Le Brésil est le pays d’Amérique du Sud le plus densément boisé, et c’est aussi celui qui a reçu le plus de fonds pour réduire la déforestation dans la région. Son Fonds Amazonie lancé en 2008 représentait alors le plus grand programme de financement du monde dédié la réduction des émissions de gaz à effet de serre causées par la déforestation et à la dégradation des forêts (REDD+).
Suspendu en 2019, comme de nombreux autres mécanismes de protection environnementale par l’ancien président brésilien Jair Bolsonaro, le fonds a été rétabli par son successeur en janvier 2023, le président Lula da Silva (alors président lorsque le Fonds Amazonie avait été créé) quand il a repris ses fonctions.
De 2008 à 2017, le fonds avait reçu plus de 1,2 milliard USD de dons et avait engagé 667,3 millions USD pour financer 96 projets allant du développement d’un système de surveillance national par satellite à l’octroi d’aides aux petits exploitants pour instaurer des pratiques agricoles plus durables. Toutefois, les évaluations réalisées pour mesurer l’efficacité des projets et programmes financés par le Fonds avaient livré des résultats mitigés.
C’est la raison pour laquelle les scientifiques du CIFOR-ICRAF de l’Étude comparative mondiale sur la REDD+ , qui couvre 22 pays depuis 14 ans, ont souhaité comprendre dans le détail comment ont été utilisées les ressources financières de la REDD+ au Brésil, à l’heure où les dons affluent à nouveau vers le Fonds Amazonie. Les résultats de cette étude ont été débattus par des scientifiques, des décideurs politiques et les personnes chargées de la mise en œuvre des projets, lors d’un dialogue entre science et politique qui s’est tenu le 10 mars 2023.
« La lecture des diverses évaluations des projets REDD+ mène à différentes conclusions », commente Richard Van der Hoff, coordonnateur pays de l’étude comparative mondiale sur la REDD+ au Brésil et professeur invité de l’université fédérale du Minas Gerais. « Nous devons être plus attentifs à ce que nous souhaitons mesurer. Maintenant que le gouvernement a restauré le Fonds Amazonie, il nous faut tirer tous les enseignements possibles afin d’obtenir de meilleurs résultats. »
Ce fonds constitue l’un des premiers et des plus longs exemples d’aide basée sur les résultats (OBA) et consacrée à la réduction de la déforestation. La théorie est simple : les donateurs engagent des fonds sur des objectifs de déforestation déjà atteints, tandis que le Brésil peut contribuer au fonds selon ses propres critères. Si l’on suit cette logique, le pays destinataire souhaitera continuer à recevoir des fonds, et sera incité à maintenir la déforestation à la baisse.
Mais dans la pratique, confie R. Van der Hoff, les choses sont plus compliquées.
« Les instances nationales, locales et d’État peuvent utiliser ces fonds de façons très diverses et variées. Par ailleurs, il existe de nombreuses façons d’interpréter les impacts, ce qui est compréhensible puisque les projets REDD+ ne sont pas tous les mêmes. Mais nous devons améliorer la communication des résultats entre les scientifiques et les décideurs politiques pour que l’argent investi ait un véritable impact. »
À l’occasion d’un dialogue entre scientifiques et décideurs politiques, Stibniati Atmadja, chercheur au CIFOR-ICRAF, et Pham Thu Thuy chercheur senior, qui dirige l’équipe Changement climatique, énergie et développement sobre en carbone du CIFOR-ICRAF, indiquaient que sur les 6,5 milliards USD versés par les pays donateurs aux projets REDD+ à l’échelle mondiale entre 2010 et 2019, le Brésil avait obtenu 1,3 milliard USD, soit le montant le plus élevé reçu par un pays.
Plus de la moitié des financements mondiaux REDD+ de pays à pays, également connus sous le nom d’aide REDD+, transite par des organismes multilatéraux, tels que la Banque mondiale, ou encore le Programme des Nations Unies pour le développement. Au Brésil en revanche, presque toutes les contributions au Fonds Amazonie sont canalisées par le gouvernement national et distribuées par la banque de développement du Brésil.
Une poignée de donateurs ont contribué à la REDD+ au Brésil par un financement de pays à pays. Le premier contributeur au cours de cette période a été la Norvège, à hauteur de 48 % du financement mondial de la REDD+, mais représentant 80 % des sommes reçues par le Brésil, suivi par l’Allemagne et le Royaume-Uni avec 7 % chacun, et la Banque interaméricaine de développement avec 5 %. Cette situation, a commenté S. Atmadja, illustre à quel point la plus grande source de financement de la REDD+ au Brésil est vulnérable aux changements de priorités des gouvernements lorsque le nombre de pays donateurs est restreint.
