Selon les experts s’exprimant dans un rapport récemment publié, compte tenu de l’envol de la demande mondiale de bois et des vastes réserves de l’Afrique centrale, il est probable que les exportations de bois d’œuvre et d’industrie, notamment vers la Chine et d’autres pays asiatiques, vont accentuer la pression sur les 200 millions ha de forêts denses humides de la sous-région, qui ne font pas l’objet d’un classement pour plus de la moitié.
Depuis 10 ans, les exportations de bois de l’Afrique centrale vers l’Europe ont été plus que divisées par deux : elles sont en effet passées de 1,4 milliard USD à 600 millions USD, d’après le rapport intitulé Les forêts du bassin du Congo – État des Forêts 2021, qui est publié par l’Observatoire des Forêts d’Afrique Centrale (OFAC). Sur cette période, la majeure partie des 4,2 millions de tonnes de bois produites par l’Afrique centrale a été expédiée vers les marchés asiatiques.
Selon Nicolas Bayol et ses collègues scientifiques, qui ont étudié l’évolution du secteur du bois dans le bassin du Congo pour ce rapport, l’application par l’Europe de mesures plus strictes pour garantir la légalité du bois (notamment les accords de partenariat volontaire du FLEGT), a donné un coup de fouet aux exportations de l’Afrique centrale vers l’Asie. Cette évolution positionne même la Chine en tant premier partenaire commercial de la sous-région puisque ses importations de bois ont atteint 1 milliard USD en 2019.
Les chercheurs affirment aussi que les pays européens sont moins intéressés de s’approvisionner dans la sous-région en raison de l’absence de compétitivité qui s’accentue pour les produits issus de la transformation primaire et secondaire en Afrique centrale. Selon ces scientifiques, les importateurs européens de grumes, d’avivés et de plots préfèrent désormais se tourner vers des produits semi-finis plus compétitifs provenant d’Amérique du Sud et d’Asie du Sud-Est, car ils reviennent moins chers à stocker, sont prêts à l’emploi et se transportent plus facilement par container.
« En dépit des mesures prises pour encourager les opérateurs forestiers à élaborer des produits à plus forte valeur ajoutée, le retard des pays d’Afrique centrale reste très important en raison de l’absence d’infrastructures, de frais de transport assez élevés et du manque de main-d’œuvre formée aux métiers du bois », déclare Alain Ngoya Kessy, consultant forestier indépendant qui a participé à la rédaction de ce rapport. Cela incite les opérateurs à se tourner vers les marchés asiatiques et chinois qui sont moins exigeants en termes de qualité.
Il a été constaté que la production de bois dans les pays d’Afrique centrale est relativement stable depuis 25 ans. Cette production n’a pas pâti de la pandémie de coronavirus, puisqu’elle a même dépassé les 8 millions m³ en 2020. Cependant, le Gabon, qui a interdit l’exportation des grumes par une décision unilatérale, a vu sa production reculer entre 2008 et 2012, année où une reprise a été observée. En 2019, Gabon a retrouvé son niveau de production d’avant 1998 pour atteindre les 3 millions m³ en 2020, son volume de prélèvement avant l’interdiction d’exportation. Dans l’ensemble de la sous-région, la production se concentre surtout sur les essences phares : sapelli, dabema, padouk, beli, bahia, tali, niove, azobé, okan, fraké, ayous, tchitola, aiele, okoumé.
À côté du Gabon qui transforme la totalité du bois récolté et dont le fleuron est la Zone Économique Spéciale de Nkok, le taux de transformation du bois dans les pays d’Afrique centrale est variable : Cameroun, 70 % de 2,5 millions m³ ; RD Congo, 55 % de 300 000 m³ ; République centrafricaine, 55 % de 550 000 m³ ; Congo, 55 % de 1,8 million m³ ; et Guinée équatoriale, 20 % de 800 000 m³. Cependant, la majorité des exportations de ces pays correspond surtout aux produits de la transformation primaire.
Depuis plusieurs années maintenant, divers programmes comme des certifications privées et des mécanismes institutionnels ont été mis en place pour inciter les producteurs de bois à travailler dans la légalité et à s’engager dans des démarches de gestion durable. Cependant, dans les pays d’Afrique centrale, ces efforts ont été contrariés par des coûts élevés de mise en œuvre, des marchés peu rémunérateurs, la pression des parties prenantes, une gouvernance inadéquate et les difficultés à se conformer aux exigences réglementaires, ceci jusqu’en 2018, date à laquelle la certification a bénéficié d’une nouvelle dynamique. Les chercheurs ont signalé que, jusqu’ici, le Cameroun, le Congo et la République centrafricaine ont signé un accord de partenariat volontaire FLEGT avec l’Union européenne, tandis que les négociations se poursuivent pour la RD Congo et le Gabon.
Si les programmes de certification garantissent que le bois commercialisé est légalement exploité, le secteur du bois est peu surveillé sur les marchés locaux (qui sont le débouché d’un volume significatif de la récolte), ce qui nuit à la pérennité des ressources forestières et ne bénéficie pas directement aux pays d’Afrique centrale.
Les scientifiques ont constaté que non seulement l’exploitation forestière joue un rôle essentiel dans le maintien des services écosystémiques des 54 millions ha de forêts de production principalement classées en concessions forestières qui se trouvent en Afrique centrale, mais les concessionnaires participent également à la lutte anti-braconnage en signant des accords avec les États.
« En Afrique centrale, dans les forêts exploitées de manière sélective, les opérations de coupe nuisent peu au stock de carbone, la perte étant en moyenne de moins de 10 % du volume initial de la zone de coupe annuelle. Avec une rotation de 25 à 30 ans, cela ne représente qu’environ 0,3 à 0,4 % du stock de carbone annuel total, ce qui est bien au-dessous de la croissance annuelle des forêts tropicales (environ 1,5 %) », a souligné Caroline Duhesme de l’Association Technique Internationale des Bois Tropicaux (ATIBT), qui a contribué à la rédaction de ce rapport.
Pour assurer la pérennité des ressources en bois, les chercheurs recommandent que les plans d’aménagement rédigés au début des années 2000, qui se sont avérés être de bons outils de planification des coupes, soient révisés et adaptés aux spécificités des concessions. Ceci, alors que les plus anciennes concessions toujours actives en Afrique centrale entament leur dernier cycle de cinq ans.
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