Interview: la réforme de la tenure forestière avance, mais des questions demeurent

L'idée que les personnes vivant dans les forêts pourraient être de bons gestionnaires forestiers et/ou pourraient avoir des droits légitimes avance mais Anne Larson pointe encore des lacunes.
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Recolectores de castaña de Brasil en Puerto Maldonado, Perú. . CIFOR/Gabriela Ramírez Galindo

Cultivateurs de noix du Brésil à Puerto Maldonado au Pérou. CIFOR/Gabriela Ramírez Galindo

LIMA, Pérou (10 Avril 2013) – Au cours des trente dernières années, au moins 200 millions d’hectares de forêt* ont été légalement transférés à des communautés locales ou à des populations autochtones. Par conséquent, les communautés possèdent ou gèrent maintenant un peu plus de 11% des forêts du monde – 22% dans les pays en voie de développement.

« Il y a une plus grande acceptation de l’idée que les personnes vivant dans les forêts pourraient être de bons gestionnaires forestiers et/ou pourraient avoir des droits légitimes sur celles-ci », dit Anne Larson, chercheuse chevronnée au Centre pour la Recherche Forestière Internationale (CIFOR), en ajoutant que l’évolution des régimes fonciers ne signifiait pas nécessairement que les communautés puissent profiter pleinement des ressources forestières.

Dans le cadre d’un projet de recherche sur l’équité et les moyens de subsistance dans la foresterie communautaire, Mme Larson et d’autres chercheurs ont comparé des études de cas d’Amérique latine, d’Asie et d’Afrique.

Dans certains pays asiatiques, ils ont constaté que les gouvernements ou les grandes entreprises d’exploitation forestière avaient les droits sur les forêts les plus précieuses, alors que les communautés ont reçu des terres dégradées. Dans plusieurs pays africains, des groupes d’élite ont tiré les plus grands avantages économiques, alors que les communautés ont peu bénéficié de leurs forêts.

Les plus grandes étendues de forêts aux mains de communautés se situent en Amérique Latine, où les communautés autochtones ont acquis de plus en plus de droits fonciers.

« Les communautés font face à un parcours très long et difficile, allant du gain des droits sur le papier à l’obtention de leurs mises en œuvre, en passant par l’application pratique des droits et l’amélioration des moyens de subsistance », dit Mme Larson, qui a coordonné la publication de l’étude publiée dans un numéro spécial* du journal Conservation and Society en 2012.

Ci-dessous elle répond à des questions sur certains des résultats des chercheurs.

Q: Combien de changements peuvent-être réellement atteints par la réforme de la tenure forestière ?

R: « Les conséquences d’une réforme dépendent de nombreux facteurs, comme en témoignent les réformes passées qui ont eu des conséquences désastreuses pour les populations locales – même celles qui auraient semblé avoir de bonnes intentions ou qui ont été prétendument lancées pour formaliser ou garantir les droits locaux ont souvent fini par bénéficier à des étrangers ou des élites et laisser les populations locales avec encore moins que ce qu’elles avaient précédemment. Il y a deux questions clés : comment les droits seront-ils garantis, et pour qui ? Même ceux qui ont bonnes intentions sont susceptibles de rencontrer des pratiques complexes difficiles à gérer. En même temps, la réforme foncière peut aider à garantir les droits des populations locales ou autochtones à leurs terres, ce qui peut poser les bases d’une plus grande sécurité des moyens de subsistance. »

Q: Quelles sont les limites d’une réforme du régime foncier ?

R: « Une réforme en tant que telle n’est pas suffisante. Un titre ou un droit à la terre est vide de sens s’il n’est pas soutenu par un état prêt à appliquer la loi, comme par exemple dans le cas de l’invasion de territoires indigènes par des étrangers. Un titre foncier n’apporte pas nécessairement la sécurité. Il reste beaucoup à faire pour comprendre ce qui assure réellement la sécurité en pratique. En outre, la sécurité d’occupation foncière n’entraîne pas nécessairement une amélioration des moyens de subsistance, sauf s’il existe des politiques supplémentaires pour sécuriser la situation des personnes qui ont moins de pouvoir.»

Q: Pourquoi est-il si difficile pour les communautés de mettre les droits qu’ils ont gagné en pratique ?

R: « Obtenir les droits sur le papier est habituellement une énorme bataille, mais la mise en œuvre de ces droits signifie que les communautés doivent constamment remettre en question le statu quo et les intérêts concurrents dans leurs terres ou forêts. »

Q: Quelles sont les clés de la réussite d’une réforme ?

R: « Il n’y a pas de solution miracle. Il est important de faire des efforts considérables pour comprendre chaque cas particulier. »

Q: Quels sont les obstacles auxquels font face les communautés pour gérer leurs forêts ?

R: Il y en a tellement, il est difficile de savoir par où commencer. Mais fondamentalement les structures juridiques et réglementaires pour la gestion des forêts – et de nombreux efforts pour soutenir la « foresterie communautaire », en particulier en Amérique latine – sont basées sur des modèles d’exploitation forestière industrielle qui ne sont pas adaptés aux besoins et aux situations réelles de la grande majorité des populations locales. »

Q: Quels enjeux supplémentaires devraient être étudiés par les chercheurs afin de contribuer à une meilleure politique de gestion forestière ?

R: « Nous avons beaucoup de questions en suspens. Comment les droits sont-ils mis en œuvre ? Comment fonctionnent les institutions responsables de l’application des droits ? Autrement dit, quel est le rôle du gouvernement* dans le soutien ou l’empêchement des réformes ? Comment les populations locales peuvent-elles surmonter les menaces qui pèsent sur leurs droits ? Je suis aussi intéressée par les enjeux de pouvoir et d’autorité entre les populations locales et au sein des communautés. Dès que les droits sont accordés, comment est-ce que sont prises les décisions et comment les bénéfices sont-ils distribués (comme par exemple dans les territoires collectifs) ? Et enfin, de quelle manière peut-on renforcer les droits fonciers des femmes et leur rôle dans la prise de décision ? »

* Liens non traduits en français. 

Ce travail s’inscrit dans le cadre du Programme de Recherche sur les Forêts, les Arbres et l’Agroforesterie du CIGAR et il est soutenu par le Département britannique pour le développement international, la Fondation Ford et, pour l’Amérique latine, Profor / la Banque mondiale. La Recherche initiale a été réalisée en collaboration avec l’Initiative pour les Droits et les Ressources.

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