Il y a plus de dix ans, le Brésil avait été salué pour avoir fortement réduit les coupes forestières de 30 000 kilomètres carrés en 2004 à environ 5 000 kilomètres carrés en 2012. Mais depuis, le taux de déforestation est reparti à la hausse, avec une poussée sensible sous le mandat de J. Bolsonaro, bien qu’il soit resté en deçà du pic de 2004. De plus, une question reste sans réponse : dans quelle mesure l’aide REDD+ et les marchés volontaires REDD+ participent-ils à la réduction des émissions ? Certaines études récentes suggèrent que ces réductions ont été exagérées, à la fois au niveau mondial et au Brésil, soulignant le besoin de revoir le mode d’évaluation de ces projets.
Ces révélations pourraient entamer l’enthousiasme des donateurs de la REDD+, a souligné S. Atmadja lors du dialogue entre scientifiques et décideurs politiques, tout en admettant que les mesures du nouveau gouvernement en faveur des forêts, dont la réactivation du Fonds Amazonie, pourraient le ranimer.
Une petite partie non négligeable du financement REDD+ au Brésil vient principalement de fonds privés par le biais des marchés volontaires des crédits carbone. En s’appuyant sur l’ensemble des données internationales des projets REDD+ ID-RECCO, régulièrement actualisé et gratuit et que le CIFOR-ICRAF met à jour tous les deux ans, S. Atmadja estime à environ 250 millions USD la valeur des crédits carbone vendus sur le marché volontaire du carbone des projets REDD+ au Brésil, soit 27 % environ des 950 millions USD générés à l’échelle mondiale jusqu’en 2020.
De 2010 à 2017, le Fonds Amazonie a distribué plus de 667 millions USD aux pouvoirs publics fédéraux, d’États et municipaux, ainsi qu’aux organisations non gouvernementales et aux universités. La plus grande part (approximativement 38 %) a été attribuée aux États, surtout pour surveiller et contrôler la déforestation, bien qu’un quart environ de cette somme ait été utilisé pour des activités de production durable. L’entreprise pétrolière publique Petrobras contribue aussi au Fonds Amazonie.
Le gouvernement fédéral a perçu environ 21 % des sommes, principalement pour le suivi et le contrôle, l’application des lois et la lutte contre les incendies, tandis que les universités ont reçu environ 1,3 % pour la recherche et les municipalités, environ 1,1 %, surtout pour le développement d’activités durables et le renforcement de leurs agences pour l’environnement.
Dans une étude sur les décaissements du Fonds Amazonie menée entre 2010 et 2018, R. Van der Hoff et ses collègues ont découvert que certains fonds étaient venus compenser les coupes de budget des agences publiques pour l’environnement, soulevant des interrogations sur « l’additionnalité financière ». Autrement dit, l’argent a-t-il été utilisé pour réaliser des activités qui n’auraient pas autrement vu le jour sans ce fonds ?
Les organisations non gouvernementales ont reçu presque autant que les États, soit 36 %, dont une grande partie a servi à des projets de développement durable, et de plus petits montants à des régularisations foncières, au suivi et à des contrôles.
Cette grande diversité d’utilisations poursuit R. Van der Hoff, met en lumière des secteurs qui méritent plus d’attention au moment où le Fonds Amazonie monte en puissance.
Si une large part du financement a permis d’intervenir sur des facteurs structurels liés à la déforestation en Amazonie, tels que la mise en œuvre d’un registre de propriétaires fonciers qui facilite le suivi du respect des exigences de conservation, sur les 100 communes ayant perçu le plus de financement, R. Van der Hoff a fait remarquer que seule deux faisaient partie des dix municipalités dont le taux de déforestation était le plus élevé.
Cette situation pourrait être corrigée si le Fonds était plus proactif, en choisissant des projets dont les critères portent sur des objectifs préétablis, a-t-il ajouté. L’un des domaines où ces critères ont été négligés, a-t-il poursuivi, est la chaîne d’approvisionnement des produits de base comme le soja et le bœuf, qui occupe une place centrale puisque la plupart des émissions de gaz à effet de serre du Brésil proviennent du changement d’affectation des terres et de la déforestation pour l’agriculture et l’élevage industriels.
À mesure que la REDD+ s’est étendue, les objectifs se sont élargis pour inclure d’autres facteurs en plus de la réduction des émissions, tels que les moyens de subsistance durables, le droit foncier et le genre, a commenté Heliandro Maia du GIZ, l’agence de coopération internationale allemande pour le développement, au cours du dialogue entre scientifiques et décideurs politiques.
