ou réutilisez nos contenus en contactant forestsnews@cifor-icraf.org.