Certains agriculteurs du Ghana tuent les jeunes arbres sur leur propriété de peur que leurs cultures soient un jour endommagées par des bûcherons qui viendraient couper les arbres. Et au Cameroun, alors que les forêts communales peuvent générer près de 50 fois ce qu’elles produisaient sous le contrôle de l’état, quasiment aucun argent ne revient aux familles, ni aux projets qui bénéficieraient à l’ensemble de la communauté tels que les routes ou les écoles.
Des études publiées dans une édition spéciale* du journal Conservation and Society montrent que malgré les réformes entreprises pour promouvoir les forêts gérées par les communautés en Afrique, les populations locales sont souvent peu incitées à les préserver.
Renforcer les droits aux ressources de leurs terres n’est qu’une partie de la solution, selon les auteurs. Les pays doivent aussi s’assurer qu’il existe des bénéfices tangibles pour ceux qui s’impliquent dans la protection et la gestion.
“Il y a eu des résistances notables de la population aux opérations forestières quand les personnes se sentent abandonnées”, explique Emmanuel Marfo, principal auteur d’une étude sur les régimes fonciers et les bénéfices* tirés des ressources forestière au Ghana.
“La question est de savoir comment ces interventions bénéficient vraiment aux communautés locales”, ajoute-t-il.
Au Ghana, le problème vient notamment des difficultés qu’il y a à travailler avec un système de régimes fonciers complexe, qui mélange des pratiques coutumières héritées de structures traditionnelles et coloniales, la loi officielle et des droits privés. Les règles sont tellement détaillées qu’une personne peut avoir le droit de cueillir un fruit d’un arbre alors qu’une autre a le droit de l’abattre pour le bois ou comme bois de chauffage.
Certaines réserves forestières ont été créées, là où la terre reste propriété traditionnelle tandis que le gouvernement la gère “pour le bien commun”.
En dehors de ces réserves, les agriculteurs qui ont des arbres sur leurs terres peuvent collecter le bois et des fruits, mais le gouvernement conserve le droit de récolter le bois quand les arbres sont à maturité. Plusieurs agences gouvernementales, assemblées de districts et chefs locaux se partagent les revenus de la vente du bois, mais les agriculteurs ne reçoivent rien.
Pire, d’après les agriculteurs, les bûcherons qui coupent les arbres abîment les champs, volant les familles non seulement des revenus tirés des arbres, mais aussi d’une partie de leurs moyens de subsistance.
“Le système doit être changé”, dit Marfo, qui travaille avec l’Institut de recherche forestière du Ghana.
“Si les agriculteurs tirent un bénéfice de la coupe des arbres qu’ils protègent sur leurs propriétés, ils seront plus enclins à planter ou préserver ces espèces.”
Il note que les forêts tropicales d’Afrique ont un énorme potentiel de stockage du carbone, ce qui en font des cibles parfaites de programmes pour l’atténuation du changement climatique*, comme des crédits carbones ou des compensations pour REDD (Réduction des émissions liées au déboisement et à la dégradation des forêts).
Tant que les problèmes de propriété, comptabilité et partage de bénéfices ne seront pas résolus, de tels programmes “pourraient renforcer les inégalités existantes”, dit-il. “La question principale est : comment créer des incitations pour les acteurs qui comptent le plus dans l’atténuation de la déforestation”.
Si les agriculteurs tirent un bénéfice de la coupe des arbres qu’ils protègent sur leurs propriétés, ils seront plus enclins à planter ou préserver ces espèces.
Le Cameroun, autre pays d’Afrique de l’Ouest, a des problèmes semblables.
La décentralisation de la gestion des forêts et la réforme de la foresterie communautaire lancées il y a plus de dix ans visaient à protéger les droits des communautés sur leurs ressources et leur apporter des revenus plus sûrs.
Mais ça ne s’est pas déroulé ainsi.
Une étude sur les forêts communautaires réalisée dans quatre provinces montre que les revenus des communautés tirés des forêts ont augmenté entre 1997-1998 et 2007-2008 de 370% dans la région de Lomié-Dja à l’Est du Cameroun, 725% dans la zone Océan du Sud, 3200% près du Mont Oku au Nord-Ouest et 5300% vers le Mont Cameroun au Sud-Ouest.
Mais les revenus que les communautés tirent de la foresterie n’ont pas réussi à améliorer les moyens de subsistance, démontre l’étude. Pourtant, les taux de pauvreté des foyers dans ces communautés demeure élevé, parce que les revenus sont affectés à des projets communautaires qui ne sont pas pertinents pour réduire la pauvreté, et au fonctionnement des comités de gestion de village, plutôt qu’à des projets touchant à la réduction de la pauvreté au niveau des ménages, selon une étude* menée par l’ancien chercheur du CIFOR Phil René Oyono qui travaille désormais pour Rights and Ressources Inditiative basé à Washington DC.
“En général, allouer de nouveaux droits communautaires forestiers ne conduit pas à l’amélioration d’actifs de bases pour les ménages – comme le revenu, l’hébergement et l’équipement”, dit-il.
“L’argent de la foresterie communautaire pourrait être investi dans de petits systèmes de crédit, par exemple, pour soutenir des initiatives individuelles. L’ingénierie sociale des ONG qui travaillent au soutien de la foresterie communautaire est très pauvre à l’heure actuelle.”
L’étude montre aussi qu’avant les réformes, l’état avait des droits exclusifs sur les forêts et leurs ressources, alors que les communautés locales y avaient seulement accès pour certaines utilisations. Même si les droits de gestion et de commerce ont maintenant été transférés aux communautés, elles n’en ont pas l’entière propriété.
La nouvelle législation a créé des forêts communautaires allant jusqu’à 5000 hectares, mais dans certains cas, ces forêts sont plus petites que les zones que les communautés géraient, donnant l’impression aux villageois que la réforme a réduit leurs droit et accès aux ressources, plutôt que de les renforcer.
Les communautés forestières de Lomié-Dja, de l’Océan et du Mont Cameroun ont aussi souffert de surexploitation et de dégradation, dit-il.
La zone du Mont Oku, où les structures traditionnelles politiques et sociales sont plus solides que dans les autres zones, font exception. Dans cette région, un chef traditionnel et une assemblée de conseillers ont un vaste pouvoir sur les forêts et les ressources, des patrouilles ont été mises en place dans chaque village et les villageois travaillent à la conservation forestières, en maintenant les bûcherons illégaux à l’extérieur.
Il est trop tôt pour dire que les réformes légales du Cameroun ont été un échec, pour l’instant elles ne parviennent pas à atteindre des objectifs clés : assurer une gestion durable des forêts, promouvoir la participation du public et contribuer à la réduction de la pauvreté, dit Oyono.
Suite à son étude, il recommande d’accorder des droits de propriété intégraux aux communautés, comme incitation à une meilleure gestion, et d’établir et de renforcer la régulation pour empêcher la coupe de bois illégale, de même que des procédures comptables pour éviter la mauvaise gestion des fonds et assurer que les revenus bénéficient vraiment aux communautés locales via les ménages.
*Liens non traduits en français
L’édition spéciale consacrée aux régimes fonciers de la Conservation and Society a été éditée par Dr Anne Larson. Pour plus d’information, veuillez la contacter sur a.larson@cgiar.org.
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