Rien que cette année, des millions de personnes en Afrique ont été touchées par la sécheresse, les intempéries et les inondations. Cependant, les agriculteurs manquent d’informations sur la manière de s’adapter au changement climatique et de préserver les forêts ou de les utiliser de manière durable pour se protéger du réchauffement climatique mondial.
Plusieurs raisons expliquent ce manque d’informations, notamment le grand nombre de langues et de dialectes parlés sur le continent. Mais, pour Denis Sonwa, Chercheur principal au Centre de recherche forestière internationale et au Centre international de recherche en agroforesterie (CIFOR-ICRAF), le principal facteur est que les journalistes ne se sentent pas à l’aise pour aborder le sujet.
Les chercheurs peuvent contribuer à changer cette situation. En effet, un article publié en octobre 2022 par D. Sonwa et ses collègues dans un numéro spécial du Journal of Environmental Media propose des orientations pour favoriser le travail d’équipe entre chercheurs et journalistes.
« Lorsque le CIFOR m’a demandé de travailler sur les forêts et le changement climatique, j’ai compris que la communication était un outil important pour permettre d’intégrer le changement climatique dans les politiques publiques », explique D. Sonwa. Ce dernier a eu l’occasion de le faire dans le cadre du projet Forêts du Bassin du Congo et Adaptation au Changement Climatique (CoFCCA), un projet quinquennal financé par le Centre de recherches pour le développement international (CRDI) et le Département britannique du développement international (DFID), et hébergé par le CIFOR.
« L’idée du projet était d’intégrer l’adaptation dans les travaux sur les questions forestières et d’intégrer les forêts dans le domaine du changement climatique en Afrique centrale. J’ai pensé que l’un des éléments clés pourrait être la communication, et que le travail avec les journalistes pourrait être essentiel pour construire le débat sur le changement climatique », ajoute-t-il.
Dans les pays d’Afrique centrale que sont le Cameroun, la République centrafricaine (RCA) et la République démocratique du Congo (RDC), la plupart des habitant(e)s des zones rurales dépendent de la radio pour obtenir des nouvelles et des informations, tandis que la télévision est le plus souvent regardée dans les villes et que les journaux sont plutôt lus par l’élite urbaine.
Par ailleurs, bien que le changement climatique soit une question émergente, il n’est toujours pas un sujet prioritaire dans les écoles et les universités, de sorte que les étudiant(e)s en journalisme n’ont souvent pas l’occasion de développer les compétences nécessaires pour établir des rapports approfondis et précis sur la question, souligne D. Sonwa.
Par conséquent, la recherche montre que la couverture médiatique sur la thématique de l’adaptation et de l’atténuation au changement climatique reste extrêmement limitée. Ainsi, une étude du CIFOR menée au Cameroun la patrie de D. Sonwa a montré que seuls 14 articles sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre dues à la déforestation et à la dégradation des forêts (REDD+) ont été publiés dans la presse locale entre 2005 et 2009.
De plus, aucune traduction uniformisée du terme « changement climatique » n’est disponible dans les langues et dialectes nationaux et locaux, et la plupart des populations urbaines ne sont pas au courant du débat politique sur le financement pour les forêts, affirment D. Sonwa et ses co-auteurs.
De fait, il est de plus en plus nécessaire d’élargir la compréhension et le débat en Afrique, d’autant plus que les chercheurs continuent d’apprendre davantage sur l’importance des forêts du Bassin du Congo pour le stockage du carbone, grâce à ses vastes tourbières.
D. Sonwa et ses collègues ont commencé par inviter des journalistes à des ateliers qui coïncidaient avec les réunions des chercheurs participant au projet CoFCCA. Le Cameroun disposait déjà d’un réseau de journalistes scientifiques. Toutefois, en RCA et en RDC, ils ont dû solliciter plusieurs médias pour identifier les journalistes qui travaillaient déjà sur les questions environnementales et qui seraient probablement motivés pour en apprendre davantage.
Ces ateliers, qui ont eu lieu entre 2009 et 2012, combinaient des séances de formation théoriques en présentiel et des visites sur le terrain, permettant ainsi aux 69 journalistes participants de travailler côte à côte avec des chercheurs pour acquérir une connaissance plus approfondie des écosystèmes forestiers et de l’adaptation au changement climatique, ainsi que des méthodes de recherche. Du temps a également été consacré à l’apprentissage de nouvelles stratégies techniques et multimédias pour les réseaux sociaux.
Si la formation de journalistes chevronnés était importante, D. Sonwa et ses collègues ont également identifié la nécessité de fournir des informations similaires aux étudiant(e)s en journalisme afin qu’ils soient préparés à couvrir les questions forestières et climatiques dès le début de leur carrière. Ils ont donc conçu un programme de mentorat à deux niveaux qui a été testé au Cameroun.
Des journalistes chevronnés ont été jumelés avec des chercheurs pendant quelques mois, partageant leurs ébauches de travail avec ceux-ci pour obtenir leurs commentaires. Ces journalistes sont à leur tour devenus les mentors d’étudiant(e)s universitaires en journalisme. SciLife, le réseau des journalistes scientifiques du Cameroun, a participé à l’identification des journalistes et des étudiant(e)s.
Un programme de bourses de six mois a également été mis en place pour les étudiant(e)s diplômé(e)s en journalisme et en communication afin qu’ils puissent axer leur projet de thèse sur l’adaptation au changement climatique et les forêts. D’après D. Sonwa, grâce à cette formation, les journalistes et les étudiant(e)s qui n’avaient pas de formation scientifique sont plus à même de rendre compte des approches scientifiques et politiques en matière de changement climatique. Parallèlement, les médias dans lesquels travaillent les journalistes ont augmenté leur couverture médiatique sur ces questions.
Pour celles et ceux qui souhaiteraient lancer un projet similaire, D. Sonwa indique que la première étape consiste à comprendre quel type d’information est le plus nécessaire aux décideurs politiques et au public. « Il faut identifier le besoin en communication à un endroit et un moment précis, et en fonction de cela, définir ce que vous devez faire », précise-t-il avant de poursuivre : « Identifiez ensuite les experts et les journalistes clés qui travaillent déjà sur les questions environnementales, particulièrement le changement climatique. Il est important de travailler avec les étudiant(e)s universitaires en communication et en journalisme, car ils ne disposent souvent pas de formation scientifique ».
En définitive, les sciences et la gouvernance du changement climatique devraient faire partie du programme d’études, de sorte que les étudiant(e)s en journalisme soient aussi bien préparés à réaliser des reportages sur le changement climatique qu’à couvrir des actualités sportives, culturelles ou d’autres sujets, résume-t-il.
« Le monde doit réduire son empreinte écologique, et cela ne se fera pas sans communication. De plus, gardez à l’esprit que les médias peuvent influencer la façon dont les décisions politiques sont prises. Lorsqu’un sujet est correctement couvert par les médias, les personnes qui prennent les décisions agiront différemment. Nous devons continuer à renforcer les capacités des journalistes, et nous espérons que d’autres personnes pourront s’inspirer de ce que nous avons accompli », conclut-il.
L’initiative pour la formation des journalistes faisait partie du projet Forêts du Bassin du Congo et Adaptation au Changement Climatique (CoFCCA).
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