C’est pour cela que la question de savoir si la REDD+ fonctionne est trop réductrice pour appréhender les combinaisons complexes des objectifs et la grande diversité des approches que les projets peuvent prendre, a ajouté Cauê Carrilho, de l’université de São Paulo, au cours du dialogue. Au lieu de cela, a-t-il continué, les scientifiques, les décideurs politiques et les personnes chargées de la mise en œuvre des projets devraient plutôt s’interroger sur « ce qui fonctionne le mieux, de quelle manière et dans quelles circonstances ».
Les projets doivent être conçus pour lutter contre les moteurs spécifiques de la déforestation, mais aussi être en cohérence avec les plans nationaux, a-t-il insisté. Pour évaluer les impacts, il est crucial de recueillir des données qualitatives et quantitatives sur la façon dont un projet a été mené, et de sélectionner une zone témoin aux caractéristiques similaires pouvant illustrer ce qui se serait passé si le projet n’avait pas été mis à exécution (pour établir un scénario contrefactuel). Les données quantitatives sont essentielles pour déterminer si des projets REDD+ ont évité la déforestation par rapport à un scénario contrefactuel, tandis que les données qualitatives doivent permettre une meilleure compréhension des mécanismes à l’œuvre dans les interventions de terrain REDD+, a ajouté C. Carrilho. L’impact doit également être évalué sur le long terme, car la REDD+ a besoin de temps pour devenir pleinement opérationnelle et entraîner des effets sur le terrain.
Un des facteurs critiques, a-t-il précisé, est l’intervalle de temps ; d’une part les données de référence initiales auxquelles le projet sera comparé pour évaluer le résultat sur la déforestation et d’autre part, la chronologie propre du projet. Il est particulièrement important de tenir compte de la permanence (lorsque les effets se poursuivent après la fin du projet).
« Les personnes chargées de la mise en œuvre des projets doivent réfléchir en termes de résultats à court, moyen et long termes, et à ce qui doit être mis en œuvre pour chaque échelle de temps », a-t-il indiqué. « Il est important que la société comprenne les actions en cours et sache quand s’attendre à des résultats, et il est important que l’argent des fonds comme le Fonds Amazonie soit dépensé au niveau de ces trois échelles de temps. »
Le dialogue entre scientifiques et décideurs politiques a révélé une faille structurelle dans la mise en œuvre de la REDD+, mais il a aussi mis en lumière des pistes pour réduire les manques de connaissances et les problèmes de mise en œuvre, a ajouté R. Van der Hoff.
Du point de vue des investisseurs, la REDD+ constitue un outil qui ne sert pas uniquement à récompenser les réalisations passées, mais aussi à promouvoir la réduction durable de la déforestation dans le cadre de l’atténuation face au changement climatique.
En conclusion, comprendre le financement de la REDD+ en termes de contribution à la réduction des émissions de gaz à effet de serre causées par la déforestation et à la dégradation des forêts est fondamental. Par ailleurs, les seuls taux de déforestation ne reflètent pas l’extrême complexité des dynamiques de la déforestation en Amazonie, ce qui souligne la nécessité d’un large éventail d’indicateurs de performance, ont rappelé C. Carrilho et H. Maia.
« Une évaluation de la performance qui retranscrit la complexité est indispensable », a ajouté R. Van der Hoff « pour réaliser la transition vers un nouveau paradigme de développement, celui où la disparition des forêts cessera d’être le principal effet collatéral. »
Le prochain dialogue entre scientifiques et décideurs politiques se tiendra le 4 mai et portera sur un diagnostic de la déforestation.
Pour en savoir plus, veuillez contacter Pham Thu Thuy : t.pham@cifor-icraf.org et Richard Van der Hoff: richard.vanderhoff@inteligenciaterritorial.org
Les présents travaux ont été réalisés par le Centre de recherche forestière internationale dans le cadre de l’Étude comparative mondiale sur la REDD+ (www.cifor-icraf.org/gcs). Les partenaires financiers qui ont soutenu ces travaux incluent l’organisme norvégien pour le développement international (Norad, subvention n° QZA-21/0124), l’Initiative internationale pour le climat (IKI) du Ministère fédéral allemand de l’Environnement, de la Protection de la Nature, de la Sûreté nucléaire (BMU, subvention n° 20_III_108), et le Programme de recherche du CGIAR sur les forêts, les arbres et l’agroforesterie (CRP-FTA), avec un soutien financier des donateurs du Fonds CGIAR.
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