Interview: défis liés à la surveillance d’une forêt trois fois plus grande que la France

Alors que les donateurs internationaux envisagent de financer des programmes visant la réduction des gaz à effet de serre issus de la déforestation et de la dégradation forestière (REDD+), une de leur principales attentes est que les pays bénéficiaires fournissent un suivi et des rapports sur l'état de leurs forêts.
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PhD student Prosper Sabongo measures the tree canopy in the billage of Masako, Kisangani, Democratic Republic of Congo. Ollivier Girard/CIFOR

Le doctorant Prosper Sabongo mesure la canopée dans le village de Masako, Kisangani, en République Démocratique du Congo. Ollivier Girard/CIFOR

Alors que les donateurs internationaux envisagent de financer des programmes visant la réduction des gaz à effet de serre issus de la déforestation et de la dégradation forestières (REDD+), ils s’attendent à ce que les pays bénéficiaires fournissent un suivi et des rapports sur l’état de leurs forêts.

Une nouvelle étude publiée par le CIFOR souligne les défis de la République Démocratique du Congo (RDC) dans la construction de structures pour gérer l’aide internationale contre la déforestation.

Avec 180 millions d’hectares de terres forestières traversant six pays, la forêt tropicale du Bassin du Congo est la deuxième plus grande forêt partagée au monde.

Le coordinateur régional du CIFOR pour l’Afrique Centrale, Richard Eba’a Atyi, a travaillé auparavant comme expert pour le contrôle des forêts à Kinshasa, capitale de la RDC. Il raconte ses expériences à Nouvelles des Forêts.

Q: Quelle était votre implication dans le contrôle des forêts quand vous travailliez en RDC?

R: Entre août 2007 et septembre 2010, j’ai participé à l’établissement d’un observatoire pour les forêts d’Afrique Centrale. Cela comprenait la publication d’un rapport sur l’état des forêts de la région tous les deux ans.

Nous avons d’abord défini des indicateurs pour nous aider à collecter l’information dans six pays, dont la RDC, et nous avons mis en place un groupe de travail national pour collecter les données. Les indicateurs concernaient la couverture forestière – cela a été fait principalement par télédétection; la production de concessions boisières; et les zones protégées de conservation. Nous avons aussi surveillé le cadre institutionnel et légal du pays.

Le groupe de travail national devait remplir les formulaires que nous avions conçus, pour décrire comment ces indicateurs avaient évolué. Puis nous avons organisé un atelier annuel pour valider les données avant d’écrire le rapport sur l’état des forêts.

Q: Quelle était votre évaluation de la capacité du pays à surveiller ses forêts à l’époque?

R: Sa capacité était très faible. La plupart des ressources humaines étaient situées à Kinshasa, avec quasiment aucune capacité de contrôle sur ce qui se passait dans les provinces reculées.

De plus, le département forestier n’avait pas vraiment accès aux données sur les taxes forestières, détenues par les services fiscaux. Ils n’avaient pas de dispositif de présentation des rapports en place pour recevoir et archiver les données provenant des sociétés forestières. Parfois le syndicat des sociétés forestières lui-même nous aidait en envoyant ses propres données.

Avant d’être basé à Kinshasa, j’ai mené une étude pour WWF sur la capacité de l’administration forestière de la RDC à appliquer les lois forestières et les règlementations attenantes. Vous ne me croirez pas – ils avaient environ 10 personnes dans le service de contrôle pour s’occuper de l’ensemble du pays.

Q: Que savez-vous des progrès réalisés depuis lors?

R: Il y a quelques points positifs. Les sociétés forestières privées travaillent vraiment dur pour répondre aux demandes du marché, en terme de certification par exemple. Aussi, la loi exige qu’ils fassent des plans d’aménagement forestier. Quelques concessions boisières ont mené des inventaires des forêts, qui sont maintenant disponibles auprès de l’administration forestière. Un autre point positif, c’est que depuis qu’ils ont mis en place une stratégie nationale REDD+, ils ont un cadre pour surveiller l’utilisation de la forêt sur le plan biologique, social et économique.

Cependant, le fossé entre les autorités provinciales et le gouvernement central de Kinshasa est tellement large que la stratégie REDD+ n’est pas encore appliquée dans les provinces ou au niveau local.

Le gouvernement central qui présente REDD+ à la communauté internationale n’a pas le contrôle aux niveaux provincial et local. Cela s’explique parce qu’il y a toujours des zones de troubles politiques: quand vous entendez parler de Katanga, les provinces de l’Est, la situation politique là-bas ne s’est pas arrangée et cela réduit la capacité du gouvernement central à surveiller les ressources forestières à travers le pays.

Q: Pourquoi la surveillance, notification et la vérification sont importants pour la mise en place des politiques REDD+?

R: C’est la clé – d’abord pour établir une situation de départ sur la déforestation, les stocks de carbone mais aussi les changements annuels, via des données physiques comme le couvert forestier, l’inventaire forestier, les volumes de stock de carbone, ou à travers le contexte social. L’idée est d’avoir une information de base et de contrôler par la suite comment les choses évoluent: est-ce que nous faisons vraiment des progrès en terme de réduction d’émissions de carbone, ou au moins de réduction de la déforestation?

Q: Quelles devraient être les prochaines priorités de la RDC pour atteindre un niveau de capacité de surveillance suffisant pour appliquer les programmes REDD+?

R: Malheureusement, la priorité numéro un se situe au-delà du secteur forestier. Elle se trouve au niveau institutionnel – améliorer la coordination et la communication entre les gouvernements central, provinciaux et locaux. C’est la clé. Puis ils ont certainement besoin d’avoir une sorte d’inventaire des ressources forestières à l’échelle nationale.

La RDC a besoin d’une sorte de vue d’ensemble de l’utilisation optimale du territoire national, tout en gardant intacts les lieux qu’elle veut réserver aux forêts.

La RDC a besoin d’une sorte de plan d’utilisation du territoire pour que le pays puisse déterminer comment la conservation des forêts, la gestion des forêts dans la production de bois, les activités minières et agricoles peuvent co-exister. Pour l’instant, s’ils sont en contact avec une société chinoise pour l’huile de palme, ils choisissent une zone n’importe où, sans se soucier de savoir si c’est bon pour la conservation. Ils donnent aussi des permis pour les mines partout.

La RDC a besoin d’une sorte de vue d’ensemble de l’utilisation optimale du territoire national, tout en gardant intacts les lieux qu’elle veut réserver aux forêts.

Richard Eba’a Atyi est le coordinateur régional du bureau d’Afrique Centrale du CIFOR. Il peut être contacté à r.atyi@cgiar.org.

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