De mémoire d’Homme, les chasseurs et les cueilleurs ont toujours existé, et les membres de nombreuses communautés du Bassin du Congo continuent d’extraire leur nourriture, médicaments, combustibles et objets culturels directement de la forêt. Ces modes de vie établis depuis si longtemps devraient-ils être intégrés à l’économie moderne?
C’est ce que pense Abdon Awono, un scientifique du CIFOR basé au Cameroun.
“Pouvons-nous reconnaître que les communautés locales ont besoin de choses telles que la télévision et des services de santé modernes? Ma réponse est oui”, affirme le co-auteur du Guide for small and medium enterprises in the sustainable non-timber forest product trade in Central Africa*.
“Si tel est le cas, elles ont besoin d’argent. Où le trouver? Dans leur environnement direct.”
Les communautés locales du Cameroun et de République Démocratique du Congo (RDC) récoltent la plupart des produits forestiers non ligneux (PFNL) – rotin, poisson, bois de chauffage, gibiers et plantes – pour leur propre consommation, la génération de revenus et pour leur santé. La recherche du CIFOR a identifié au moins 570 espèces de plantes et 110 animaux extraits de la vie sauvage rien qu’au Cameroun.
Les PFNL apportent aussi des avantages économiques aux communautés locales. En 2010, une étude a estimé que la valeur annuelle des principaux PFNL du Cameroun équivalait à plus d’un milliard de dollars américains par an. Plus de 350 000 personnes sont employées dans des petites entreprise à travers le Cameroun et la RDC pour collecter les quinze PFNL les plus utilisés – soit plus du double des emplois du secteur forestier formel dans les deux pays.
Mais le nouveau guide du CIFOR souligne un problème: près de 90% des petites et moyennes entreprises forestières interviewées dans ces deux pays opèrent sans permis – donc illégalement.
Cela fait d’elles des cibles faciles pour les fonctionnaires corrompus, qui s’empressent de regarder ailleurs dès lors qu’on leur offre un peu d’argent liquide.
En moyenne, les chauffeurs de camion qui transportent des feuilles de Gnetum spp (appelées eru ou fumbwa dans les langues locales) du Sud-Ouest du Cameroun à la frontière du Niger dépensent plus de 500 dollars américains en pots-de-vin sur 22 barrages routiers* en chemin.
Awono estime que si une administration décentralisée émettait des licences de récolte et de commerce reconnus, le poids de la corruption serait moindre et les taxes seraient redirigées vers le budget national – à condition que de telles réformes soient accompagnées de programmes permettant “d’expliquer aux communautés en quoi consiste la législation”.
Ce sujet sera l’un des thèmes discutés lors de la conférence de deux joursLa gestion durable des forêts d’Afrique centrale: hier, aujourd’hui et demain à Yaoundé au Cameroun les 22 et 23 mai 2013.
Retrouvez les reportages du CIFOR sur les forêts d’Afrique Centrale sur forestsnews.cifor.org/fr/yaounde
Dans certains cas, une telle évolution requerrait de profonds changements dans les lois existantes.
“Au Cameroun, la législation forestière est en train d’être révisée. Actuellement, elle permet de récolter les PFNL pour une consommation locale uniquement”, explique-t-il.
“Nous suggérons qu’une nouvelle loi reconnaisse le commerce des PFNL par les communautés locales, afin de leur donner une chance de générer légalement des revenus et de pouvoir s’offrir l’éducation, le système de santé, les vêtements et autres biens domestiques qu’elles ne produisent pas, pour d’améliorer leurs modes de vie.”
Encourager le commerce légal de produits naturels peut cependant représenter une nouvelle menace pour les forêts d’Afrique Centrale en recul.
Les auteurs du guide du CIFOR préviennent: le développement de petites entreprises forestières doit s’accompagner de mécanismes qui assurent “une réserve suffisante de leur produit, non seulement pour la prochaine saison, mais aussi pour les années à venir”.
Cela implique l’identification des techniques de récolte les moins destructives, la domestication de davantage d’espèces sauvages trouvées dans la forêts et leur inclusion dans des systèmes agricoles.
“Les gens ont l’habitude de gérer ces produits, pas forcément de manière durable, mais ils ont des techniques utiles. Cependant, ces-dernières sont seulement connues de certaines communautés”, d’après Awono.
“La clé, c’est une recherche plus poussée sur ces questions, et une diffusion pratique de leurs résultats”.
Le guide possède aussi une large partie composée de conseils pratiques pour faire des groupes de villageois d’Afrique Centrale des petites entreprises prospères et durables. De l’emballage de noix de cola dans des feuilles pour une meilleure conservation à des techniques basiques de marketing, en passant par le rétablissement de la confiance entre les banques et les petites entreprises, il existe de multiples façons pour que des partenaires comme le gouvernement, la société civile et le secteur privé aident cette nouvelle activité à émerger de manière durable.
Prenez l’exemple d’Esther Foungong, qui vend des safous, un fruit de Makenene au Cameroun, depuis ses 14 ans. Depuis 2000, elle a reçu des conseils et des informations concernant les marchés de la part du CIFOR* et elle exporte maintenant vers le Gabon.
“Malgré mon jeune âge, je prends soin de ma famille”, a-t-elle affirmé aux chercheurs. “Je pense que je fais mieux que de nombreux fonctionnaires.”
Pour plus d’informations sur les questions discutées dans cet article, veuillez contacter Abdon Awono sur a.awono@cgiar.org
Ce travail s’inscrit dans le cadre Programme de recherche du CGIAR sur les forêts, les arbres et l’agroforesterie, avec l’aide de l’Union Européenne.
* Liens non traduits en français
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